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Les avis de - BMR

Visualiser les 56 avis postés dans la bedetheque
    BMR Le 04/11/2025 à 15:46:11

    L'Amérique rurale et profonde, celle de Steinbeck ou de Faulkner, où il ne fait pas bon vivre mais où, dans les années 50, le rock'n roll apporte quelques lueurs.
    Le "nature-writing" des Appalaches en images.

    Au scénario, le prolixe Rodolphe (Rodolphe Daniel Jacquette) que l'on vient de croiser récemment sur Pump et qui lorgne souvent du côté de l'ouest et qui est fan de rock'n roll (il a même écrit un livre sur les artistes des années 50).
    On apprécie pas toujours ses histoires mais ici, il a parfaitement réussi son coup.
    Aux pinceaux (c'est le cas de le dire, les planches sont réalisées en couleurs directes), on découvre le jurassien Christophe Dubois.
    Avec l'un des personnages de cet album, les deux compères partagent une même passion : la guitare.

    Dans les années 50, un petit village au pied des Appalaches : Barbie (un joli brin de fille) débarque à Hazard après avoir marié Bram, un gars du coin.
    « - Hazard, c'est le trou du cul du monde ! Enfin, du monde civilisé ...
    C'est nulle part, c'est chaud, c'est moche, il s'y passe jamais rien !
    Dis, je peux te poser une question ?
    Pourquoi t'es venue te paumer chez nous ?
    - Parce que d'où je viens, c'est encore pire. »
    Il y a donc à la ferme des Wayne :
    - Le mari « Bram, le bras protecteur et le sourire niais, couvant sa nouvelle acquisition façon heureux propriétaire ».
    - Hank, celui qui est venu chercher Barbie à la gare, qui gratte un peu sa guitare pour jouer « un peu de tout : Jimmie Rodgers, Hank Williams ... du rock'n roll aussi ». Bref, tout ce qui plait bien à Barbie.
    - Le père « balançant à la môme un maximum d'histoires salaces soulignées de regards lubriques ».
    - L'autre frère Eddie « faisant son numéro de beau ténébreux : oeil de velours et sourire entendu ».
    - Et le plus jeune Zach, toujours prêt à « plonger sous la table et zyeuter sous les jupes de la belle ».
    Avec la jeune Evy, mutique et sujette à des crises hystériques, vous avez là toute la famille Wayne (la mère est partie, dit-on) : selon le toubib local, « dans le coin, ils sont tous assez bizarres, mais ceux-là ont le pompon ! ».
    Si on ajoute que la famille Wayne est régulièrement visitée par les gens du shérif et même les agents du FBI pour ses divers petits trafics, on pourrait penser que tous les ingrédients d'un roman bien noir sont alors réunis.
    Et on aurait bien raison ...
    Mais « on était ni au bout de nos surprises, ni de nos peines ! ».
    Dans ce village perdu de fermiers « quand t'en peux plus, tu prends un flingue ou une guitare ».
    Rodolphe et Dubois ont choisi pour nous : ce sera la guitare.

    Barbie est trop jolie et Hank le beau-frère trop sympa, ...
    Oui, l'histoire est plutôt simple mais cette simplicité apparente en fait ici toute sa force et sa réussite.
    Barbie et Hank deviennent vite attachants et les personnages de la famille Wayne sont suffisamment complexes pour ne pas tomber dans la caricature.
    Et puis ce refrain, cette belle idée, comme quoi la guitare, le rock'n roll, viendra peut-être vous sortir d'une bien vilaine ornière.
    Oui, la musique adoucit les mœurs et il fallait bien cette bouffée d'air frais, pour le lecteur comme pour les personnages, dans cette campagne qui suffoque sous la détresse, la chaleur et la misère.
    Les Appalaches sont une région qui a inspiré le nature-writing de nombreux auteurs (Chris Offut, Ron Rash, ... ) : un style qu'il n'est pas fréquent de "voir" en images.

    L'illustration de Dubois est superbe, avec de beaux contrastes de lumière, des cadrages serrés sur les visages et des vues larges sur le paysage rural.
    Et puis bien sûr, il y a la sensualité de Barbie qui illumine de nombreuses cases car elle est de presque toutes les planches : un beau portrait de dame.

    BMR Le 03/11/2025 à 13:53:51

    Belle adaptation en images du drame de Shakespeare. Ambition, traîtrise, ambiance médiévale et sorcières fatales, ... tout est prêt pour que les forces du mal se déchaînent dans un surprenant gris crayonné, parfois rehaussé de rouge sang.

    La BD se prête formidablement à toutes sortes d'adaptations littéraires, une belle façon de dépoussiérer quelques œuvres et de les replacer sur le dessus de la pile.
    On a pu ainsi (re-)découvrir L'étranger de Camus ou La route de Cormac McCarthy, pour n'en citer que quelques uns parmi les œuvres les plus grandes et les BD les plus récentes.
    Voici un autre monument de la littérature transcrit en images : le Macbeth de Lord William Shakespeare.
    Et ce sont deux jumeaux qui s'y collent : les frères Brizzi, Paul et Gaëtan, formés aux Arts Déco et dans les studios Disney, grands faiseurs d'adaptations diverses comme celles de Boris Vian, Cervantès ou même Dante.

    Faut-il présenter Lord Macbeth ? Ce prince écossais qui fut poussé au meurtre de son roi par son épouse (Lady Macbeth), son ambition et les prophéties de quelques sorcières fatales.
    Après leur forfaiture, le couple régicide va se retrouver en proie à de sinistres hallucinations et Lady Macbeth mettra elle-même fin à ses jours. Quant à Lord Macbeth ...

    Les frères Brizzi restent fidèles à la trame du récit de Shakespeare. Les paysages sombres d'Écosse, l'époque médiévale, les prédictions ésotériques des sorcières, ... tout cela était fait pour les inspirer.
    Je les cite : là où Shakespeare « par le biais d'une prose oratoire magnifique, exprime leurs tourments intérieurs, c'est par le dessin et la lumière que nous avons voulu le traiter et le transmettre ».

    Côté graphique, les jumeaux restent dans la suite de Dante ou de Cervantès avec ce gris crayonné, surprenant de prime abord, mais qui donne toute sa démesure dans les ambiances lugubres des châteaux écossais.
    La verticalité des somptueuses doubles pages nous donnent l'impression de pénétrer dans une cathédrale où se déploient les hallucinations de Macbeth rehaussées de rouge sang.
    On regrette juste que le format court d'un album ne laisse que le temps de "résumer" toute la richesse d'une pièce de théâtre aussi complexe où se sont invitées les forces du mal.

    BMR Le 04/10/2025 à 11:20:00

    En 1971, un braqueur intrépide pirate un avion US et s'enfuit en parachute avec un joli pactole. La police ne le retrouvera jamais ...
    Pour nous, Cornette et Garreta imaginent la suite, celle que même le FBI ne connait pas.

    Pour le scénario du Dernier vol de Dan Cooper, le belge Jean-Luc Cornette s'est emparé de l'histoire totalement vraie mais complètement folle d'un pirate de l'air étasunien qui en 1971 prend un avion de ligne en otage : il empoche 200.000 $, fait redécoller l'appareil et saute en parachute en plein ciel, façon Tom Cruise. Un braquage plutôt original.
    L'animal se faisait appeler Dan Cooper : un pseudo tiré d'une BD canadienne en vogue dans les années 50-60. Il ne sera jamais retrouvé même si le FBI n'abandonne les recherches qu'en 2016.
    Plusieurs imitateurs tenteront des braquages identiques au fil des années, mais tous seront attrapés ou abattus : le mystérieux Dan Cooper est le seul qui, sans doute, profita de son magot.
    Les dessins sont de Renaud Garreta, un garçon qui aime bien les voitures (Sébastien Loeb), les bateaux (Fastnet) et les avions (Tanguy et Laverdure) !
    Le canevas et les personnages :
    La première partie de l'album reconstitue le braquage et le détournement de l'avion : Cornette imagine même une complice au mystérieux Dan Cooper, une jolie blonde.
    Après le fameux saut en parachute, le scénario invente une suite aux aventures de Dan Cooper : qu'est-il devenu ? a-t-il retrouvé sa complice ? coule-t-il des jours heureux au Mexique ?
    Vous le découvrirez bientôt en exclusivité, même le FBI ne le sait pas !

    Le détournement d'avion de la première partie donne une histoire assez bluffante, on a du mal à réaliser qu'il s'agit d'une histoire vraie. La suite imaginée par les auteurs réservent quelques surprises, au lecteur comme à Dan Cooper, jusqu'à une fin qui laisse planer encore quelques mystères.
    Côté dessins, c'est peu la déception : le trait assez classique de Garreta reste dans l'esprit d'une BD comme Insiders, mais les visages nous ont semblé beaucoup moins précis, parfois grossiers en arrière-plan. Ce crayon rapide, cet aspect un peu brouillon, est peut-être là pour rappeler les anciens albums de Dan Cooper mais cela ne convient plus trop à nos grilles de lecture d'aujourd'hui.

    BMR Le 30/09/2025 à 15:50:10

    En 1912, un médecin est envoyé au Cambodge pour opérer le roi (pro-français) d'une cataracte. Le récit est basé sur les mémoires de cet ophtalmologiste et agrémenté d'une intrigue d'espionnage qui nous révèle les enjeux de ces colonies lointaines.
    Une BD qui a un petit "truc" en plus.

    On connaissait bien Olivier Truc pour ses polars ethniques en Laponie, du Premier Renne au Dernier Lapon, en passant par la série de la Brigade des Rennes.
    Le frenchy adopté par les suédois s'était même aventuré du côté des Sentiers obscurs de Karachi.
    On n'a donc guère hésité à suivre l'écrivain voyageur en Asie avec La danseuse aux dents noires, en format BD.
    Mais il doit y avoir un truc avec cette BD puisque le scénario est cosigné par ... Jean-Laurent Truc ?!
    Un air de famille car ils sont en effet cousins et la BD s'inspire librement des mémoires d'un aïeul, Hermentaire Truc !
    Jean-Laurent Truc est le spécialiste de la BD qui anime le site Ligne Claire.
    Aux pinceaux, ce sera Eric Stalner : vous vous souvenez peut-être de cette "vieille" série Le Boche (1990 !) mais Stalner a également adapté plus récemment des romans d'un autre voyageur, Nicolas Vanier, comme Loup.

    En 1912, le roi Sisowath du Cambodge (à l'époque sous protectorat français) souffre gravement d'une cataracte. Pour rétablir le prestige vacillant de la République, le gouvernement français envoie un éminent ophtalmologiste, Hermentaire Truc, l'arrière-grand-père des auteurs, pour opérer le roi.
    Le médecin débarque à Saïgon puis Phnom-Penh alors que les différentes factions manœuvrent en coulisse pour faire chuter le roi pro-français. Les allemands soutiennent les bonzes du clergé bouddhiste et même un prince rebelle, Norodom Yukanthor, car le Kaiser Guillaume II aimerait bien agrandir son empire colonial.
    Phnom-Penh et Saïgon sont alors de véritables nids d'espions et la mission du toubib va s'avérer bien délicate tant sur le plan médical que sur le plan diplomatique ... Le roi sera même opéré à Saïgon pour l'éloigner quelque temps de Phnom-Penh et des intrigues de cour !
    « Quel cirque ! Tout cela pour une cataracte, royale certes, mais une cataracte ... »
    Pour romancer leur intrigue, les scénaristes plongent leur aïeul Hermentaire Truc dans un véritable dilemme : va-t-il rester fidèle à son serment d'Hippocrate pour redonner la vue au roi et perpétuer ainsi le pouvoir colonial français qui maintient dans la misère le peuple cambodgien grâce au commerce d'opium ?
    « - L'opération aurait-elle échoué ?
    - Échoué ? Échoué pour qui ? Je n'en sais rien. »
    Une intrigue qui mettra en scène, c'est le cas de le dire, les danseuses apsaras du royaume, les fameuses danseuses aux dents noires (effet dû à une teinture renouvelée fréquemment) : quelques années auparavant, en 1906, les danseuses du ballet royal avaient subjugué le Tout-Paris lors d'une visite officielle du roi. Cocteau, Rodin et bien d'autres avaient été fascinés par la grâce de leur art ancestral.

    Le scénario imaginé par les cousins Truc est captivant : s'appuyant largement sur les mémoires de leur arrière-grand-père, l'intrigue mêle habilement faits véridiques et roman d'espionnage.
    Il ne s'agit pas d'un simple album de Tintin au Cambodge et on apprend ainsi plein de choses sur la présence française en Indochine, entre ces deux guerres avec l'Allemagne, celle de 1870 et celle de 1914 à venir.
    L'album comporte d'ailleurs un excellent dossier qui éclaire les différents points de l'affaire, photos d'époque à l'appui.

    Les dessins de Stalner sont ceux d'une belle ligne claire mais sont ici mis en valeur par une belle et soyeuse colorisation qui parvient à rendre l'humidité poisseuse qui règne en Asie du Sud-Est pendant la saison des pluies.
    Qu'il s'agisse du faste royal, des eaux sombres du fleuve ou du vert impénétrable de la forêt, ces couleurs d'orient sont superbes.
    Le dessinateur a même invité au spectacle tout le folklore indochinois : sampan aux gros yeux bigarrés, maison khmère, moustache et costume colonial, fumerie d'opium, éléphant et panthère, palais royal et temple, eau, fleuve et pluie, ...
    Et bien sûr, les fameuses danseuses royales qui faisaient rêver Rodin.

    BMR Le 23/09/2025 à 17:10:14

    À 20 ans Arthur Rimbaud arrête définitivement la poésie et s'en va se perdre sur les chemins d'Afrique. Alessandra part sur ses traces pour nous livrer le carnet de route que le poète maudit n'a jamais dessiné. Une belle invitation au voyage où les peintures font écho aux vers du poète.

    On ne connaissait pas encore Joël Alessandra, un bédéaste voyageur qui a vécu à Djibouti et déjà suivi les traces d'André Gide au Tchad ou d'Amin Maalouf au Moyen-Orient.
    Il n'est donc pas très surprenant qu'il nous invite ici à suivre les pas d'Arthur Rimbaud dans la Corne d'Afrique, entre Aden et Djibouti, à « Bab-el-Mandeb, la 'porte des larmes'. C'est le détroit qui fait communiquer la mer Rouge et l'océan Indien ».
    Voici ses carnets de voyage : Je est un autre (une phrase célèbre de Rimbaud dans sa Lettre du Voyant à Paul Demeny - 1871)

    Arthur Rimbaud n'a pas vingt ans (vingt ans !) quand il arrête définitivement d'écrire de la poésie et, en 1876, s'engage dans les troupes coloniales jusqu'aux Indes Néerlandaises de Java, puis se fait déserteur pour Alexandrie, Chypre, le Canal de Suez, Djeddah, et enfin Aden et le Harar, une région du nord-est de l'Éthiopie où il s'essaie au commerce de café et d'armes.
    « Ma journée est faite ; je quitte l'Europe. L'air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. »
    « Je suis arrivé dans ce pays après vingt jours de cheval à travers le désert de Somalie. Harar est une ville colonisée par les Égyptiens et dépendant de leur gouvernement. »

    Rimbaud n'a que 26 ans quand il arrive dans la ville sainte de Harar. On l'appelle Ato Rimbo, il fréquente une femme abyssine quelque temps, Mariam, est-ce celle d'un dernier poème ?
    Mais du Harar, la postérité littéraire n'aura droit qu'à quelques lettres du poète maudit échangées avec les siens.
    « Rimbaud n'a plus écrit, non ... pas de vers de fin de vie ... son dernier poème date de 1874, il est mort en 1891. »
    « Moi, je crois qu'il a continué la poésie ... dans sa tête. »

    Alors 140 ans plus tard, Alessandra s'imagine un double de papier (comme en écho au titre de l'album), un autre Joël qui part à la recherche d'un hypothétique dernier poème, même un dernier vers seulement, écrit par celui que Paul Verlaine surnomma « l'homme aux semelles de vent », celui que Paul Delahaye appela « le voyageur toqué ».
    « Une chimère ! Une drôle de quête ! Je crois bien que ce voyage est finalement un prétexte. Une échappatoire. [...] Fuir, en somme. Et si fuir était une bonne chose ? »

    Joël Alessandra est un « poète discret des cases et des encres », c'est ce qu'en dit l'écrivain djiboutien Idris Youssouf Elmi dans sa postface.
    Il fallait du culot pour s'intéresser à ce monument de la littérature, à ce poète maudit qui n'écrivait plus. Pour aller questionner la poésie des Soufis jusque dans leurs villes saintes.
    Mais le magnifique carnet de voyage qu'en a rapporté Alessandra, c'est un peu celui que Rimbaud n'a jamais dessiné, les images qui peuplaient sans doute ses visions à l'époque, dans une région où les maisons et les habitants n'ont peut-être pas tellement changé.

    On tient là un bel et gros objet, 160 pages de papier épais où se déploient les aquarelles d'Alessandra, à couper le souffle : de véritables peintures aux chaudes couleurs exotiques d'autant que la mise en page est un peu celle d'un roman graphique qui laisse place à de belles planches et même de doubles-planches.
    Une très belle invitation à la poésie du voyage et des rencontres que l'on reviendra feuilleter souvent comme un album photos, celles d'un voyage que l'on vient de faire en compagnie de Joël et du fantôme d'Ato Rimbo.

    BMR Le 22/09/2025 à 14:42:50
    Pump - Tome 1 - Un si gentil garçon...

    L'ascension sociale au farwest : une nouvelle série très librement inspirée des immigrés allemands qui se ruaient vers l'or ... comme un certain Frederick Trump.

    Les éditions Anspach ouvrent une nouvelle série Pump dont le titre rappelle malicieusement le nom d'un président états-unien bien trop connu ...
    Au scénario, c'est Rodolphe (Rodolphe Daniel Jacquette) que l'on vient de croiser récemment sur Sprague mais qui lorgne souvent du côté de l'ouest.
    Aux pinceaux, le niçois Laurent Gnoni que l'on va découvrir ici.
    La série est annoncée avec un premier cycle de trois tomes et ce premier épisode a pour titre « Un si gentil garçon ». Joli programme.

    Coup marketing ou simple clin d’œil, l'idée de cette série serait inspirée d'un ancêtre de Donald Trump dont la famille allemande est venue immigrer au farwest au temps de la ruée vers l'or en la personne de Frederick Trump qui fit fortune en ouvrant des saloons et proposant différentes prestations aux orpailleurs un peu esseulés.
    Selon l'adage qui nous rappelle que ce ne sont pas les chercheurs d'or qui se sont le plus enrichis, mais les vendeurs de pelles et d'autres prestataires de services.
    Voilà pour la partie "inspiré d'une histoire vraie", comme on dit !

    On sait aussi qu'au farwest, les bonnes histoires commencent souvent avec une attaque de diligence.
    Le seul survivant de celle qui ouvre l'album est un beau et jeune garçon à la crinière blonde, une gueule d'ange. L'angelot en question s'empresse d'endosser la personnalité de Edward Pump, Eddie, neveu de sa tante trucidée lors de l'attaque.
    Le 'pauvre' garçon est recueilli dans la maison et la famille du shérif. Et même accueilli à bras ouverts (littéralement) par la femme et la jeune fille du shérif.
    Et ce n'est là que le début d'une belle carrière pour le malin Eddie, le blondinet à la gueule d'ange mais à l'esprit diabolique.
    Son ascension sociale est tout aussi passionnante que ses méthodes sont détestables, et l'on ne peut qu'être fasciné par ce loustic peu recommandable, trop beau pour être honnête.

    Il est un peu tôt pour jauger la série qui commence sur ce simple premier épisode mais le scénario se présente plutôt bien, tordu à souhait, immoral en diable. En moins de cinquante pages, le beau Eddie compte déjà pas mal d'entourloupes et de conquêtes féminines à son actif.
    Le dessin est d'une ligne claire bien classique avec des tons bruns, oranges et mauves, qui donnent de chaudes ambiances à cette petite ville de l'ouest où il se passe des choses curieuses ...

    BMR Le 21/09/2025 à 12:18:41

    Attention, une partie d'échecs peut en cacher une autre. Les catalans Cosnava et Carbos nous font revivre le match Karpov-Kortchnoï de 1978 aux Philippines en même temps qu'une intrigue policière sortie de leur imagination machiavélique.

    Les catalans Toni Carbos et Javier Cosnava n'en sont pas à leur première collaboration (ils ont déjà adapté Le dernier lapon d'Olivier Truc) mais les voici qui s'attaquent, avec "Le roi sans couronne", à l'un des grands tournois d'échecs de l'Histoire : celui de 1978 qui opposa, aux Philippines, le soviétique Anatoli Karpov et le russe dissident Viktor Korchnoï.
    L'URSS considérait Korchnoï comme traître depuis qu'il avait fui le pays et s'était réfugié en Suisse.
    Ce match serait donc un peu le match retour de la guerre froide après le combat du siècle qui avait opposé Fischer et Spassky à Reyjavik en 1972, match mythique et objet de nombreux produits dérivés.
    La traduction ( de l'espagnol) est signée Satya Daniel.

    Anatoli Karpov et Viktor Kortchnoï incarnent deux Russies bien différentes et deux jeux d'échecs tout aussi opposés : Karpov est beaucoup plus jeune - 20 ans de moins (27 et 47 ans en 1978).
    Karpov est surnommé l'ordinateur.
    Il y a beaucoup de "vrai" dans cette BD : l'équipe pléthorique du soviétique, le fauteuil et les lunettes de Kortchnoï, l'hypnotiseur Zoukhar, les yogis de la secte indienne soupçonnés de meurtre, toutes ces anecdotes destinées à déstabiliser l'adversaire sont véridiques et habilement intégrées à l'intrigue de cet album.
    Voilà pour le "décor" historique.

    Mais Cosnava nous a également concocté une petite intrigue policière bien tordue, une partie truquée, qui va se dérouler en marge du tournoi d'échecs.
    Un homme croupit dans une cellule philippine depuis des années : Benjamin avait été arrêté pour le meurtre d'un ami (avec lequel il jouait ... aux échecs !) alors qu'il était inconscient, assommé. Il se croit innocent, nous aussi.
    Lors d'un reportage sur le tournoi d'échecs, il reconnait dans l'assistance Melvin, un ancien compagnon, sans doute un agent américain plus ou moins louche qui pourrait l'aider à prouver son innocence ...
    C'est parti pour une double partie d'échecs, l'officielle Karpov-Kortchnoï et l'officieuse qui concerne Benjamin et Melvin, mais attention un pion peut en cacher un autre car « tragique ou heureuse, toutes les histoires ont une fin ».

    La finale de 1978 aux Philippines est beaucoup moins connue que le tournoi islandais de 1972 et c'est tout l'intérêt de cet album que de nous la rappeler avec force détails.
    L'intrigue policière imaginée en parallèle ne manque pas d'intérêt non plus et va s'avérer aussi tordue qu'une finale d'échecs.
    Quant aux dessins, Toni Carbos adopte un côté vintage et désuet qui convient parfaitement à l'époque et qui rappelle un peu l'héritage des comics : aplats de couleurs chaudes, gros traits, ...

    BMR Le 07/09/2025 à 15:09:43
    Rojava - Tome 1 - Tome 1

    Il faut saluer cette sympathique mise en images du combat des femmes du Kurdistan : il n'y a pas que des barbus au Moyen-Orient.

    La rentrée littéraire c'est aussi des albums BD : voici Rojava avec Aurélien Ducoudray au scénario et Sébastien Morice au dessin.
    Sa formation d'architecte permet à S. Morice de se montrer très réaliste dans les scènes de guérilla urbaine au cœur des ruines syriennes et A. Ducoudray a réalisé de son côté un gros travail de documentation pour décrire cet épisode de la guerre civile syrienne.
    Un second épisode est programmé : on a déjà hâte !

    L'héroïne, Rojava, est une très jeune femme kurde (16 ans !) qui s'engage comme sniper (snipeuse ?) dans les YPJ, la déclinaison féminine (depuis 2013) des YPG (Yekîneyên Parastina Gel : Unités de Protection du Peuple), la branche armée de la lutte pour l'indépendance du Kurdistan au Moyen-Orient.
    La nouveauté peut-être, c'est que les dirigeants des unités YPJ sont des dirigeantes, leurs chefs sont des cheffes, et ça c'est un peu nouveau dans l'histoire du combat au féminin.
    Leur cri de ralliement : « La vie ! La femme ! La liberté ! »
    L'ironie de la chose (si ironie il y a ici), c'est qu'elles sont devenues les bêtes noires de Daesh : aux yeux des barbus intégristes, se faire tuer par une femme est déshonorant et ferme la porte du paradis ...
    Rojava c'est aussi le nom de la région du nord de la Syrie, c'est donc la partie sud-ouest du Kurdistan.
    Lorsque la snipeuse Rojava débarque dans l'album, elle tient le rôle principal dans un reportage Youtube filmé par des journalistes occidentaux, ce qui ne plait pas forcément à la commandante de la section, Rukan.
    Pour la petite histoire, A. Ducoudray a eu cette idée en lisant (chez son dentiste !) un reportage-photo de Paris-Match sur des combattantes kurdes vêtues de propre, maquillées, baskets neuves aux pieds, comme à la fashion-week : sans doute un peu d'habile propagande de la part du PKK !

    Au premier abord, on pourrait croire à une BD pour ados, mièvre et éducative : l'héroïne est moitié snipeuse moitié youtubeuse et il y a même dans l'équipe une gamine qui collectionne les photos de martyrs !?
    De plus, A. Ducoudray parsème son récit de blagues anti-Daesh histoire de détendre un peu une atmosphère de guérilla pour le moins tendue.
    Mais ce n'est qu'une amusante façade, et le propos, très documenté, va s'avérer bien plus sérieux que cela.
    « [...] Après mon premier affrontement, j'ai décidé de ne plus avoir mes règles ... À partir de là, j'étais dans un monde où il n'y avait plus que la mort, donc continuer chaque mois d'avoir un rappel que je pouvais donner la vie, ça ne coïncidait pas avec ce que je vivais ... »
    Ou bien encore :
    « [...] - Tiens, mets ce caillou dans ton slip. Chaque fois que tu seras couchée pour tirer, ça te griffera le ventre et tu t'endormiras pas ... Le confort c'est l'ennemi du sniper. »
    Pour cette dernière anecdote, A. Ducoudray s'est sans doute inspiré du livre de Azad Cudi, célèbre sniper kurde iranien ("Sniper - Ma guerre contre Daech" éditions Nouveau Monde).

    On sait que les guerres changent les pays et les frontières, mais aussi les habitants et les mœurs. Les américains l'ont découvert à la fin de la Seconde Guerre Mondiale quand les noirs sont revenus au pays après avoir servi dans les armes et été acclamés en libérateurs en Europe, ... tout comme les blancs, ou bien encore quand les GI sont rentrés chez eux et ont retrouvé des femmes qui avaient pris les affaires en main ... en leur absence.
    Les femmes des brigades YPJ espèrent qu'il en sera de même au Kurdistan, si du moins ces guerres prennent fin un jour.
    « [...] Contre Daesh, on est tous égaux, mais après ?
    Ils me respectent parce que j'ai un fusil et un uniforme. Change le costume, le respect part avec.
    Notre plus grand combat après Daesh, sera celui d'une société mixte vraiment égalitaire. »

    Les dessins de S. Morice sont ceux d'une belle ligne claire et laissent toute la place à l'intrigue et aux personnages, dessinés et typés avec soin. On a déjà évoqué son passé d'architecte et la colorisation comme les éclairages font ressortir les différentes ambiances : le bleu pour la nuit sur la terrasse, le rouge au fond des tunnels creusés sous la ville, les ocres du désert, ...

    BMR Le 06/09/2025 à 09:11:38

    Ambiance années 20 pour cette aventure aérienne de Bix et Tillie, les Bonnie and Clyde des airs. Le dessin glamour de Tula Lotay, très original, vaut à lui seul le baptême de l'air.

    Le barnstorming c'était le cirque volant que pratiquaient dans les années 20, les pilotes US démobilisés de la première guerre mondiale, les fous volants : cascades et prouesses étaient exécutées en plein ciel pour épater les fermiers du monde rampant (et récolter quelques subsides grâce aux baptêmes de l'air qui étaient proposés).

    L'américain Scott Snyder (venu des comics US) signe un scénario qui nous emmène survoler les champs de sorgho et de soja US que viennent rehausser les superbes dessins de Tula Lotay alias Lisa Wood (une dame, c'est peu fréquent et il faut le souligner).
    Leur collaboration date des années 2010 avec la série "American Vampire" et en 2023, ils ont produit "Barnstormers", une série en ligne [Comixology désormais Amazon] dont est tiré l'album papier d'aujourd'hui, adapté des premiers épisodes.
    La superbe colorisation est signée par l'irlandais Dee Cunniffe.

    Lui, c'est l'as des pilotes, Hawk E. Baron (ou Bix Huckett c'est selon). Glorieux héros, beau gosse et bon pilote de sa Jenny (le surnom du Curtiss JN4), du moins jusqu'à que son avion s'écrase au beau milieu d'une réception de noces.
    Elle, c'est la mariée, Tillie (ou Petra Zolatskyi, c'est selon), une brune fatale qui, du haut des talons de ses santiags, renvoie toutes les blondes au vestiaire.
    « [lui] - Je ne suis pas ... un mec bien.
    [elle] - Tu me le jures ? »
    Et hop, c'est parti pour un « périple qui va terroriser certaines des plus riches familles du pays, et qui laissera cent onze cadavres », excusez du peu.
    Mais les années 20 c'est aussi le temps de l'agence Pinkerton et un de leurs agents se retrouve bientôt aux trousses de Bix et Tillie, les Bonnie and Clyde des airs.
    Alors on espère très fort que ça finira peut-être pas si mal que ça, et on voudrait bien croire « qu'ils sont trop hauts pour être atteints, trop rapides pour être pris. »

    On est vraiment emballé par le dessin de Tula Lotay aux influences multiples : comics, roman photo, affiches de spectacles ou de cinéma, ...
    Et le côté glamour qui sied à cette histoire tragique mais terriblement romantique, est rehaussé par une colorisation qui rappelle les effets obtenus à l'aérographe.

    À tel point que le scénario, plutôt classique, de Scott Snyder ne semble là que pour permettre à la dessinatrice de déployer tout son talent. Mais sur fond de lutte des classes, un vent de liberté souffle suffisamment fort pour bousculer les conventions et l'intrigue se révèle d'une finesse inattendue, dépassant largement le simple hommage nostalgique à l'ambiance désuète des films d'antan.

    BMR Le 09/08/2025 à 08:40:49

    Histoire belge : celle de la parade bruxelloise Ommegang de 1549, ressuscitée en 1930 et fêtée chaque été depuis. Un album historique et folklorique pour mieux connaître ce pays.

    Voilà un album bien curieux que ce Ommegang 1930.
    Le scénariste Patrick Weber est un historien belge, journaliste et romancier, déjà auteur de plusieurs BD historiques.
    Thomas Liera, fils d'un mineur italien, est un dessinateur formé aux US et en Italie.

    Le contexte : à Bruxelles en 1930, alors que la jeune Belgique s'apprête à fêter son centenaire, quelques passionnés se rassemblent autour de l'historien Albert Marinus pour ressusciter une parade médiévale, l'Ommegang (marcher autour), sur le modèle du fastueux Ommegang de 1549 qui avait été organisé en l'honneur de Charles Quint pour montrer à l'empereur la puissance économique et militaire de Bruxelles.
    À l'époque de Charles Quint, la Belgique n'existait pas encore et Bruxelles faisait partie des Pays-Bas Espagnols.
    Aujourd'hui, chaque année, l'Ommegang de Bruxelles a lieu en juillet et c'est une tradition folklorique reconnue comme Patrimoine culturel par l'Unesco.
    Les auteurs de la BD nous font revivre cet authentique Ommegang de 1930 en imaginant une petite intrigue criminelle.

    L'album : alors que l'Ommegang s'apprête à revivre en 1930, un des notables de la ville est transpercé d'un carreau d'arbalète. Est-ce que quelqu'un chercherait à saboter la renaissance de cette fête ?
    Un jeune journaliste, Stanislas, une sorte de Rouletabille local, va mener l'enquête ... et nous faire visiter les coulisses du spectacle qui se prépare.
    Mais les années 30 sont bien troubles et une société secrète semble prête à tout pour déstabiliser le pays et empêcher la renaissance de ces festivités nationales. En ces temps agités, il faut tout envisager : « anarchistes, fascistes, extrémistes » à moins que « la clé de ce mystère se trouve dans l'histoire » car la petite Belgique a toujours attiré la convoitise de ses grands voisins.

    ➔ Amateurs d'intrigues policières et fans de Rouletabille, passez votre chemin ! L'intrigue criminelle n'est ici qu'un gentil prétexte pour nous faire visiter les coulisses de cette parade bruxelloise et nous faire partager les enjeux historiques autour de cette fête nationale belge.
    Les auteurs nous apprennent ainsi beaucoup de choses sur la Belgique, un pays que l'on ne connait finalement pas très bien, et dont l'Histoire mouvementée est celle d'un petit pays convoité par toutes les grandes puissances européennes.
    ➔ Les dessins de Thomas Liera font évidemment honneur à la fameuse ligne claire belge et la reconstitution est particulièrement soignée (vues de Bruxelles, costumes, ancrage historique, ...) : l'album a même été conçu en collaboration avec les organisateurs de l'Ommegang 2025.
    La BD est également assortie d'un dossier documentaire réalisé par le scénariste et historien Patrick Weber.

    BMR Le 23/07/2025 à 20:20:26

    Les auteurs ont décidé de commémorer le discours de Martin Luther King et les événements d'août 1963 à leur façon, avec un polar sombre et poisseux où se déploie toute la noirceur humaine. Un "polar historique" peu commun mais franchement réussi.

    Le scénariste Laurent-Frédéric Bollée est bien connu de nos services : ce journaliste adepte des sports mécaniques a signé plusieurs BD dont la magistrale histoire de "La bombe" atomique.
    Le voici associé avec le dessinateur Boris Beuzelin, un habitué des albums "policiers" et des adaptations de romans noirs (Siniac, Fajardie, ...), et tous deux célèbrent à leur façon le fameux discours du Dr. Martin Luther King Jr. le 28 août 1963 à Washington.
    Notons au passage que cet album Black Gospel est sorti en juin et bénéficie d'un joli coup de projecteur grâce à l'inénarrable Trump qui vient tout juste de déclassifier les dossiers relatifs à l'assassinat de Martin Luther King (en 68) !

    Laurent-Frédéric Bollée n'a pas oublié son métier de journaliste et il a construit l'arrière-plan historique de son intrigue sur plusieurs faits bien réels.
    On l'a dit, le 28 août 1963, Martin Luther King prononce son fameux discours ponctué de quatre mots devenus les plus célèbres de l'Histoire : « I have a dream ».
    Le jour même deux jeunes femmes blanches sont assassinées à Washington, c'est l'affaire des Career Girls dont le coupable ne sera jamais identifié.
    Et la veille du célèbre discours, William Edward Burghardt Du Bois, un intellectuel black (que l'on peut voir comme l'un des précurseurs de Martin Luther King) s'éteint au Ghana où il avait fui les persécutions US.
    Depuis cette gigantesque manifestation d'août 1963, chaque année des cérémonies sont organisées à Washington, en mémoire du discours emblématique contre la ségrégation raciale.

    En août 1983, Washington s'apprête à commémorer le vingtième anniversaire du discours de Martin Luther King.
    Au même moment, la police du NYPD découvre à Manhattan deux jeunes femmes noires sauvagement poignardées. Elles démarraient leur carrière comme avocates. Sur le mur un message sibyllin, inscrit en lettres de sang : M2817.
    L'assassin semble vouloir jouer les copycat du double meurtre sauvage d'août 63.
    « [...] Voir qu'un type recrée un meurtre vieux de vingt ans à New York me fait dire qu'on n'est pas à l'abri ici à Washington ... »
    Un flic de New York, Jack Kovalski, va devoir faire équipe avec un collègue de Washington, Jimmy Chang, d'origine asiatique et Kovalski propose d'emblée une franche et virile collaboration : « Ne te fais pas d'illusions Shanghaï. Les jaunes m'ont toujours cassé les couilles ».
    Kovalski n'aime pas trop les noirs non plus : son père et son grand-père étaient flics et « les deux se sont fait buter en patrouille par des noirs ». Voilà, quelques cases et le décor est posé !
    Mais quels sont les liens entre ces personnages, entre ces événements, entre ces dates ? Les meurtres aux États-Unis de 1983 ont-ils leurs racines dans le Ghana de 1963 ?

    Si l'intrigue est celle d'un polar on ne peut plus classique, c'est également un album nourri d'une belle documentation et L.F. Bollée nous apprendra plein de choses sur ces personnages et événements réels, d'autant que les auteurs ont choisi une structure en flash-back empruntée aux romans.
    À l'aide d'allers-retours entre les périodes (1963, 1983, 2013, ...), l'imbrication complexe entre les différents éléments de l'intrigue reste fluide et permet de faire connaissance peu à peu avec chaque personnage et son passé.

    Côté dessins, le noir & blanc est décidément très à la mode et celui de Boris Beuzelin, très contrasté, très noir (sans mauvais jeu de mots), exsude toute la sombre et poisseuse violence qui convenait à ce récit.
    Car il s'agit bien d'une histoire bien noire où l'on devine un prêtre animé des pires desseins, pris dans une folie toute personnelle.

    BMR Le 29/06/2025 à 16:51:48

    Le scénario est signé par le normand Bruno Duhamel (né en 75), un bédéaste aussi à l'aise avec les pinceaux qu'avec la plume, et qui est coutumier des personnages un peu décalés, en marge de notre bonne société.
    Pour cet album Whisky, il a confié le dessin au franc comtois David Ratte (né en 70) sur les conseils de l'éditeur et le résultat confirme la pertinence du tandem.

    Les personnages et le canevas :
    Un vieux SDF, c'est Théo. Un jeune réfugié kurde, c'est Amir.
    Théo et Amir vont "trouver" un petit chien sympa comme tout qu'ils baptiseront Whisky.
    Le SDF devient vite papy gâteux, comme tout le monde avec un chien comme celui-ci.
    Le réfugié, lui, ne supporte pas la bestiole, « on n'a pas assez pour nourrir ». Un animal qui lui rappelle certainement son pays ravagé par la guerre, où les chiens tenaient plus de la hyène ou du chacal que du yorkshire sorti du toilettage.
    Alors ménage à trois ? Ou pas ?

    ♥ On aime :
    ➔ Nos deux compères "vivent" tous deux sous le même pont mais ne partagent pas tout à fait valeurs et cultures, ce qui nous vaut de savoureux dialogues.
    « [...] - Allez l'arabe ! Au boulot !
    - Pas arabe. Kurde.
    - Ouais, c'est pareil. Au boulot ! »
    Leur boulot, c'est « du vrai boulot de survivaliste » : chaparder quelques fruits au marché et fouiller les poubelles, tout cela sous le regard bienveillant d'affiches publicitaires pour la nourriture ayurvédique pour chats ou les compléments alimentaires en gélules. Décalage, on a dit ?
    ➔ Et puis il y a les petites leçons de vie dispensées par le vieux Théo, bougon et réac.
    « [...] - Tu pas aimer artistes ?
    - Leçon du jour mon gars ...
    Si tu veux pouvoir profiter d'un des rares terrains vagues qui existent encore, ne laisse JAMAIS les artistes s'y installer !
    Les artistes, c'est l'avant-garde de la bourgeoisie ! »
    ➔ Côté dessins, une ligne claire classique et bien lisible, avec des personnages croqués comme il faut et bien expressifs.
    Côté intrigue, on frôle parfois le gentil conte de Noël pour ados (ça se passe en hiver sous la neige) mais derrière cette façade charmante, Duhamel réussit à glisser quelques critiques acerbes sur notre société bien organisée pour vivre confortablement à l'écart de ses sdf. Il faut même plusieurs lectures pour en profiter pleinement.
    Avec le duo Kurde/SDF qui fonctionne parfaitement (belle trouvaille), le scénario s'avère bien plus malin qu'on ne le pensait. L'album est plein de charme et de poésie (la vie des SDF n'est peut-être pas aussi sympa que cela) et les deux personnages - oops, pardon pour le chien - les trois personnages sont vraiment attachants.

    BMR Le 16/06/2025 à 11:43:48
    Les gorilles du Général - Tome 1 - Septembre 59

    Premier épisode d'une reconstitution minutieuse (et nostalgique) du travail des gardes du corps qui se vouèrent corps et âmes au Général de Gaulle pendant de longues années : un point de vue inédit sur la politique des années 50-60 et les débuts de la Ve République.

    Xavier Dorison est un scénariste qui a connu le succès très jeune, dès ses 25 ans, avec Le troisième testament. Il a mis la main à la pâte pour de célèbres séries comme XIII ou Thorgal. Il écrit également pour la télé et le cinéma.
    Il est né en 1972 et n'a donc pas connu De Gaulle mais il avoue sa fascination pour les "mentors" et cette tranche d'Histoire, cette France un peu désuète, est un peu son passé fantasmé.
    L'idée de ces Gorilles du général lui est venue d'un reportage réalisé en 2010 par le journaliste Tony Comiti, le fils de l'un des fameux gorilles du général.
    Julien Telo est tombé très jeune dans la marmite du graphisme et s'est fait un nom du côté de l'heroic-fantasy. Il a réalisé ici un gros travail de documentation pour cet album immersif, en visionnant notamment de vieux films en noir et blanc pour s'approprier l'époque, ses costumes, sa gestuelle, ...
    La fin de l'album est augmentée d'un cahier qui justifie les "libertés historiques" que les auteurs ont prises pour bâtir leur fiction (et que je vous conseille de lire avant la BD car on y apprend plein de choses sur le contexte de l'histoire et sur leur travail).
    À noter que cet album ne couvre que septembre 1959 et n'est que le premier épisode d'une longue série prévue par Dorison et qu'il sort en deux formats, classique en couleurs et prestige en noir et blanc (c'est plus d'époque !).
    On a déjà hâte que le tome 2 nous emmène jusqu'en décembre 1959, à Colombey.

    Les quatre mousquetaires, les quatre gorilles, ce sont les gardes du corps du Général De Gaulle recrutés après guerre pour l'accompagner dans ses déplacements et le protéger quoi qu'il arrive (en 1959, les attentats se multiplient et le Général est menacé de toutes parts).
    Le vrai Roger Tessier devient dans la BD Georges Bertier, mais toujours avec une vraie tronche de gorille. Il pratiquait la boxe.
    Le corse Paul Comiti, le patron des quatre gorilles est également président du sulfureux SAC. Il est incarné ici par Ange Santoni.
    Henri Hachmi, d'origine kabyle, sera Alain Zerf.
    Raymond Sasia, l'ancien du SDECE, diplômé de l'Académie du FBI, devient Max Milan. Son recrutement imprévu au sein des quatre mousquetaires fait des étincelles et lance cette histoire sur les chapeaux de roues.
    Jacques Foccart, l'éminence grise de De Gaulle à la réputation sulfureuse, se cache derrière Le Chanoine.
    Et puis bien sûr, il y a « Pépère », c'est avec ce (vrai) nom de code affectueux que ses gorilles appellent le Général De Gaulle.
    On croisera beaucoup de monde, du beau monde, du moins joli, des gens connus comme Malraux, d'autres moins et même quelques personnages fictifs pour le scénario.
    Allez hop, tout le monde est en place, c'est parti pour « une histoire de trahisons et d'espoirs, de grandeurs et de déceptions, de victoires et d'échecs ».
    Une histoire qui comme celle de la Ve République commence dans le guêpier de l'Algérie ...

    Bien sûr, on ne peut éviter la référence à cette autre BD : Cher pays de notre enfance du bédéaste Etienne Davodeau et du journaliste Benoît Collombat. Un album qui allait fouiller dans les poubelles du SAC, sulfureuse organisation que l'on retrouve encore ici bien sûr.
    Mais le scénario de Dorison adopte un point de vue beaucoup moins journalistique.
    Bien sûr les questions politiques seront au cœur du récit mais ce qui intéresse les auteurs ici ce sont ces fameux gorilles dévoués corps et âmes (et ce n'est pas une formule) à leur Général au point d'y sacrifier famille et amis, leur vie donc.
    C'est ce qui rend ce récit humain, captivant, passionnant : parce qu'on ne nous demande pas de prendre fait et cause pour une personnalité publique légendaire, forcément un peu distante, mais plutôt de nous intéresser aux quatre bonshommes qui se déplaçaient partout avec lui.

    Et puis il y a la reconstitution nostalgique de ces années passées, au charme sans doute un peu fantasmé, et teintées ici de cet humour sec et froid, façon Audiard, ambiance Lino Ventura.
    Comme dans :
    « [...] C'est un peu tôt pour déjeuner ... mets-nous trois bières, Marlène ... et un rillettes-cornichons pour moi, pour accompagner quoi ... »

    Côté dessin, c'est un méticuleux travail de reconstitution que Julien Telo a entrepris, photos à l'appui. Le cahier explicatif en fin d'ouvrage montre même le parallèle entre des images d'époque et les planches que le dessinateur en a tirées.
    Un dessinateur qui laisse toute la place à ses nombreux personnages, cadrages en gros plans, vêtements et trognes caractéristiques, facilement reconnaissables. On passe de l'intime (un déjeuner champêtre en famille) au défilé officiel (motards et Simca) puis au thriller tendu (une rue noire sous la pluie).
    De temps à autre, une scène beaucoup plus dure fait taire la nostalgie, la politique et l'humour, comme celle où les gorilles doivent s'occuper du journaliste pro-FLN et « nettoyer la merde pour que le Général ait pas à patauger dedans ».

    BMR Le 13/06/2025 à 16:47:00

    Le très beau noir & blanc de Chapouté nous invite au voyage, avec cette petite histoire tranquille et ordinaire. Une invitation à ouvrir notre regard non pas sur un lointain Alaska, mais bien sur le monde qui nous entoure ici et maintenant..

    L'alsacien Christophe Chabouté est né en 70 et l'une de ses premières BD à rencontrer le succès sera Pleine lune, un récit policier publié en 1999. La consécration internationale viendra avec Tout seul, un album sorti en 2008.
    Depuis le début de sa carrière, Chabouté reste fidèle à ses propres standards : un noir & blanc clair et précis, des héros plutôt ordinaires, une mise en page dynamique et des récits de peu de mots.

    Alexandre est gardien de parking. Gardien de nuit. Et pour une fois, il a décidé de partir plus loin qu'ailleurs.
    « [...] - Et qu'est-ce que tu vas faire pendant des vacances ? T'en as jamais pris de ta vie !
    Ça fait bien 20 piges que tu as le cul vissé sur cette chaise toutes les nuits. le nez dans tes dessins.
    - Je pars en Alaska !
    [...] Je vais faire un trek. L'Alaska, le Klondike, le bout du monde quoi. »
    [...] Je vis au même endroit depuis bientôt 28 ans. Je n'ai jamais vu la tête de mes voisins. Je n'ai jamais dit bonjour à mon facteur. Je ne sais même pas à quoi il ressemble. Je vis dans un quartier que je ne connais pas. [...] Une vie de hibou. »
    Le voici donc qui se prépare à suivre les traces de Pete Fromm, son livre de chevet, après avoir glissé le "Manuel du randonneur" dans son sac. Jusqu'à l'aéroport tout va bien.
    Mais là, patatras, son voyage est annulé. Et double patatras, Alexandre se casse la cheville dans les escalators. le voilà de retour à la case départ où l'envie le reprend de radicalement changer d'air ou de point de vue : il prend donc une chambre dans l'hôtel ... en face de chez lui, juste de l'autre côté de la place.
    À défaut d'ours polaires et de grands espaces il va enfin pouvoir découvrir son quartier et ses habitants. Étudier ses voisins (nous ?), leurs chaussures, leurs téléphones, leurs comportements, les bruits, les couleurs, les petits papiers jetés ici ou là.
    Et le soir, de retour à son hôtel, Alexandre prend des notes dans son carnet de voyage.
    La première sera : « partir en restant ».
    Chaque "randonnée" autour de la place du quartier est l'occasion pour Alexandre et son lecteur, d'une petite leçon de vie, comme on dit.

    ➔ Les dessins de Chabouté sont passionnants. Ce beau noir & blanc net, précis, laisse entrevoir de nouveaux détails à chaque lecture. Les pages ne sont pas envahies de bulles verbeuses ou explicatives et c'est avec l'enchaînement des plans, des cadrages, leur répétition, que le lecteur devine ce qui se trame.
    ➔ Il y a là ce ton paisible des histoires tranquilles et ordinaires. Une astucieuse histoire qui se conclut de jolie façon, dans une ambiance qui rappelle beaucoup celle des albums d'Etienne Davodeau.
    ➔ Et puis il y a là les petites leçons de vie qui nous sont dispensées, sans prétention, destinées à ouvrir notre regard non pas sur un lointain Alaska, mais bien sur le monde qui nous entoure ici et maintenant. Pour « se dépoussiérer les yeux » sur notre environnement, les passants, les voisins, ...
    On frôle parfois la gentille philosophie quand une simple liste de courses devient une « nature morte » ou même la question existentielle quand on se demande si « un poisson au fond de l'eau entend râler le pêcheur assis sur la berge ? ».
    Malgré ses apparences trompeuses ou paradoxales, cet album est tout de même un bel appel aux voyages.

    BMR Le 11/06/2025 à 09:21:43

    Un album qui fera le bonheur des fans de science-fiction et de space-opera où l'humanité est en train d'épuiser les stocks d'un minerai vital pour sa survie.
    Tiens donc !?

    Ah ce fameux Jour de dépassement, dont on nous rebat les oreilles chaque année, et de plus en plus tôt !
    En cette année 2025, nous avions épuisé nos ressources dès le ... 19 avril !
    En anglais l'album s'intitulait "The hard switch" mais la traductrice-éditrice, Marie Lavabre, a eu la bonne idée de rebondir sur cette rengaine annuelle, ce gong fatidique, pour un titre qui résonne lui-aussi, et bien en accord avec le propos de l'album.
    L'auteur de cette fable d'anticipation c'est le britannique Owen D. Pomery qui a d'abord pu aiguiser ses crayons dans l'architecture avant de se mettre au roman graphique.

    Owen D. Pomery nous propulse bien au-delà du 19 avril 2025, plutôt du côté de 3025 même si ce n'est pas dit. L'humanité a déjà conquis de multiples planètes dans toute la galaxie mais les stocks du minerai qui permet la super-propulsion (l'alcanite) seront bientôt épuisés.
    Les planètes vont bientôt de retrouver isolées les unes des autres et l'humanité se replier dans le chaos.
    Bien évidemment l'allégorie est transparente avec notre époque dont les ressources s'épuisent (et notamment celles de notre propre carburant propulseur).
    Mais revenons à l'alcanite : Ada et Haika sont deux jeunes femmes audacieuses qui tentent de récupérer ici ou là, sur des vaisseaux naufragés quelques grammes du précieux minerai.

    ➔ C'est un album qui pourra faire le bonheur des fans de science-fiction classique et de space-opera d'autant que certains dessins peuvent peut-être évoquer l'héritage de Moebius. On va même croiser quelques petites bêtes curieuses.
    On l'a dit, Owen Pomery a étudié l'architecture et cela se ressent dans son coup de crayon, bien plus à son aise pour saisir les panoramas et les perspectives spatiales que pour détailler les visages, souvent réduits à leur plus simple expression.
    On aime ou on n'aime pas (moi, pas trop j'avoue) mais on peut facilement se laisser bercer par ces planches un peu naïves.
    ➔ Et puis il y a cette histoire, plutôt bien vue, d'humanité intergalactique qui court à sa perte et se désorganise. Une histoire où toute ressemblance avec des faits et des humains existants serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence.
    ➔ Malheureusement le lecteur restera un peu sur sa faim puisque l'album se termine sur une fin très ouverte qui laisse présager une suite. Que vont devenir Ada et Haika ?
    Un album curieux qui laisse un petit goût d'inachevé avec des dialogues taillés à l'emporte-pièce et des personnages souvent peu expressifs (Ada, Haika, ...) ou peu exploités (les bestioles comme Mallic ou Hodge).

    BMR Le 03/06/2025 à 20:06:41

    Cet album est un véritable reportage militant pour témoigner de la surpêche le long des côtes atlantiques d'Afrique (ici en Gambie) et des conditions de vie des laissés-pour-compte du développement mondial.

    Le scénariste Laurent Galandon (né en 70) est un habitué des causes sociales ou politiques et le dessinateur Jean-Denis Pendanx (né en 66), qui connait bien l'Afrique, le Soudan notamment, témoigne régulièrement de son engagement humanitaire.
    C'est un voyage-reportage en Gambie qui leur a inspiré cette histoire, presque une histoire vraie, une histoire de pêcheurs : Les poissons, eux, ne pleurent pas.
    La Gambie, c'est un tout petit pays de la côte Atlantique, une mince bande de terre le long du fleuve du même nom, une ... ancienne colonie britannique, complètement enclavée dans le Sénégal, ... ancienne colonie française.

    Les auteurs nous emmènent à Gunjur, un village de pirogues de pêche sur la côte Atlantique.
    L'entreprise chinoise (Silver Lead dans l'album, c'est Golden Lead dans la vraie vie) s'accapare la pêche locale - y compris en armant de gros chalutiers - pour la transformer en farine de poissons à exporter.
    Les articles du Monde ou de la BBC sont là pour nous rappeler que les auteurs n'ont pas eu besoin d'inventer une fiction : les images rapportées de leur reportage se suffisent à elles-mêmes (il y a d'ailleurs un encart photos en fin d'album).
    Cet album est le fruit d'un projet réalisé avec l'Alliance Française de Bunjul, la capitale du pays : les auteurs y furent accueillis en résidence fin 2023.

    ➔ Après leur voyage-reportage, les auteurs nous invitent à suivre le quotidien d'une famille de ce petit village de pêcheurs. Les hommes partent plusieurs jours en mer, croisant entre les gros chalutiers, pêchant de plus en plus loin, pour ramener de moins en moins de poissons. Un poisson qui devient trop cher pour la consommation locale et qu'ils revendent à l'usine chinoise de farine animale.
    Leurs enfants espèrent un avenir meilleur après l'école mais les pêcheurs sont obligés de s'endetter pour les filets et les moteurs de leurs pirogues.
    ➔ le récit est plutôt factuel, réaliste, presque documentaire et s'efforce de couvrir différents aspects de la vie locale (quotidien, pêche, pollution, éveil écologique, émigration, ...), tout cela sans trop jouer sur la corde sensible. Ce serait pourtant facile tant est dure la vie de ces laissés-pour-compte du développement mondial.
    ➔ le dessin de Pendanx, façon aquarelle, prend parfois des allures de carnet de voyage ou emprunte le petit côté naïf des illustrations africaines. Il sait se faire coloré et poétique quand il doit nous raconter une fable, dramatique quand une scène de pêche tourne mal, violent et sévère quand la police se met à charger les manifestants, …
    Bien sûr, c'est pas un album de ceux qui font rêver, plutôt un de ceux qui font réfléchir ou tout au moins ouvrir les yeux.

    BMR Le 03/06/2025 à 14:43:05

    De très beaux dessins et une colorisation grandiose : ce sont les images qui racontent l'histoire. Un court récit, comme une nouvelle, l'histoire d'un homme taiseux et solitaire qui erre comme un fantôme dans les rues d'une ville déserte, hors-saison.

    Enfant, le scénariste français Mark Eacersall a grandi dans le souvenir de l'atelier de son père qui, le dimanche, peignait d'après des cartes postales d'Espagne. De quoi alimenter son imagination puisqu'il nous invite, avec cet album, dans une station balnéaire hors-saison.
    C'est le normand James Blondel qui signe les dessins et la remarquable colorisation de Calle Málaga.

    Quelque part en Espagne, Calle Málaga s'étouffe sous les couleurs orangées du soleil, même si l'on est encore hors-saison.
    Dans cette ambiance de ville fantôme, erre un jeune homme solitaire. Son visage reste souvent dans l'ombre des éclairages somptueux de Blondel : l'homme seul est comme un spectre dans la ville déserte.
    Le gars est un sombre taiseux et on devine bien sûr qu'il est en cavale, qu'il fuit la police et peut-être même ses complices.
    Sur le palier de son appartement, il fait la rencontre d'un personnage sympa, un petit gros jovial, un peu envahissant, qui va même l'emmener dans la sierra pour admirer les fleurs du printemps.

    L'album est court, le récit également : s'il s'agissait d'un écrit on parlerait d'une nouvelle.
    Un personnage ou deux, le décor de la ville déserte, deux ou trois péripéties à peine suggérées, des souvenirs presque, et la chute.
    C'est remarquable d'autant que ce ne sont pas les bulles et les dialogues qui viennent envahir ces très belles planches. Mark Eacersall le dit lui-même : c'est « une narration silencieuse, où ce sont les images qui parlent ».

    Et puis il y a les planches de James Blondel : une ligne bien claire et très nette magnifiée par une colorisation superbe. C'est sans hésitation, un des plus beaux albums qu'on ait vus cette année.
    Alors qu'en reste-t-il une fois l'album refermé ?
    « Une nuit à la belle étoile ... avec un ami. ».
    Ah, voilà une belle conclusion.

    BMR Le 02/06/2025 à 12:10:45

    L'album reprend la diatribe écologique qu'était le bouquin de Norek. Plus qu'une alerte, c'est une véritable alarme et qui résonne très fort.
    Le fond comme le ton sont sans appel : un thriller pré-apocalyptique.

    Tout comme Caryl Férey, Olivier Norek fait partie de ces écrivains qui aiment adapter leurs romans en albums de bande dessinée. Et on aime bien ça.
    Comme son polar Surface par exemple (Michel Lafon - 2022).
    Cette fois-ci il n'a pas choisi son bouquin le plus facile : Impact (sorti en 2020), un véritable pamphlet écologique, assez controversé d'autant qu'une lecture rapide pouvait laisser croire à une apologie de l'éco-terrorisme.
    L'album reprend le titre du roman, Impact - Green War, et c'est Fred Pontarolo qui prend les pinceaux, avec pour commencer cette belle couverture d'un panda qui pleure des larmes de sang.
    Une histoire qui pourrait être une version romancée du Monde sans fin de Jancovici et Blain.

    Depuis le roman, l'histoire est connue : Virgil Solal, ancien militaire, ancien flic, a basculé du côté obscur à la naissance de sa fille. Une enfant mort-née pour cause de pollution.
    Après ce drame, Virgil est devenu un éco-terroriste, et pour faire court : Norek Virgil est en colère.
    La trame du récit est donc celle d'un thriller policier (Norek est aux commandes !) : après le PDG du Groupe Total et une dirigeante de la Société Générale, qu'est-ce qu'ont prévu les "terroristes", comment les arrêter alors que les réseaux sociaux s'enflamment pour la cause défendue ?
    C'est une psychologue, une "profileuse", qui va faire avancer l'intrigue. Elle se soigne aux anxiolytiques contre divers troubles : « agoraphobie, haptophobie, entomophobie, germaphobie, hypocondrie, rien qui ne puisse gêner la mission ».

    ➔ L'album reprend cette alerte planétaire, cette diatribe écologique qu'était le bouquin.
    Plus qu'une alerte, c'est une véritable alarme et qui résonne très fort.
    Même si le discours reste soigné et mesuré : « Je n'ai rien d'un utopiste. Et je connais les faiblesses des énergies renouvelables. le rendement des éoliennes est trop variable. Les panneaux photovoltaïques sont faits de métaux rares, recouverts du sang des gosses qui les sortent des mines. Les voitures électriques ont leurs batteries et le nucléaire a ses déchets. »
    Mais le fond comme le ton sont sans appel et l'album est imagé d'encarts qui illustrent les pires désastres écologiques de notre planète, tout cela est bien documenté.
    Pour dire vrai, je n'ai pas lu le bouquin original mais je me demande si cette mise en images n'est pas encore plus appropriée au message qui nous est délivré.
    ➔ Côté dessins, le crayon de Pontarolo est connu et peut déconcerter ou même sembler brouillon, d'autant que même les cases se gondolent parfois. On aime ou on n'aime pas. Nous pas trop, mais cela ne justifie pas de passer à côté du texte, généreusement retranscrit dans les pages de cet album.
    ➔ D'autant que le ton du pamphlet très didactique n'est guère édulcoré par les images : État et Justice sont mis au banc des accusés, quand « l'appareil politique, désarmé, n'est plus que le syndic des ambitions des plus riches ».
    Olivier Norek n'oublie pas de poser quelques bonnes questions : « L'écologie sans révolution, c'est du jardinage.».
    Ou bien encore : « Nous ne ferons rien sans nous allier au capitalisme. ».
    ➔ Alors rendez-vous dans quelques années puisque « les glaciers disparaîtront probablement tous d'ici 2040. Nous savons ce qu'il se passe et ce qu'il faut faire. Vous seul(e)s saurez si nous l'avons fait. ».
    C'est le résumé de l'épitaphe qui figure sur une plaque apposée en 2019 sur les restes du glacier pyrénéen Arriel.
    Dans son récit, Norek évoque plusieurs scénarios possibles pour notre futur de 2040 mais je ne suis pas sûr de croire beaucoup à celui que les auteurs ont choisi pour clôturer cet album.

    BMR Le 28/05/2025 à 19:22:15

    Après "Le serpent et le coyote" (paru en 2022) Matz et Xavier reprennent les routes de l'Ouest Américain et revisite le western au son des années 70.

    Philippe Xavier est un artiste dont le coup de crayon s'est aiguisé dans le domaine de la publicité et du graphisme sur le sol américain.
    Matz (Alexis Nolent) est notre scénariste préféré : c'est celui de la série Le Tueur et de quelques autres albums remarquables, souvent des coups de cœur. Ses scénarios, très écrits, sont presque des romans.
    Les deux complices n'en sont pas à leur coup d'essai (on leur doit notamment la série Tango - Le Lombard 2017) et L'or du spectre est un peu la suite de leur album précédent, Le serpent et le coyote (Le Lombard 2022), mais il peut tout de même se lire indépendamment.

    Dans l'album précédent (Le serpent et le coyote), on avait laissé Joe (un malfrat repenti, témoin protégé d'un procès anti-mafia), en cavale avec son camping-car sur les routes du Nouveau Mexique.
    Nous voilà repartis sur les routes de l'ouest sauvage, Montana, Wyoming, Colorado, Nouveau-Mexique, au milieu de nulle part : Chuck sort de 5 ans de placard et retrouve sa dulcinée, Kat.
    Tous deux veulent bien sûr retrouver le butin que Chuck a planqué avant ses vacances en taule mais ils vont tomber sur un os creux et sur un vieux pépé, qui n'est pas sûr de s'appeler Rufus, il perd la boule, et pire, la mémoire ce qui n'est pas très pratique quand on cherche après son or !
    Le pépé gâteux croit être né en 1820 au temps de la ruée vers l'or et les indiens du coin le prennent pour un fantôme. Après tout, qui sait ...
    En gros, tout le monde se retrouve avec une pelle à la main et creuse, creuse, tantôt pour déterrer un trésor, tantôt pour enterrer un gêneur. La routine, quoi !
    Et les fans se rassurent, nos héros finiront bien par croiser la route de Joe et son camping-car !

    ➔ Chuck et Kat, on les trouve plutôt sympas.
    Chuck incarne l'idiot parfait : il a même révélé à un camarade de cellule l'endroit où il avait dissimulé son butin ! Et le "copain" est évidemment sorti avant Chuck ...
    C'est Kat la tête pensante, la blonde fatale dans toute sa splendeur, et le dessinateur Philippe Xavier fait tout pour nous la rendre séduisante.
    Mais elle est assez vénère après les conneries de son petit-ami.
    Ce qui nous vaut des dialogues piquants puisque la belle Kat n'a pas la langue dans la poche de son jean.
    « [...] - Tout va bien se passer, bébé, t'inquiète
    - C'est quand tu dis des trucs comme ça que je m'inquiète en fait
    J'hésite. J'arrive pas à décider si t'es un pauvre con ou un sale con Chuck. Pourquoi t'as préféré dire à quelqu'un d'autre que moi où était planqué le fric ?
    - Mais tu m'aimes, bébé, non ?
    - Arrête de m'appeler bébé, ça m'énerve. »

    ➔ Côté dessins, Philippe Xavier se régale (et nous aussi) : c'est du grand cinéma, digne du technicolor. Cadrages larges sur des panoramas grandioses et plans resserrés sur les trognes des personnages, tous très variés, ou les beaux yeux de Kat.
    Dans ces planches, il plane parfois comme un petit air de Blueberry, que l'on aperçoit d'ailleurs en arrière-plan page 29 : clin d’œil.
    C'est un véritable plaisir et cela nous offre un album magnifique.

    ➔ Voilà un western revisité années 70 au dessin impeccable.
    L'album précédent évoquait les débuts du programme WITSEC de protection des témoins repentis et cela donnait au scénario une profondeur, une densité, que l'on ne retrouve pas vraiment ici : L'or du spectre semble manquer d'un fil conducteur plus riche que les déboires de Chuck et Kate en quête de leur bonne fortune.
    Peut-être faut-il voir là un épisode de transition dans une série qui ne dit pas encore son nom.

    BMR Le 25/05/2025 à 09:27:54

    Un western en forme de road-movie, entre un vieux hors-la-loi décati et un jeune orphelin sourd et muet. Une chevauchée qui cache bien des surprises.
    À commencer par le courrier de Calamity Jane.

    Au scénario de cet album : Philippe Foerster (né en 1954) qui a fait ses classes à l'école belge aux côtés de Sokal, Schuiten, entre autres, avant de travailler auprès de Gotlib.
    Au dessin, un autre Philippe, Philippe Berthet (né en 1956) : un 'frontalier' qui basculera rapidement du côté belge de la BD.
    Les deux complices n'en sont pas à leur première collaboration : on leur doit notamment L'oeil du chasseur (1988) dans le bayou sudiste.
    En 1996, ils avaient signé ce western paru initialement chez Delcourt : Chiens de prairie. Il s'agit donc d'une réédition (fort judicieuse).

    L'album est étoffé d'un dossier réalisé par Charles-Louis Detournay (Chacma) qui fournit beaucoup d'éléments de contexte sur les auteurs et cet album.

    Soyons clairs, les westerns en BD, ce n'est pas vraiment mon truc. Vraiment pas. Peut-être à cause d'une overdose à la télé de ma jeunesse. Mais ...
    Mais il y a le scénario de Philippe Foerster !
    On est d'abord intrigué par l'entrée en scène de Calamity Jane : la réalité s'invite dans ce récit de fiction.
    C'est ce personnage devenu mythique qui va nous raconter l'histoire à travers quelques lettres : les fameuses lettres à sa fille, peut-être apocryphes, écrites vers 1880 mais qui ne seront publiées que beaucoup plus tard. Des lettres qu'elle n'a peut-être jamais envoyées.
    Voilà vraiment de quoi démarrer un scénario !
    Belle trouvaille, ces lettres feront office de voix off pour faire avancer la fiction qui s'appuiera sur d'autres éléments de réalité comme la rivière Little BigHorn, celle-là même de la célèbre bataille où périt le général Custer.

    Et puis il y a cette errance improbable entre deux personnages qui ne devaient pas se rencontrer : un vieux cow-boy décati - « Une méchante douleur sous le bras, là ! ... Je me sens comme qui dirait tout vermoulu ! » - et un jeune orphelin mutique - « Celui-là c'est un sourd-muet un peu demeuré, je crois ... C'est pas vraiment un veinard. ».
    Leur rencontre est plutôt musclée :
    « [...] Fous-moi le camp, crétin ! J'ai pas besoin de toi ! »
    Mais le lecteur espère bien qu'ils vont faire un bout de route ensemble !
    Et déjà quelques pages plus loin, le vieux cow-boy commence à s'attendrir : « [...] T'es pas pire qu'un chien ... Tu serais même un peu plus humain, comme compagnon, à bien examiner la chose. »
    JB Bone, c'est un hors-la-loi qui traîne, derrière son cheval, le cercueil de son complice ... un hold-up qui a mal tourné.
    Quant au jeune Moïse, il ne parle peut-être pas mais il arrivera à nous rendre sympathique ce vieux bandit de JB.
    Si l'on était au cinoche, on parlerait de road-movie. D'ailleurs au vu des dessins des scènes d'action (comme celle de la rivière ou celle des bisons) cette appellation convient finalement plutôt bien.

    Et puis que serait un western sans des méchants à faire froid dans le dos ?
    Et bien on a là tout ce qu'il faut : une bande de chasseurs de primes appâtés par le contrat sur la tête de JB Bone, et pire encore, un pasteur justicier et vengeur, l'incarnation du mal, accompagné de sa sœur, tous deux vêtus de noir.

    Philippe Foerster a réuni tout ce dont il avait besoin pour nous raconter une sacrée histoire, pleine de ressources cachées : l'auteur a désormais pas mal de cartouches en main, de quoi maintenir l'attention tout au long de la chevauchée et surprendre le lecteur jusqu'au tout dernier moment.

    Côté graphismes, Philippe Berthet s'en donne à cœur joie et alterne gros plans et décors grandioses, scènes intimistes autour du feu du camp et chevauchées épiques dans la plaine et les montagnes. Du grand western, avec des cow-boys, des indiens et des bisons.
    Les dessins sont de belle qualité (rappelant ceux de L'oeil du chasseur) mais avec un côté très sombre, accentué par un tirage sur un papier épais très mat (façon papier dessin).
    Personnellement, j'ai trouvé cela un peu trop sombre.
    Et pendant ce temps, imperturbable, JB Bone taille sa route vers le Montana, traînant derrière lui le petit Moïse et le cercueil de son ami Ben.

    BMR Le 08/05/2025 à 14:52:38

    En l'an 79 au pied du Vésuve. Aventure romaine un peu convenue.

    Au scénario : Rudi Miel un habitué du milieu des bédéistes et une historienne, Fabienne Pigière.
    Au dessin : l'italien Paolo Grella.
    Tous trois ont déjà travaillé ensemble sur la série Libertalia (la ville libertaire des pirates) et se retrouvent ici pour un voyage dans le temps à Pompéi avec le même souci de réalisme historique.
    Il s'agit du premier tome d'une future série : chaque personnage (ils apparaissent tous dans ce premier album) aura droit à son album. C'est Assa, une jeune femme au destin tragique, qui ouvre le bal au pied d'un Vésuve menaçant.
    Attention toutefois à ne pas mettre l'album entre les mains de trop jeunes scolaires : on part quand même pour un bordel de Pompéi avec vue sur le Vésuve, mais pas que.

    ➔ Même s'il s'agit d'une oeuvre de fiction avec une intrigue et des personnages inventés, les auteurs partagent le souci de la véracité historique et un soin tout particulier est apporté aux costumes et aux décors (avec par exemple des maisons décorées de fresques et mosaïques).
    Et si Assa se retrouve dans un lupanar de Pompéi, ce n'est pas un hasard : les ruines de cette ville romaine sont célèbres pour leurs vestiges de fresques érotiques (et même d'un vrai lupanar) qui ont permis aux historiens de retrouver vie et mœurs des romains de l'époque.
    Il y a même quelques pages explicatives ou documentaires en fin d'album.

    ➔ Nous n'en sommes qu'au premier tome, début d'une série, mais le scénario m'a semblé un peu trop simple. Assa voit ses amours interdites, se retrouve enfermée dans un lupanar, perd tout espoir de retrouver son frère vivant, réclame sa vengeance, … tout cela est un peu trop gentil et surtout trop convenu pour captiver vraiment le lecteur. Espérons que la suite vienne me contredire.
    Reste le prétexte à une belle visite de la ville de Pompéi en images, juste avant sa disparition !

    BMR Le 04/05/2025 à 20:35:17
    Sprague - Tome 2 - Le Marin céleste

    Après l'album Sprague, une suite qui ne dit pas son nom. On y retrouve tout le charme de cet univers menacé par de mystérieuses herbes bleues.

    Au scénario : Rodolphe (Rodolphe Daniel Jacquette) prof de lettres et grand amateur de R. L. Stevenson dont il a publié une biographie. Il a notamment collaboré avec le brésilien Leo (Luiz Eduardo de Oliveira) pour les séries Europa, Amazonie, Namibia ou encore Kenya.
    À la planche à dessin, Olivier Roman, connu pour l'adaptation en BD des aventures fantastiques de Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain.
    Le duo n'en est pas à son coup d'essai puisqu'ils avaient déjà travaillé ensemble sur l'album Sprague (2022).
    Le marin céleste se déroule d'ailleurs sur la même planète et nous finirons même dans la baie de Sprague.
    Toutefois ce Marin céleste peut être lu indépendamment de Sprague : c'est plus un autre moment qu'une véritable suite.
    L'album est colorié par Denis Béchu, celui qui a notamment travaillé avec François Boucq sur le remarquable New York Cannibals.

    Nous voici sur une planète qui ressemble un peu à la notre mais pas tout à fait, mais on ne sait quand et on ne sait où.
    Nous retrouvons donc là toute l'ambiance de Sprague : un univers médiéval, peuplé de diverses machineries volantes (un peu dans l'esprit steam punk mais en plus écolo et sans la vapeur).
    Nous allons suivre le marin céleste dans l'une de ces machines : Popeye une sorte de colporteur qui navigue de village en village pour proposer sa camelote aux habitants, des articles plus ou moins authentiques puisque c'est son amie Prune qui lui répare, bricole ou contrefait la marchandise.
    Jusque là tout va bien et l'on profite de cette douce imagerie bon enfant.
    Mais ce petit monde s'affole à l'apparition invasive de mystérieuses herbes bleues qui prolifèrent et dévorent tout sur leur passage.
    « [...] Les herbes !
    Ces foutues saloperies bleues qui nous envahissent ... T'es pas au courant ?
    Ces saletés poussent à tout vitesse et sont capables de te bloquer une roue ou de s'entortiller dans un moteur ! »

    ➔ On ne peut qu'être séduit par le petit monde sympathique et bon enfant qui s'invente sous nos yeux.
    Le dessin clair et précis de Roman compte pour beaucoup dans le charme indéniable de cet univers.
    ➔ Pour autant, l'histoire va s'avérer un peu décevante. Plusieurs pistes sont ouvertes sans être complètement explorées (d'étranges insectes géants, les Grands Anciens, un vieux grimoire mystérieux, ...) et le lecteur restera un peu sur sa faim. Un reproche qui avait déjà été adressé à l'album initial Sprague.
    Tout cela reste trop gentil et conviendra mieux à de jeunes lecteurs.
    C'est un peu comme si les auteurs avaient hésité à donner une véritable suite à l'album précédent et n'avaient pas oser se lancer dans une plus longue série.
    L'univers et les mystères de Sprague méritent d'être creusés, étoffés, approfondis, ... attendons, qui sait !

    BMR Le 03/05/2025 à 22:03:28

    Retour sur l'une des affaires les plus mystérieuses des années 60.
    Une enquête passionnante, un véritable thriller et un devoir de mémoire indispensable.

    La disparition du marocain Mehdi Ben Barka a eu lieu le 29 octobre 1965 et cette affaire n'a jamais été clairement résolue : d'ailleurs, son fils Bachir espère toujours faire avancer l'enquête et il a même collaboré à l'écriture de cet album, tout comme Maurice Buttin, l'avocat de la famille, ou encore le juge Patrick Ramaël.

    Le journaliste David Servenay (né en 1970) est l'un des fondateurs de La Revue Dessinée, revue d'information en bande dessinée dont le premier numéro est paru en 2013 et qui nous a déjà donnée (entre autres exemples) l'adaptation des thèses économiques de Thomas Piketty avec le remarquable album Capital & Idéologie.
    Il est ici accompagné du dessinateur Jacques Raynal (ou Jake Raynal, né en 1968) : le duo avait déjà travaillé sur l'album "La septième arme".
    Avec cet album, Ben Barka : la disparition, ils tentent de donner un nouveau point de vue sur cette affaire que beaucoup voudraient avoir enterrée depuis longtemps.

    Nous ne sommes pas dans une bande dessinée classique mais plutôt à la limite du roman graphique. Les dessins de Raynal sont d'un beau noir et blanc, très contrasté, avec de grands aplats noirs, ce qui donne au récit un ton sérieux et journalistique. Un dessin tout au service de l'enquête.

    Et puis bien sûr il y a l'Affaire elle-même et l'enquête : le déroulement des faits et les hypothèses (soigneusement recoupées par les auteurs) sur la disparition de l'homme politique opposant au nouveau régime marocain : barbouzes de tous pays, diplomates et politiques, voyous et anciens collabos, flics et agents du Sdece, ... tous ont travaillé main dans la main avec le cabinet noir des services secrets marocains menés par le général Mohamed Oufkir, le boucher du Rif.
    L'ambitieux et populaire Ben Barka gênait beaucoup trop de monde dont les français qui voyaient arriver le virage de la décolonisation. On entrevoit même les ombres de la CIA et du Mossad planer sur cette histoire.

    Les auteurs prennent le temps nécessaire pour nous présenter les différents protagonistes, les enjeux politiques, diplomatiques et internationaux de cette affaire dans laquelle notre République s'est, une fois de plus, brillamment illustrée. Il y a même, en fin d'ouvrage, une série de fiches récapitulatives sur les protagonistes les plus importants.

    On peut s'interroger sur l'intérêt de ressortir encore aujourd'hui cette vieille histoire jamais élucidée ?
    Mais l'enterrer trop rapidement dans un recoin obscur avec le corps de Mehdi Ben Barka, reviendrait à oublier de nombreuses questions.
    Oublier que l'ombre de cette affaire plane encore sur les relations franco-marocaines.
    Oublier qu'aucun des présidents successifs de notre république n'a souhaité faire la lumière sur ces événements, de Giscard à Macron en passant par Chirac, Mitterrand ou Hollande.
    Oublier que la justice française reste bloquée depuis des dizaines d'années malgré l'obstination courageuse de quelques juges : il s'agit là du « dossier d'instruction qui est à ce jour la plus ancienne enquête criminelle en cours dans les annales de la justice française ».
    Oublier que pour tenter de faire avancer le dossier, le juge Patrick Ramaël a même perturbé la rencontre de Sarkozy avec Mohammed VI en 2007. Le président français était accompagné de Rachida Dati, alors ministre de la justice (elle est d'origine marocaine).
    Oublier les mots, cités dans l'album, des mots de 1966 publiés par Pierre Viansson-Ponté dans le journal Le Monde [clic] à propos de cette affaire :
    « [...] L'abus du renseignement, le goût du secret, le recours aux méthodes occultes, aux agents, aux réseaux, aux polices parallèles, sont [...] inhérents au compagnonnage gaulliste.
    Ils en sont aussi le vice majeur. »

    Enfin, il ne faut pas oublier non plus comment certains journaux (et non des moindres : L'Express, Minute, ...) ont été totalement manipulés pour livrer au public de fausses explications à la disparition de Ben Barka.
    Voilà donc bien un album utile et nécessaire à notre mémoire, un travail qui résonne comme un écho à celui d'Etienne Davodeau et Benoit Collombat dans l'album Cher pays de notre enfance.

    BMR Le 25/04/2025 à 16:43:00

    Les superbes aquarelles de Krassinsky nous invitent à un beau voyage initiatique en pleine nuit arctique. Un régal pour les yeux et les esprits des vents et des glaces.

    Jean-Paul Krassinsky (né en 1972) est un auteur de BD connu pour quelques belles aquarelles.
    Ce dessinateur réputé adapte ici un roman (sorti en 2020) de Bérengère Cournut : De pierre et d'os, une fable initiatique qui suit le parcours d'une jeune inuite au pays des glaces.

    Uqsuralik est encore une jeune fille et l'album s'ouvre avec l'apparition de ses premières règles.
    Elle va se faire surprendre par la banquise qui se brise et l'éloigne de l'igloo familial. Elle se retrouve seule, séparée des siens, en pleine nuit arctique.
    Elle n'a pour compagnons que quelques chiens et il va lui falloir "chasser avec eux, apprendre d'eux, ou bien mourir par eux, il n'y a pas d'autre choix possible".
    Après plusieurs jours de marche et de survie difficile, elle rencontre un autre groupe d'humains, plusieurs familles à géométrie variable comme le veut la coutume, mais avec des "femmes mal tatouées et des chasseurs maladroits".
    Ils l'accueillent car "quiconque peuple la banquise par une telle nuit est le bienvenu" et ils vont l'appeler Arnaautuq ce qui veut dire "garçon manqué". Elle n'est pas forcément la bienvenue, c'est une bouche de plus à nourrir et l'un des hommes va même la "couper en deux".

    ➔ L'album est précédé de la réputation du roman bien sûr (prix du roman Fnac 2019), mais ce sont surtout les superbes aquarelles de Krassinsky qui vont appâter l'amateur de BD. De véritables peintures qui se déploient sur de grandes pages (au format presque carré) avec des tableaux tantôt grandioses, tantôt intimes.
    On passe des étoiles sur la banquise glacée aux fleurs sur la toundra verdoyante au printemps.
    Ces magnifiques dessins comptent pour beaucoup dans le charme envoûtant de cette aventure écrite au féminin.

    ➔ Au cours de ce grand voyage initiatique, la jeune fille deviendra femme, mère, chasseuse et même chamane. La survie de ces nomades est réglée sur les saisons, la chasse et la pêche.
    Et là-bas on est obligé de compter les bouches à nourrir avant l'hiver aussi précisément que les réserves de gibier.
    L'album est généreux (200 pages) et le lecteur verra défiler les saisons puis les années, les générations. À travers Uqsuralik et ses multiples rencontres, le texte, adapté du livre de Bérengère Cournut, va nous permettre de découvrir les coutumes, les traditions, les chants et les superstitions du peuple de l'arctique.
    C'est un très beau voyage, éprouvant, émouvant.

    BMR Le 13/04/2025 à 11:17:46

    Fable écolo sur fond de surexploitation de la forêt amazonienne : les très belles planches de l'album nous emmènent à la chasse aux papillons.

    Matz est un auteur que l'on connaît bien et que l'on apprécie beaucoup (la série Le Tueur, c'est lui), mais on ne le connaissait pas collectionneur de papillons !
    Entre deux polars, il s'est autorisé une petite parenthèse écolo avec Frédéric Bézian pour nous emmener à la chasse aux papillons en Amazonie : Les papillons ne meurent pas de vieillesse.
    Matz s'est même permis un petit clin d’œil à ses fans puisqu'il a baptisé son papillon impossible le Parides Ascanius Nolentus (son nom de ville est Alexis Nolent) !
    Au fil de leur courte existence de quelques jours "les papillons, fragiles et vulnérables, ne meurent pas de vieillesse, mais de mort violente".

    ? Voilà bien une sympathique fable écolo sur fond de surexploitation de la forêt amazonienne : un roman d'aventures, un thriller politique qui met en scène les enjeux complexes de la région.
    ? Le dessin de Frédéric Bézian est une réussite avec un beau dégradé de gris que viennent illuminer de temps à autre seulement les parures colorées des papillons : un pari audacieux mais vraiment gagné. Le gris pointillé évoque les gravures scientifiques d'antan.
    Pour profiter des changements de rythme qu'autorise la BD (F. Bézian aime à dire qu'il ne fait pas du cinéma sur papier), l'album est émaillé de planches d'entomologie 'vintage' et même de quelques beaux haïkus comme celui-ci du poète japonais Arakida Mortake :
    « [...] Tombé de la branche
    Une fleur y est retournée :
    C'était un papillon. »

    ? L'album semble appeler une suite, d'autant qu'une douce complicité va se nouer entre la jeune Géraldine et le brésilien Candido ... ! On attend déjà avec impatience !

    La réapparition d'espèces disparues de papillons n'est pas de la science-fiction. Il y a bien sûr quelques "lâchers" volontaires pour réintroduire certains insectes mais les entomologistes découvrent également des Résurrections tout à fait naturelles comme par exemple celle de la Nonagrie soulignée dans nos marais atlantiques. Cela vient compenser un petit peu les trop nombreuses extinctions.

    Camille est un expert entomologiste et grand collectionneur de papillons.
    Il emploie au Brésil un chasseur local, Candido.
    Chez lui en France, il héberge sa jeune cousine, Géraldine qui l'aide à trier ses bestioles.
    Camille et Géraldine vont rejoindre Candido en Amazonie.

    Cette histoire aurait pu s'intituler l'histoire du "chasseur de papillons qui n'existent pas" ... puisque l'intrigue se noue en Amazonie lorsque l'on capture par hasard un papillon censé avoir disparu depuis de nombreuses années.
    « [...] - Quel est le problème ?
    - Le problème c'est que ce papillon est un Parides Ascanius Nolentus.
    Le problème c'est qu'il vivait dans les marais de Rio de Janeiro ... !
    ... et si je dis "vivait", c'est qu'il a disparu depuis des années ... !
    Regarde Candido, mon chasseur, travaille dans l'état du Roraima, au nord du Brésil, à des centaines, voire des milliers de kilomètres de Rio de Janeiro !
    Tu comprends le problème, maintenant ? »

    Un doux rêveur (Camille) et sa jeune cousine (Géraldine) vont accompagner le chasseur de papillons (Candido) au cœur de la forêt vierge pour confirmer la découverte énigmatique.
    Jusque là tout va bien pour cette petite équipe qui joue les Tintin en Amazonie, mais on se doute qu'avec Matz au scénario, la balade des gentils écolos ne sera pas de tout repos.
    Ainsi Camille rédige un article pour le National Geographic et appelle à sanctuariser le secteur pour le protéger de la déforestation : évidemment les sociétés multinationales ne voient pas d'un très bon œil les projecteurs de l'écologie soudainement braqués sur une région où ils prospéraient jusqu'ici à l'abri des regards et nos héros devront également faire face à l'hostilité des paysans locaux qui exploitent ces terres pour l'orpaillage et le pâturage.

    Au détour d'une belle planche d'entomologiste (page 25), l'album nous apprendra que le mot papillon vient du grec psukhê qui signifie souffle, le souffle de la vie qui caresse ce qu'il touche et par extension âme puisque celle-ci s'envole dans notre dernier soupir.

    BMR Le 26/03/2025 à 18:17:42
    Parker 1969 - Tome 1 - La Proie

    Un polar de Donald E. Westlake adapté par Doug Headline avec les dessins de Kieran, qui inaugure la nouvelle collection Aire Noire chez Dupuis.

    Doug Headline (bon sang ne saurait mentir, c'est le fils de JP. Manchette !) n'en est pas à sa première adaptation de polar en bandes dessinées. Il a déjà adapté quelques romans de son père et même d'autres bouquins de Donald Westlake (alias Richard Stark, décédé en 2008) tout comme son confrère Matz.
    Avec "Parker 1969 : La proie", il adapte un roman de 1969, The sour lemon score, paru chez nous sous le titre Un petit coup de vinaigre.
    C'est l'un des nombreux épisodes qui mettent en scène notre ami Parker, un clone littéraire d'acteurs comme Lee Marvin ou Richard Widmark : élégant, taciturne, froid et menaçant, c'est le parangon du braqueur professionnel (Westlake voulait gommer tout sentiment de son récit).
    « [...] - Bon Dieu, essayer de te faire causer, c'est plus difficile que d'arracher une dent à un môme. Parle-moi Parker bon sang ! »

    Une histoire de braquage comme souvent avec l'ami Parker !
    « [...] Parker ne croyait pas à la chance, bonne ou mauvaise.
    Il ne croyait qu'aux types qui connaissaient leur boulot et le faisait bien. »
    Parker et ses comparses sont effectivement des pros et ils réussissent brillamment le braquage d'une banque, le plan était parfait.
    Hélas, le butin est un peu maigre.
    « [...] - Trente-trois mille. Huit mille malheureux dollars chacun.
    - On savait que ça ne serait pas lourd. Huit mille, c'est déjà pas si mal pour une matinée de boulot. »
    Mais cela ne suffit pas à l'un des gars de la bande qui file avec le magot.
    « [...] - Vous n'êtes pas du genre à vous venger, Parker. Pas s'il n'y a rien à la clé. Que lui voulez-vous à ce garçon ?
    - Il nous trahis. Il a tiré une balle dans la tête de votre mari. Il a tué l'autre gars de l'équipe, et il a essayé de me tuer moi aussi ... Et puis il s'est enfui avec l'argent. »
    Parker se met donc en chasse à la poursuite du traître ... et du magot.
    « [...] Parker se disait que beaucoup de temps s'était écoulé et qu'il n'était arrivé à rien. Ils avaient braqué la banque le lundi, et ce n'est que le jeudi qu'il avait trouvé Brock. Et maintenant on était vendredi. Quatre jours passés à courir en tous sens, et [l'autre] était toujours là-dehors, quelque part, assis sur le fric. »

    Le personnage de Parker (il n'a pas de prénom) est l'une des grandes réussites de D. Westlake et il se prête parfaitement aux adaptations en BD. C'est du polar à l'ancienne, façon hard-boiled.
    Quand il s'agit de bâtir le scénario d'un polar pour une BD, Doug Headline n'en est pas à son coup d'essai, on l'a dit, et il a su trouver le ton juste pour dérouler ce récit en comblant les silences de Parker, personnage taciturne, par de brefs encarts de texte, une sorte de voix off.

    Les graphismes de Kieran évoquent les comics US avec un beau noir & blanc, dur et violent, dynamique et moderne.
    Ces dessins sont un bel hommage à ceux du canadien Darwyn Cooke (décédé en 2016) qui avait déjà adapté plusieurs polars de Westlake en BD dont notamment le casse en 2012 (traduit par Matz en 2013).

    Cet album inaugure chez Dupuis, la collection Aire Noire dédiée au roman noir graphique (par analogie avec la collection Aire Libre) : Doug Headline et Olivier Jalabert sont aux commandes de cette ligne éditoriale. Les éditions Dupuis nous promettent déjà plusieurs beaux albums pour cette année et, de plus, ont signé avec les héritiers de Westlake pour adapter plusieurs de ses romans.

    BMR Le 24/03/2025 à 18:21:07

    Quelle sera notre vie en 2050 ? Voici 10 fenêtres ouvertes sur ce futur (très) proche, 10 visions inquiétantes et plutôt anxiogènes.

    Les éditions Philéas ont confié à quelques auteurs le soin de nous décrire notre avenir, celui de 2050.
    Un futur bien trop proche et bien trop inquiétant pour cet album très anxiogène à ne pas mettre entre toutes les mains, composé de récits qui font la part belle à l'IA, à la réalité virtuelle et aux réseaux dits 'sociaux'.
    Les années 2050 ne sont sans doute pas choisies au hasard et cet album peut faire écho à l'année 2054 retenue par Elliot Ackerman pour nous parler du futur conflit mondial.
    2050, ce n'est pas vraiment de la SF, de l'anticipation ? oui mais à peine alors.
    C'est à la fois un peu loin mais suffisamment proche pour des récits qui, somme toute, ne font que grossir ou caricaturer les travers de notre société très actuelle.
    Et c'est d'autant plus troublant qu'on ne peut plus se contenter de dire "Pffff, même pas en rêve".
    Cette dead-line de 2050, c'est peut-être notre 1984 aujourd'hui ...
    À la lecture de ces quelques récits, une chose est sûre : l'économie mercantile a encore de belles années devant elle et les marchands seront sans doute les seuls à dormir d'un sommeil paisible après avoir refermé l'album.

    Il y a donc là 10 nouvelles, 10 petites histoires avec des styles de récits très différents et des dessins tout aussi variés.
    Entre deux histoires, c'est Anaïs Bon qui nous livre une brève, une news qui serait venue des infos de 2050 (et elle ne fait rien pour nous rassurer).
    Comme tout recueil de nouvelles, dessinées ou pas, celui-ci est naturellement assez inégal : on évoque ici les histoires les plus percutantes.

    ➔ Jean-Michel Ponzio et Laurent Galandon cosignent Une histoire bio où quelques humains vieux jeu écrivent encore eux-mêmes des romans. Des « romans bio », car les autres sont écrits par des IA bien entendu. Voilà un futur qui n'attendra certainement pas 2050 ...
    ➔ Christian de Metter nous conte une triste histoire mais fort belle : Lux aeterna, évoquée dans la couverture de l'album. Une histoire d'amour avec une belle 'chute', où un vieil homme se console avec un robot, de l'absence de sa femme Marie hospitalisée.
    La séquence émotion de ce recueil et notre coup de cœur.
    « [...] - Que veux-tu faire aujourd'hui ?
    - Je ne sais pas.
    - Un quiz musical ?
    - Non. Tu gagnes toujours.
    - Je peux faire des erreurs si tu veux ou charger la dernière sauvegarde mémoire de Marie.
    - Non. Elle gagne toujours aussi. »
    ➔ Thibaud de Rochebrune tente de nous emmener sur Mars avec tous les migrants que l'Europe ne peut plus accueillir et que l'on cryogénise en prévision de la colonisation : Go to Mars, nous dit la pub.
    Un programme spatial un peu spécial qui se fait attendre plus longtemps que prévu ...
    C'est la séquence horrifique de ce recueil parce que le scénario semble beaucoup trop réaliste et crédible pour finir ainsi en bande dessinée.
    ➔ Guillaume Dorison (alias Izu) et Virginie Diallo (alias Kalon) font écho à Christian de Metter et nous invitent en terre Manga pour un autre aperçu des relations humaines où Noah se retrouve déçu par Luna, son amoureuse virtuelle : "Pardon Luna, je ne peux pas, tu es trop ... réelle".

    Quand aux encarts des "time capsules" rédigés par Anaïs Bon (saluons ces textes percutants), la palme revient à ce texte très pertinent qui (comme en répons au manga de Izu et Kalon) nous décrit, là encore, un futur trop proche, trop réaliste et trop inquiétant, pour que l'on referme cet album l'esprit tranquille.
    « [...] C'était la dernière résistante : aujourd'hui, Tindic, la dernière application de rencontre dédiée humains, a annoncé sa fermeture définitive. Ce géant des rencontres en ligne, autrefois leader du marché, n'a pas résisté à la montée en puissance des Lovebots, ces partenaires virtuels propulsés par Iintelligence artificielle.
    « Nous savions que l'heure était venue, déclare Travis Bumbz, PDG de Tindic. Nous avons essayé de nous adapter, mais nous ne pouvions tout simplement pas rivaliser avec l'expérience fluide, sans friction, et instantanément gratifiante offerte par les Lovebots. »
    Les Lovebots, fruits de la convergence entre les applications AI girlfriends, boyfriends & non-binary Sweethearts nées dans les années 2020 et le porn immersif, sont désormais les compagnons de cœur préférés de millions de personnes à travers le globe.
    «La qualité de la réalité virtuelle a tellement progressé que les expériences offertes par les Lovebots sont aujourd'hui bien supérieures à celles des rencontres humaines, continue Bumbz. Avec un Lovebot, vous avez une connexion instantanée. Il n'y a pas de timidité, pas de maladresse, pas de désaccords sur ce que vous voulez. Et surtout, aucune de ces failles humaines qui rendent les relations si complexes. »
    Les rencontres humaines sont désormais perçues par beaucoup comme un exercice trop risqué. « Les gens ne sont plus prêts à accepter les aléas d'une vraie rencontre, souligne Bumbz. L'incertitude, I'effort pour comprendre et satisfaire l'autre sont devenus des fardeaux. Pourquoi s'exténuer à chercher un amour rée imparfait et plein de compromis, quand un partenaire parfait vous attend en un clic ?»

    BMR Le 24/03/2025 à 14:37:26
    Islander - Tome 1 - L'éxil

    Premier épisode d'une trilogie dystopique qui nous emporte avec d'autres réfugiés climatiques jusqu'en Islande.
    Avec les dessins magnifiques de Corentin Rouge et un scénario post-apocalyptique signé Caryl Férey.

    On avait déjà bien aimé Sangoma, un polar en Afrique du Sud aux parfums exotiques de sorcellerie et nous retrouvons ici ce duo très efficace : Caryl Férey au scénario, Corentin Rouge au dessin.
    Les revoici avec Islander, premier tome (intitulé : L'exil) d'une trilogie.

    Dans un futur proche, l'Europe est à feu et à sang et les réfugiés affluent dans les ports pour gagner "les îles épargnées". Le port du Havre est un nouveau Calais où trop de migrants se pressent pour embarquer sur de trop rares bateaux et tenter de gagner l'Écosse, dernier refuge.
    Il y a là un homme âgé que l'on appelle le Prof, deux jeunes femmes (des sœurs semble-t-il) et Raph, un passeur.
    Un autre migrant mystérieux, sans passeport. Tout comme en Méditerranée aujourd'hui, la traversée ne sera pas de tout repos et tous n'arriveront pas ... en Islande.
    Une Islande curieusement séparée en deux avec, au nord, un état sécessionniste de Reykjavík.
    Pourquoi le prof voulait se rendre coûte que coûte en Islande ?
    Pourquoi cette île est-elle coupée en deux ?
    Et quel est donc ce mystérieux projet Islander ?
    Même si Reykjavík n'a rien à voir avec Le Cap, les échos sont nombreux avec Sangoma : magnifiques dessins, regard inquiétant sur la couverture de l'album, discussions houleuses au parlement, contexte sociopolitique à la base même de l'intrigue, liens complexes entre les personnages, histoires de famille au sombre passé, ...

    ➔ Après Sangoma, on retrouve avec beaucoup de plaisir les dessins très réalistes de Corentin Rouge qui flirtent parfois avec la précision photo. Les traits des visages et les regards sont esquissés avec une grande expressivité et une précision méticuleuse pour donner vie aux personnages. La mise en page est dynamique, du vrai cinéma, ce qui est idéal pour les thrillers de Caryl Férey.
    Mais Corentin Rouge ne se limite pas à des portraits serrés, il excelle également à capturer la splendeur des paysages islandais, nous offrant des fresques grandioses, certaines s'étalant sur deux pages.

    ➔ Côté scénario, ce premier volume nous laisse forcément un peu sur notre faim, c'est naturel : Caryl Férey met en place les décors et les bases de son histoire en trois épisodes et ce n'est que le premier.
    Il y a peu d'explications (elles viendront plus tard !) mais le contexte semble propice à une bonne histoire où plusieurs personnages aux passés mystérieux et aux liens complexes vont s'entrecroiser. On attend la suite avec impatience ! (Une suite qui n'est pas prévue pour cette année ... hélas).

    ➔ Et puis il y a ce contexte d'Europe dévastée, affamée (sans doute par des catastrophes climatiques), que fuient les migrants en quête de terres plus accueillantes : une inversion des rôles plutôt bien vue mais qui nous fait grimacer et nous oblige à ouvrir les yeux sur une réalité qui, même si aujourd'hui n'est pas "la nôtre", pourrait bien le devenir (morale : on est toujours le migrant de quelqu'un).
    [...] - Nous avons fermé nos frontières face à l'afflux de réfugiés européens. Mais des navires continuent d'arriver malgré nos lois !!! Les illégaux sont trop nombreux ! [...] Nous devons faire face à la grogne de nos administrés, qui se crispent sous la menace démographique des réfugiés. Il faut être drastiques !

    BMR Le 10/03/2025 à 10:38:47

    Adaptation vraiment très réussie du roman de Pierre Lemaitre : un polar amoral à l'humour pince sans rire, un noir bien serré et délicieusement rétro.

    En 2021, Pierre Lemaitre et son éditeur (Albin Michel) avaient eu la bonne idée de ressortir un fond de tiroir pour profiter de la renommée grandissante de l'auteur. C'était un thriller immoral et délicieusement divertissant, empreint d'un humour noir et pince-sans-rire, qui nous replongeait dans les années 80, à l'époque où l'on sillonnait les routes en Renault 5 (et pas le nouveau modèle électrique, hein !).
    Pierre Lemaitre, Dominique Monféry et les éditions Rue de Sèvres nous remettent ça et adaptent le serpent majuscule en bande dessinée.
    Lemaitre n'en est bien sûr pas à son coup d'essai : il a déjà adapté plusieurs de ses romans en BD (Au-revoir là-haut, la série Verhoeven, ...).
    Quant à Dominique Monféry, il est bien connu dans le monde du dessin animé.

    C'est une BD avec une héroïne mais messieurs voyons, calmez-vous, ce n'est pas du côté de Superwoman que ça se passe, plutôt du côté de Carmen Cru : l'héroïne en question est une vieille dame très âgée, prénommée Mathilde.
    Accessoirement, Mathilde Perrin est aussi tueuse à gages, oui, oui.
    Ludo, son chien, est un dalmatien, facile à reconnaître car c'est lui qui fait la couverture du bouquin comme de la BD et que "généralement, les grands chiens blancs avec des tâches noires, c'est pas des saint-bernards".
    Le flic c'est René, un vieux garçon plus ou moins amoureux de la dame de compagnie de son vieux père.
    Et puis il y a Henri, le commanditaire de Mathilde, ils se sont connus pendant la guerre, dans la Résistance où la jeune et belle Mathilde s'était déjà forgé une solide réputation (savoureux flash back !) !

    Jusque là tout allait bien et Mathilde enchaînait les petits boulots ou les missions, avec efficacité. Elle était réputée pour fournir des "prestations parfaites", elle était même "insoupçonnable, un agent exceptionnel".
    Elle trouvait même que "c'est agréable comme métier, mais qu'est-ce que c'est salissant".
    Mais avec l'âge, tout n'est peut-être plus aussi net, la vue baisse, on a vite fait de confondre un bout de papier avec un autre.
    Et puis Mathilde se lâche un peu avec son gros revolver, ça ne se fait pas de tirer dans les ...
    Au point d'éveiller l'intérêt des flics : "l'étonnant c'est cette balle de gros calibre dans les ... c'est pas fréquent".
    Ça fait un peu mafia non ? "Les ritals, ils tirent dans les burnes ! Sont très connus pour ça !", en tout cas c'est l'avis du commissaire, le patron pas très futé de René.

    Quelques bonnes raisons d'ouvrir cet album ?
    ➔ Ah bien sûr le plaisir de se replonger dans cette histoire savoureuse de Pierre Lemaitre ! le roman sans prétention [clic] était une simple histoire de tueur à gage, mais bien montée et bien racontée, où l'on passait un bon moment.
    Avec l'auteur lui-même aux commandes de l'adaptation, il est naturel que le plaisir soit de nouveau au rendez-vous de cette histoire immorale où les cadavres s'accumulent rapidement. Mais une histoire plus subtile qu'il n'y parait et qui s'adapte parfaitement au format BD.
    ➔ Et puis, bonne surprise, les dessins et couleurs de Dominique Monféry sont superbes. Des visages très expressifs, un style pastel ou aquarelle et des tons sépias qui rappellent les années passées, les années 80.
    Ce n'est pas une simple réinterprétation marketing de Lemaitre, c'est véritablement un bel album.
    Un polar noir (et jaune), une version "3ème âge" de la série le Tueur de Matz et Jacamon.
    Pour celles et ceux qui aiment les tueuses à gage.

    BMR Le 03/03/2025 à 20:14:44

    Polar celtique et familial à l'époque où bientôt les 'méga marées' repousseront les habitants loin du rivage. Avec de beaux dessins d'architecture 'brutaliste'.

    On ne connaissait pas encore Iwan Lépingle qui signe le scénario et les dessins de cet album : Submersion publié chez Sarbacane.
    Un autodidacte qui a commencé sa carrière chez les Humanoïdes Associés et qui est surtout un amateur de grands espaces et de voyages.
    Cette fois il ne nous emmène pas très loin, tout au nord de l'Écosse mais à une époque (vers 2045) où les marées géantes auront commencé à noyer les côtes.

    Quelques bonnes raisons de découvrir cet album ?
    ➔ Pour l'ambiance de ce petit polar celtique dans un décor qui paraît presque normal. Presque.
    Si le scénario évoque bien des 'méga marées', ce n'est pourtant pas un récit post-apocalyptique, encore moins un film catastrophe. De temps à autre apparaît ici ou là, un bâtiment déserté, une zone inondée, des bungalows que l'on recule un peu plus loin, des pêcheurs qui sont devenus cultivateurs d'algues, ... Bref, les changements futurs qui nous attendent sûrement, patiemment et sans esbroufe.
    ➔ Pour le dessin qui s'apparente à la ligne claire franco-belge avec des aplats de couleurs aux teintes orangées, aux ombres bleutées. Des personnages dont les visages sont parfois taillés au couteau. Et puis surtout ces bâtiments, cette architecture brutaliste (c'est à la mode en ce moment !), ces belles perspectives fuyantes (Iwan Lépingle dessine tout cela sans assistance logiciel).
    ➔ Pour l'intrigue enfin de cet agréable roman policier qui fait la part belle aux histoires de famille.

    Non loin d'Inverness, il y a là les trois frères Calloway.
    En fait, il n'en reste plus que deux : Wyatt, le plus jeune, c'est tué en voiture il y a 6 mois sur une grande ligne droite, peut-être après avoir bu une pinte de trop.
    Badger et Travis ont un peu de mal à s'en remettre, Travis est persuadé que ce n'était pas un banal accident.
    Il y a là aussi Jenny, la femme de Wyatt, et leur fils Kyle.
    Et puis un black, Joseph, un garagiste à la réputation de ... garagiste, donc pas très apprécié de ses clients.
    Lors d'une soirée chez des amis, "Travis a entendu le petit truc qu'il attendait, la petite info qu'il lui fallait pour démarrer la machine à embrouilles".

    Vers 2045, la mer a repoussé les habitants loin du rivage. La pêche ne donne plus rien et il faut se contenter de cultiver et ramasser des algues. Il faut rehausser régulièrement les digues et déménager les baraquements toujours plus loin.
    [...] La mer nous a poussés loin du rivage. Nous lui avons abandonné nos maisons. Nous avons vidé les lieux. Quand elle a monté et monté encore, elle a léché les murs qui nous avaient vu grandir. Elle les a grignotés méthodiquement, comme une bête affamée qui serait venue se délecter de nos vies d'avant et les engloutir à jamais.
    Travis reste accroché obstinément au passé : il n'arrive pas à faire le deuil de son frère Wyatt, tout comme il n'arrive pas à s'habituer à la nouvelle vie que la mer envahissante impose aux habitants, à un littoral qui devient inhabitable, recule d'année en année et redevient sauvage.
    Travis s'emporte un peu trop rapidement, mais ne dit-on pas que ce n'est qu'après la colère que vient l'acceptation ?

    BMR Le 27/02/2025 à 18:12:25

    Mathieu Bablet signe les dessins et le scénario de ce gros album : Carbone & Silicium.
    L'histoire s'échelonne sur plusieurs années et décrit la création d'androïdes à l'IA sophistiquée, sur plusieurs "générations" tandis que l'humanité court vers sa perte.
    [...] Les humains sont le vrai problème de la planète. La seule solution est de tous les détruire.
    On plaisante.
    Des androïdes auxquels le labo a fixé une DLE date limite d'existence de quinze ans. Une obsolescence programmée pour renouveler les machines au fil des générations successives.
    [...] Comme un chat en gros.
    L'histoire apocalyptique est aussi une love story entre deux robots qui va se compliquer lorsque l'un des androïdes, lassé des mondes virtuels, larguera ses attaches pour entreprendre d'explorer la planète, du Taj Mahal au désert de sel d'Uyuni. Cela nous vaut quelques belles planches.
    Presqu'aussi belles que celles où Mathieu Bablet tente de représenter le réseau interconnecté comme une tour de Babel peuplée d'avatars fluides et éthérés.

    BMR Le 27/02/2025 à 18:10:54

    Après le très beau Little Tulip qu'on vient juste de relire (l'album datait de 2014), le duo franco-américain remet cela avec François Boucq aux dessins et Jerome Charyn au récit.
    C'est un peu une suite au précédent album : on retrouve à NY quelques uns des personnages et même quelques fantômes revenus des camps de la Kolyma.
    Cette fois, c'est l'ancienne protégée du tatoueur, la japonaise Azami, qui a grandi et désormais tient le haut du pavé des rues de New York (et la une de couverture).
    La recette est la même avec côté dessins, les corps, les visages et les tatouages où excelle François Boucq et côté scénario, une histoire plus 'américaine' mais toujours bien noire qui farfouille du côté obscur de l'âme humaine, forcément avec un titre pareil ...
    [...] Des cannibales en plein New York, décidément le passé continue à me mordre au talon !

    L'album apparait plus classique que le précédent, l'effet de découverte ne joue plus, et si cela reste tout de même une excellente BD, on a trouvé ce Little Paul un cran en-dessous de Little Tulip.
    Mais les deux font la paire !

    BMR Le 27/02/2025 à 18:10:25

    Très bel album que ce Little Tulip, avec de superbes dessins de François Boucq sur un excellent scénario de l'américain Jerome Charyn.
    Le script fait s'entrecroiser deux périodes : 1947, le jeune Paul se voit brutalement déporté avec ses parents au goulag de la Kolyma et se retrouve bien vite orphelin dans les pattes des malfrats qui font régner leur terreur sur le camp.
    Son don pour le dessin (hérité de son américain et couillon de père, venu en URSS dessiner des décors pour Eisenstein avant de se faire dénoncer pour le goulag), son don pour le dessin va assurer sa promotion au rang de tatoueur des gangs de la Kolyma.
    Seconde histoire, 1970, Paul a bien vieilli mais continue de dessiner et de tatouer à New-York (la ville fétiche de Charyn), tirant des portraits robots pour la police à la recherche d'un serial-killer déguisé en père noël.
    Bien entendu les deux périodes, les deux intrigues vont s'entrecroiser et plutôt deux fois qu'une. Le scénario est plutôt bien monté qui enchaîne les événements d'une époque après l'autre comme s'ils se répétaient à 25 ans de distance.
    Mais il n'y a pas que les péripéties qui s'imbriquent, c'est aussi le cas des dessins puisque les tatouages dessinés sur les corps forment presque une BD dans la BD et là encore, les effets de cadrage et de mise en scène sont plutôt bien vus.
    Bref, voilà un album sacrément bien foutu, tout en échos et répons, une histoire de deux enfances sans innocence, une histoire dense et violente qui se lit trop rapidement mais que l'on va feuilleter plusieurs fois avant de refermer.
    Les dessins fouillés de François Boucq rappellent un peu le Jean Giraud de Blueberry et, avec des visages et des corps très expressifs, sont au même niveau d'exigence que le scénario.
    Les deux compères viennent de sortir un nouvel album, New York cannibals, une suite plutôt réussie.

    BMR Le 27/02/2025 à 18:08:57
    Il faut flinguer Ramirez - Tome 2 - Acte 2

    Nicolas Petrimaux vient du monde du jeu vidéo et cela nous vaut un très beau dessin, nerveux et explosif ainsi qu'une mise en page très soignée (l'auteur parle même de mise en scène).
    Le premier tome de Il faut flinguer Ramirez date de juste avant la pandémie et le second épisode, très attendu, vient seulement de sortir.
    Grâce au bouche à oreille, la BD connait un beau succès bien mérité.
    Un thriller au second degré, façon Tarantino, un look un peu ringard des années 80, avec dans le rôle principal, le fameux moustachu Ramirez, dépanneur d'aspirateurs, extrêmement taciturne ou bien carrément muet, et visiblement tueur à gage à ses moments perdus.
    À ses trousses on trouve pêle-mêle : des flics obtus, des méchants truands et des jolies pépés.
    Avec son flegme imperturbable, le silencieux Ramirez traverse une mise en page orangée où sont même insérés (c'est à la mode) de faux articles de journaux et de fausses pubs, tout cela avec un humour ravageur.

    BMR Le 27/02/2025 à 18:07:48

    On avait découvert le trio aux commandes de cet album avec une autre BD (excellente, elle aussi) : c'était Corps et âme en 2016.
    En 2015, l'album Balles perdues était le premier de leur collaboration et l'on y retrouve donc Walter Hill, le producteur et réalisateur US, le scénariste Matz (aka Alexis Nolent) celui de la série fleuve Le tueur et Jef (aka Jean-François Martinez) aux pinceaux.
    Les dessins de Jef sont superbes, de véritables aquarelles.
    L'histoire de Walter Hill est digne d'un bon vieux film de gangsters, on ne s'attendait pas à autre chose et l'adaptation BD de Matz fait mouche.
    Bref, le trio marquait déjà quelques très bons points avant de récidiver avec Corps et âme l'année suivante.
    Pour citer une petite interview de Walter Hill à la fin de l'album, voici : de l'argent, des flingues, des femmes, des flics et des corrompus. Un tueur de sang-froid lancé sur les traces d'un amour perdu.

    BMR Le 27/02/2025 à 18:06:46
    Australes - Deux récits du monde au bout du monde - Tome 1 - Voyage aux îles de la Désolation

    Après l'aventure mi-thriller, mi-polaire et mi-scientifique proposée par Mikaël Hirsch avec Notre-Dame des Vents, il nous fallait prolonger la saison australe avec le Voyage aux îles de la Désolation d'Emmanuel Lepage.
    Lepage que l'on connait depuis son Tchernobyl, est une sorte de cousin voyageur ou reporter de Davodeau.
    Tous deux excellent dans l'art de tracer le portrait des "gens" qui nourrissent leurs rencontres et Lepage s'en donne à cœur joie une fois embarqué à bord du Marion Dufresne (le bateau ravitailleur des TAAF, les Terres Australes et Antarctiques Françaises).
    C'est donc un reportage en très belles images dans ces mers et îles polaires où l'on retrouve toute l'ambiance du bouquin de Hirsch, le mode de vie de ces marins et ces scientifiques, le travail titanesque du bateau ravitailleur qui fait périodiquement la liaison entre La Réunion et ces îles perdues (Kerguelen bien sûr, mais aussi Crozet, Saint-Paul ou Amsterdam). Et le vent rugissant et omniprésent.
    Un bel album de voyage où l'on découvre l'histoire de ces TAAF.

    BMR Le 27/02/2025 à 18:04:23

    Après Zulu Caryl Férey nous invite à nouveau en Afrique du Sud post-apartheid.
    La nation construite dans la douleur peine encore à trouver ses couleurs "arc-en-ciel" pour sortir de l'antagonisme noir & blanc et pas sûr qu'un remède de Sangoma (un guérisseur, un sorcier) suffise à lui redonner des couleurs.
    Férey et son dessinateur, Corentin Rouge, nous plongent au cœur des discussions sur la redistribution des terres accaparées.
    Pendant les débats houleux au parlement, un meurtre est commis dans une exploitation vinicole.
    C'est un flic blanc qui va mener l'enquête : Shane Shepperd traîne son look de Bob Morane entre les townships et une trop jolie maîtresse black.
    Tout cela nous vaut de belles pages sur les vignobles du Cap ou ses townships.
    [...] Personne ne veut faire un pas vers l'autre, comme si les positions s'étaient figées du temps de l'apartheid.
    [...] C'est plus l'apartheid, mais on s'échine pareil pour gagner de moins en moins. La ferme est une exploitation, oui, et c'est nous qu'on exploite. La réforme agraire va changer les choses, je vous le promets !
    [...] Le meurtre de cet ouvrier agricole est repris en boucle sur les réseaux sociaux pour raviver de vieux conflits.

    Comme on pouvait s'en douter avec Férey, le texte est très explicatif mais l'album réussit à condenser dans ses quelques 150 pages, une intrigue complexe où tous les personnages sont reliés les uns aux autres : Bob Morane (!) aura bien du mal à démêler les mensonges, ceux d'aujourd'hui comme ceux du passé.

    BMR Le 27/02/2025 à 18:03:32

    Etienne Davodeau est un peu notre dessinateur fétiche et l'on ne pouvait manquer son dernier album : Le droit du sol, un journal de voyage où il raconte et dessine son périple (à pied) depuis la grotte préhistorique de Pech Merle dans le Lot jusqu'au site d'enfouissement des déchets nucléaires de Bure dans la Meuse.

    ❤️ L'humilité de l'auteur, dans ses dessins comme dans ses textes, sa modestie, son autodérision, tout ce qui cache son humanité, sa généreuse culture et son engagement.
    Son talent de scénariste et dessinateur.

    Le voyage de Davodeau est le prétexte à quelques rencontres et à de nombreuses réflexions sur l'espèce Homo Sapiens.
    Une sorte de chemin de Compostelle à rebours ...
    [...] Les pèlerins qui descendent vers Saint-Jacques-de-Compostelle. [...] Que cherchent-ils sur ce chemin ? Pourquoi marche-t-on ? Sans doute est-il important de ne pas tenter de répondre à ces questions.

    Les Sapiens du Paléolithique (dessinateurs eux aussi) ont laissé dans la grotte un magnifique héritage rupestre à leurs descendants.
    Au fond du site de Bure, que vont léguer les Sapiens du XXI° siècle à leur descendance ?
    Les curieux d'images animées pourront jeter un œil sur le premier épisode (le reste de la série n'est guère intéressant) de la série suédoise White Wall (le vrai site se trouve à Forsmark au nord de Stockholm) ; cela donne un aperçu de ces fameux sites d'enfouissement (et de leurs enjeux économiques).

    Quelle idée saugrenue de dessiner un album à partir d'une marche depuis une grotte préhistorique jusqu'à la ZAD de Bure !! ??
    [...] Et je me dis surtout que tout ça est peut-être une idée à la con.

    Mais c'est compter sans les talents de dessinateur et de scénariste de l'auteur qui réussit là un de ses meilleurs albums et une histoire passionnante, oui.
    L'astuce de Davodeau consiste à "convoquer" dans ses dessins, tout au long de sa randonnée, des professeurs, des chercheurs, qu'il a réellement rencontrés mais avant ou après son voyage : ces accompagnateurs virtuels sont l'occasion d'éclairer le chemin, un peu sur les Sapiens du Paléolithique mais surtout sur ce qui se prépare à Bure sous haute tension policière.
    On remarquera entre autres le personnage édifiant de Bernard Laponche, ancien syndicaliste CFDT (vous avez dit syndicat ?) du CEA.
    [...] Ce récit , au fond, c'est une tentative d'évoquer notre absolue dépendance à cette planète et à son sol.

    BMR Le 27/02/2025 à 18:02:25
    Septentryon - Tome 1 - La calotte jaune

    On découvre ici André Houot un auteur de BD plus connu pour ses illustrations historiques et même préhistoriques.
    Mais le voici avec Septentryon dans une toute autre faille spatio-temporelle puisqu'il nous emmène sur Antéden, une terre post-apocalyptique dont une grande partie est constituée d'un désert interdit et contaminé.
    La série est courte et se compose de 4 albums d'une cinquantaine de pages chacun où l'auteur signe scénario et dessins.

    ❤️ Une histoire de S-F à l'ancienne, classique et solide, qui reprend les standards du genre.
    ❤️ Des dialogues bien tournés où l'humour voisine avec le second degré.
    [...] Ils n'ont pas de propergol, mais ils ont des idées.

    Chronover, le personnage principal, s'échappe d'un monde trop policé et s'aventure dans le désert interdit.
    [...] - Qui veut échapper à la contamination doit obéir aux conseils des autorités sanitaires.
    [...] - La zone contaminée s'étend sur près d'un septième de la surface totale de la planète ... Toute incursion dans le secteur sept conduit irrémédiablement à la mort !
    - Mensonges ... balivernes ... foutaises ! N'écoutez pas le "prêt-à-penser" de ces distributeurs à mensonges !

    Au gré des rencontres (le désert d'Antéden ne l'est donc pas tant que cela !), le mystère qui entoure Chronover et son passé s'épaissit : au fil des albums et de ses aventures, le héros nous livre peu à peu quelques bribes d'information sur ce monde décidément aussi mystérieux que complexe.

    On aime moins les ellipses d'un récit un peu touffu où l'on a parfois du mal à repérer ou distinguer les groupes de personnages les uns des autres : visiblement André Houot et Antéden entendent bien veiller jalousement sur leurs mystères !

    BMR Le 27/02/2025 à 18:01:03

    Il nous aura donc fallu du temps pour céder aux sirènes et lire enfin Le monde sans fin, un des livres les plus lus en France, véritable phénomène de librairie, avec Christophe Blain aux dessins et Jean-Marc Jancovici à la vulgarisation scientifique.

    ❤️ Le travail soigné de vulgarisation : un véritable régal pour les yeux et l'esprit, un peu dans l'esprit de Davodeau, même si le style est bien différent.
    ❤️ Le courage de s'attaquer de manière simple et accessible à un sujet épineux, difficile et polémique : un sujet dérangeant que l'on se garde généralement bien de regarder en face. Que l'on soit d'accord ou pas avec les différentes thèses présentées, on est bien obligé de reconnaître que cet album a au moins le mérite de toucher le plus grand nombre.

    L'album peut se découper en plusieurs grands chapitres.
    Le premier est absolument passionnant et nous emmène revisiter quelques décennies de croissance outrancière et de surconsommation énergétique hyperbolique : les graphiques simplifiés de Blain, les explications vulgarisées de Jancovici sont autant de lumières allumées dans nos petites têtes. C'est bluffant, souvent surprenant et donc bigrement intéressant.
    Le chapitre sur le réchauffement climatique fait froid dans le dos : les chiffres sont effarants et l'on voit mal, on ne veut pas voir, ce qui nous attend. Un sujet inquiétant, alors on tourne les pages un peu plus vite.
    Le chapitre sur le nucléaire est bien sûr, plus douteux : c'est lui qui a suscité autant de polémiques depuis la sortie du bouquin. Sans aller jusqu'à soupçonner les auteurs d'être à la solde du puissant lobby nucléaire français, on se doute bien que le plaidoyer de Jancovici ne prend pas en compte tous les paramètres, dans sa hâte bienveillante de nous sortir de son chapeau une solution pour amortir la décroissance énergétique qui nous attend.
    Et puis voilà c'est tout : on vient de réaliser un peu mieux que le monde n'est pas sans fin, que les citoyens de nos sociétés de croissance sont dans le déni le plus complet, bref, que c'est mal barré.
    Et ce ne sont pas les dernières pages sur les "solutions" à envisager qui vont nous rassurer : on voit trop bien le temps qu'il faudrait pour changer les mentalités de terriens qui n'ont aucune envie de changer de mentalités et qui ne peuvent évidemment pas s'en remettre à leurs dirigeants élus pour les y aider. C'est bien sûr le chapitre le moins convaincant et donc ce n'est finalement pas très rassurant.
    Alors on referme bien vite le gros album en regrettant finalement que Blain et Jancovici ne se soient pas contentés du premier chapitre : c'était quand même bien plus cool d'analyser le passé de notre Histoire énergétique plutôt que de chercher à ouvrir les yeux sur un avenir bien sombre.

    BMR Le 27/02/2025 à 18:00:04

    Christian Lacroix dit Lax est un auteur de bandes dessinées qui signe ses scénarios comme ses dessins.
    L'université des chèvres est un très bel album mais aussi un beau plaidoyer pour l'école, la liberté et l'indépendance de l'enseignement, dans une tonalité socio-naturaliste qui rappelle un peu le style Davodeau.
    Avant de vous plonger dans l'album, on vous invite à lire la courte postface de Pascal Ory (historien de la culture, membre de l'Académie Française) qui donne tout la perspective nécessaire à la compréhension des histoires qui seront contées.

    ❤️ On aime les magnifiques dessins aux tons pastels qui n'hésitent pas à s'étaler sur quelques doubles pages. Les paysages de montagnes, du Dauphiné à l'Hindu Kush, sont superbes.
    ❤️ On aime le scénario très astucieux, façon "la boucle est bouclée", qui réussit à croiser les destins, les géographies et les époques sans que cela paraisse artificiel : de 1883 à 2019, [c'est une longue histoire] portée par un propos parfaitement maîtrisé.

    Cet album est un élégant plaidoyer pour l'école, la liberté et l'indépendance de l'enseignement.
    Un discret mais efficace réquisitoire contre tous ceux qui s'y opposèrent et s'y opposent encore : les curés, les conservateurs rétrogrades, les intégristes mais aussi les états qui préfèrent garder la mainmise sur l'accès à la culture ou en exclure certain(e)s.
    Avec l'évocation des tueries US, c'est aussi un autre regard sur la présence d'armes à feu dans ces écoles qui devraient rester des sanctuaires, à l'écart des violences de la NRA comme de celles des talibans.

    En 1833, Fortuné Chabert est "colporteur en écriture" dans les montagnes du Dauphiné.
    Son chapeau arbore "les 3 plumes" : la lecture, l'écriture et "la chiffre", celle du calcul, ce qui lui permet de faire l'école dans les villages des hauteurs, c'est l'université des chèvres.
    Cette année-là, les lois Guizot vont instaurer un système d'enseignement public (sur lequel le clergé gardera une forte influence, l'école publique devra attendre 1882 et Ferry pour devenir laïque) : c'en est fini des colporteurs en écriture comme Fortuné Chabert. Il part pour la Californie.
    Il reprendra l'école, cette fois pour les enfants des tribus Hopis, et finira par s'opposer de nouveau à l'état et aux pensionnats et internats qui visaient à "acculturer" les enfants indiens.
    Plus tard, alors qu'aux US triomphent la NRA et le trumpisme, son arrière-petite-fille journaliste, est envoyée pour un reportage en Afghanistan. Son "fixeur" est Sanjar, un instituteur itinérant (un colporteur local donc) chassé des villages à coups de pierres par les talibans : la boucle semble ainsi presque bouclée.

    BMR Le 27/02/2025 à 17:59:17
    Léna - Tome 3 - Léna dans le brasier

    Le scénariste Pierre Christin (celui de Valerian) et le dessinateur André Juillard sont aux commandes de cette petite série de 3 albums qui relatent Le long voyage de Léna.
    Les deux premiers sont parus en 2006 et 2009 mais il a fallu attendre 2019 pour le troisième épisode.

    ❤️ On aime le talent de Juillard pour retracer en quelques images l'ambiance d'une ville : ceux qui sont allés à Berlin ou Budapest retrouveront en deux ou trois images les clichés typiques de ces villes.
    ❤️ On aime le personnage de Léna, femme mystérieuse au passé douloureux, vêtue de sa petite robe noire. Heureusement pour les lecteurs, il fait chaud et Léna aime bien la baignade.
    ❤️ On aime charme tranquille de cette BD qui aborde pourtant des sujets sous haute tension : le personnage de Léna est bien loin des cow-boys qui hantent habituellement les coulisses des services de renseignement.

    L'après communisme, le terrorisme islamique, la poudrière du Moyen Orient. La géopolitique de notre monde moderne.

    Même s'il s'agit globalement d'une histoire d'espionnage, c'est surtout un beau portrait de femme : celui de la mystérieuse Léna qui parcourt le monde en délivrant des messages pour le moins ambigus et des cadeaux pour le moins piégés. Qui est-elle, pour qui travaille-t-elle et quel est son lourd passé mystérieux ? Il faudra attendre la fin du premier album pour en savoir un peu plus.
    [...] - Quel dommage que vous n'ayez pas le temps de visiter notre ville.
    - Mon départ s'annonce-t-il aussi lent et compliqué que mon arrivée ?
    - Lent oui, puisqu'il va se faire par voie maritime, mais c'est justement le prix à payer pour qu'il ne soit pas compliqué et que nul ne garde trace de vos mouvements.

    L'épisode suivant entraînera Léna au cœur de la préparation d'un attentat islamiste, peut-être l'histoire la moins réussie car il est bien difficile de sortir des clichés habituels.
    Le dernier épisode remet Léna au centre d'une conférence diplomatique sous haute surveillance et une surprise attendra finalement le lecteur ...

    BMR Le 27/02/2025 à 17:58:03

    Jacques Fernandez est né à Alger quelques temps avant le décès d'Albert Camus.
    Son album est paru en 2013 pour le centenaire de la naissance de Camus.
    L'étranger est une fidèle adaptation du bouquin éponyme.

    ❤️ On aime les dessins gorgés de soleil de l'auteur et son adaptation fidèle du roman qui permet de ressentir l'ennui, l'indifférence du jeune Meursault (qui emprunte quelques traits à Camus lui-même !) face à un destin absurde où le hasard a peu de place, où seuls s'enchaînent les actes, ses actes, comme s'il avait pu, par son crime, enfin pu choisir sa destinée et sa fin programmée donner un sens à sa vie.

    Tout comme le roman, l'album est divisé en deux parties : d'abord les jours ensoleillés que passe le jeune Meursault auprès de sa fiancée mais où déjà pointent son indifférence et son insensibilité.
    [...] - Tu voudrais te marier avec moi ?
    - Ça m'est égal, mais on pourrait, si tu veux ...
    - Tu m'aimes ?
    - Ça ne signifie rien, mais je ne t'aime sans doute pas.
    - Pourquoi m'épouser alors ?
    - Cela n'a aucune importance, mais si tu le désires nous pouvons nous marier. D'ailleurs, c'est toi qui le demandes.

    Cette première partie se termine sur la plage lorsque Meursault sort un revolver et abat un "arabe" (nous sommes en 1942) au cours d'une vaine querelle sans grande importance.
    Le second temps sera celui du procès bâclé et de la condamnation à mort de Meursault avec le célèbre : le condamné à mort aura la tête tranchée.
    La personnalité de Meursault ne lui laisse aucune chance.
    [...] - On vous dépeint comme étant d'un caractère taciturne et renfermé. Qu'en pensez-vous ?
    - C'est que je n'ai jamais grand chose à dire, alors je me tais.
    [...] - Plutôt que du regret véritable, j'éprouve un certain ennui.

    Il n'était pas facile de mettre en images le texte de Camus, de donner corps au jeune Meursault indifférent au monde qui l'entoure mais cet album est une excellente occasion de se replonger dans la philosophie de Camus et d'approcher un peu l'absurdité de la condition humaine.

    BMR Le 27/02/2025 à 17:43:54

    C'est le bouquin de Sophie Brocas (Le baiser) qui nous avait mis sur la piste de cette histoire incroyable : le procès du sculpteur Constantin Brancusi contre les États-Unis au sujet de droits de douane sur une de ses sculptures ...
    Et c'est Arnaud Nebbache (illustrateur et professeur d'art) qui s'y colle pour retracer en images ce procès historique ...

    ❤️ On se passionne pour le débat ouvert par ce procès : qu'est-ce qui fait une œuvre d'art ? Son caractère unique (oui, mais il y a les moulages successifs), la main de l'artiste (oui, mais il y a un atelier de fonderie), le jugement des pairs (oui, mais il y a des réfractaires à un nouveau style), la beauté contemplée, le plaisir ressenti (oui, mais tout cela prête à interprétation) ...
    Et puis c'est aussi une époque où art, artisanat et industrie se télescopent : outre Brancusi, c'est l'époque de Fernand Léger et d'Alexandre Calder par exemple.
    ❤️ On apprécie les croquis supposés de Marcel Duchamp que l'artiste dessine pendant le procès pour tenir informé son ami Brancusi resté à Paris : voilà un moyen astucieux pour retracer de façon vivante les débats de la justice.

    Dans les années 1920, Marcel Duchamp organise à NY une exposition des sculptures de Brancusi.
    À leur arrivée par bateau, les "objets" sont taxés par les douanes US comme "produits manufacturés".
    L'une des sculptures, L'oiseau un moulage de bronze poli quasi abstrait, est prise comme pièce à conviction et s'ouvre alors en 1927 ce fameux procès pour lui faire reconnaître le statut d'œuvre d'art ...

    Le dessin de Nebbache pourra dérouter au premier abord mais on reconnaîtra qu'il s'accorde plutôt bien avec son sujet : l'espace des œuvres d'art et le mouvement du sculpteur, ...
    En bon professeur d'art, l'auteur prend d'ailleurs tout son temps pour imaginer et dessiner tout le long processus de création qui aura conduit l'artiste (le plus abstrait des sculpteurs figuratifs) à cette forme aboutie, qui ne ressemblait plus vraiment à un oiseau mais qui voulait saisir l'esprit du mouvement, l'envol de l'oiseau.
    C'est un choix de scénario judicieux qui permet de mettre le lecteur dans les meilleures conditions pour apprécier tout le sens du procès qui va se dérouler.
    Laissons finalement le dernier mot au juge Waite avec une sentence qui fera date dans l'histoire de l'art :
    [...] Une école d’art dite moderne s'est développée dont les tenants tentent de représenter des idées abstraites plutôt que d’imiter des objets naturels. Que nous soyons ou non en sympathie avec ces idées d’avant-garde et les écoles qui les incarnent, nous estimons que leur existence comme leur influence sur le monde de l’art sont des faits que les tribunaux reconnaissent et doivent prendre en compte.

    Le lendemain du 26 novembre 1928, la presse US ironise : It's a bird !

    BMR Le 27/02/2025 à 17:41:32

    Les belges Hermann Huppen et Yves H. travaillent en famille : papa est au dessin et le fiston au scénario pour nous raconter la triste et sombre histoire d'Old Pa Anderson.

    Nous voici plongés, en 1952, dans l'état du Mississipi.
    L'esclavage a été officiellement aboli mais remplacé dans les États du Sud par la ségrégation.
    Ce n'est plus le Ku Klux Klan qui fait la loi comme autrefois mais pour autant, les noirs ne sont toujours pas chez eux et le racisme continue d'irriguer profondément la société étasunienne.
    ❤️ Dans la famille Huppen, je voudrais le père dont on aime le dessin sombre et poisseux qui convient particulièrement à ce roman noir, une sale histoire dans les états racistes du sud.
    ❤️ Dans la famille Huppen, je voudrais le fils dont on aime le scénario qui sait rester concentré sur l'essentiel : un drame sordide du passé et une vengeance tardive, tout cela ne peut que très mal se terminer, on est dans le Mississipi et ce sont encore les années 50.
    Ce sont les années de la génération de nos parents, comment imaginer qu'aujourd'hui ce pays soit dégagé d'un passé si terrible et si récent ?

    Le grand-père Old Pa Anderson est toujours rongé par la disparition de sa petite-fille, huit ans plus tôt et plus grand chose ne retient le vieux noir à la vie : sa chère Old Ma vient de s'éteindre dans leur lit, minée par le chagrin.
    [...] - Si j'avais fait quelque chose pour la p'tite, peut-être que l'Bon Dieu me l'aurait laissée encore un peu.
    - Faire quoi ? ... Tu te serais surtout fait lyncher avant d'avoir parcouru la largeur d'un trottoir. Et Old Ma avec.
    On n'est juste que des nègres du Mississipi.

    Une révélation bien tardive va lancer Old Pa Anderson sur le sombre chemin de la vengeance.
    Et si [le Mississippi règle ses affaires à sa façon], le vieux noir veut lui aussi régler ses comptes avec le passé.

    BMR Le 27/02/2025 à 17:40:06

    Pourquoi revenir sur ce monument littéraire sur lequel tout a été dit (et sans doute son contraire aussi) ?
    Parce que les éditions Points (avec l'arrivée de Thomas Ragon transfuge de chez Dargaud) ont eu la bonne idée de profiter de la BD de Manu Larcenet pour ressortir le texte intégral de Cormac McCarthy illustré de quelques planches de Larcenet, un collector.
    L'occasion de lire ou relire ce monument littéraire qu'est devenu La route, et bien sûr de découvrir ensuite la superbe BD que Manu Larcenet en a tiré.

    • Un récit d'une noirceur sans fond faite de désespoir et de solitude.
    Il n'y a plus de noms, même plus de mots, il n'y a que l'homme et le petit, une solitude insondable, plus personne à qui parler, même les dialogues entre l'homme et le petit sont rapportés dans un style indirect.
    Après plusieurs années d'errance, ce n'est même plus la fin du monde : le monde est désormais terminé, on est déjà au-delà.
    La question n'est plus de survivre, comment survivre.
    Non, la question est désormais : faut-il vraiment survivre ? Pour quoi survivre ?
    Je crois bien que c'est le premier bouquin où je suis tenté, je veux dire vraiment tenté, d'aller jeter un œil sur les dernières pages pour voir si une lueur d'espoir pouvait s'y cacher ....
    • Le génie de McCarthy c'est d'avoir écrit son bouquin avec une seule image, celle de cet homme et son petit sur la route avec leur caddie, une image qu'il nous repasse sans cesse, encore et encore, pendant toutes ces pages.
    Mais quelle image puissante ! Une image qui vaut un Pulitzer, une image si pleine de sens désespéré, si lourde de terribles sous-entendus, qu'elle imprègne durablement le lecteur et même tout le monde littéraire.
    Il y a du Moby Dick dans cette image.
    Quelques mots, quelques lignes et tout est dit :
    [...] Une heure plus tard ils étaient sur la route. Il poussait le caddie et tous les deux, le petit et lui, ils portaient des sacs à dos. Dans les sacs à dos il y avait le strict nécessaire. Au cas où ils seraient contraints d'abandonner le caddie et de prendre la fuite. Accroché à la barre de poussée du caddie il y avait un rétroviseur de motocyclette chromé dont il se servait pour surveiller la route derrière eux.
    • Comme les temps qui y sont décrits, ce roman a quelque chose de définitif, qui condamne tous les récits passés et à venir de survivalisme et qui surtout condamne définitivement notre soi-disant humanité.

    La fin du monde a eu lieu. On ne sait pas comment, mais cela commence même déjà à dater, d'une bonne dizaine d'années.
    Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant.
    Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes à la Mad Max.
    [...] Ils attendaient, assis sur le remblai. Rien ne bougeait. II passa le revolver au petit.
    Prends-le toi, Papa, dit le petit.
    Non. Ce n'est pas ce qui était convenu. Prends-le toi.
    II prit le revolver et le garda sur ses genoux et l'homme descendit.

    Ah cette terrible chorégraphie du revolver avec l'enfant, plusieurs fois répétée ...
    [...] Quand on sera tous enfin partis alors il n'y aura plus personne ici que la mort et ses jours à elle aussi seront comptés. Elle sera par ici sur la route sans avoir rien à faire et personne à qui le faire. Elle dira : Où sont-ils tous partis ? Et c'est comme ça que ça se passera.

    BMR Le 27/02/2025 à 17:38:14

    Manu Larcenet met en bulles et en images La route, le roman culte de Cormac McCarthy qui avait obtenu le prix Pulitzer en 2007.
    Un pari osé mais un album réussi et très fidèle à ce monument littéraire.
    Manu Larcenet avait déjà lâché en 2009 une petite bombe dans le petit monde la BD avec Blast : exit les couleurs acryliques et rutilantes, Manu nous proposait quatre gros albums au noir & blanc éclatant, expressif et même lumineux. Déjà, c'était une histoire de SDF errant sur les routes.
    Après avoir adapté Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, il était somme toute assez logique que Manu Larcenet s'attaque au roman culte de Cormac McCarthy, qui avait déjà été porté sur écran en 2009 par John Hillcoat avec Viggo Mortensen.
    De toute évidence, la noirceur du dessin de Larcenet était faite pour illustrer ce sombre récit post-apocalyptique.
    La fin du monde a eu lieu. On ne sait pas trop comment et cela commence même déjà à dater, d'une bonne dizaine d'années. Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant. Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes sorties de Mad Max.
    Un récit dans lequel il n'y a plus de noms, presque plus de mots, il n'y a que l'homme et le petit, une solitude insondable, plus personne à qui parler et le roman de McCarthy était avare de dialogues, rempli de silences et de non-dits.
    Voilà qui laisse toute la place à Larcenet pour déployer son talent de metteur en scène et faire en sorte que le dessin devienne lui-même le récit - un beau challenge pour un bédéaste.
    Sans cartouches de texte "off", sans bulles explicatives, c'est uniquement grâce à l'enchaînement des cases et à la force suggestive des dessins que le récit est retranscrit dans un noir et blanc sale et charbonneux à l'image de ce monde de cendres apocalyptiques, parfois teinté de sépia ou de teintes orangées.
    Les rares phylactères jaillissent de cet univers pour mieux souligner les non-dits des rares dialogues entre l'homme et son petit.
    Le génie de McCarthy c'est d'avoir écrit son bouquin avec une seule image, celle de cet homme et son petit sur la route avec leur caddie, une image qu'il nous repassait sans cesse, encore et encore. Mais quelle image puissante !
    Une image qui lui a valu un Pulitzer, une image si pleine de sens désespéré, si lourde de terribles sous-entendus, qu'elle imprégnait durablement le lecteur et même tout le monde littéraire.
    Une image dont s'est emparé avec brio Manu Larcenet dont les planches arrivent à nous faire partager le quotidien de ces deux êtres en perdition et ressentir les souffrances (et les trop rares joies) de ces corps amaigris.
    En un peu plus de 150 pages, l'auteur prend tout le temps de développer fidèlement le roman avec ses scènes les plus notables : le coca, le revolver, le bunker... tout y est.
    Le pari était osé, voire risqué, mais avec la réussite et la reconnaissance des lecteurs, le succès est au rendez-vous : l'album a déjà été réimprimé et cela dans plusieurs langues.
    Larcenet avoue tout de même un regret : « Ne pas avoir pu remettre cet album à Cormac McCarthy lui-même. » puisque l'auteur américain est décédé en juin dernier.

    À noter : les éditions Points (avec l'arrivée de Thomas Ragon transfuge de chez Dargaud) ont eu la bonne idée de ré-éditer le roman de McCarthy en version "collector" avec quelques planches illustrées tirées de la BD, histoire de doubler le plaisir avec la (re-)lecture du roman !

    • On voit tout de suite ce qui a pu séduire Larcenet dans ce texte rapidement devenu mythique.
    Le sombre récit de McCarthy laissait les rares et pauvres dialogues se dissoudre dans une prose puissante. Les planches en noir et blanc de la BD sont à la hauteur de la puissance du récit et les bulles y retranscrivent les rares dialogues presque mot pour mot.
    • Un complément essentiel au livre où l'enfant prend toute sa place.

    La fin du monde a eu lieu.
    Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant.
    Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes à la Mad Max.
    [...] Il sera de quelle couleur l'océan ?
    Et quelques planches plus loin :
    [...] Je te demande pardon ... L'océan n'est pas bleu.

    BMR Le 27/02/2025 à 17:36:36

    Erik Juszezak signe un album bigrement intéressant avec cet Erectus adapté d'un roman de Xavier Müller paru en 2018.
    Le dénouement "ouvert" laisse présager d'épisodes à suivre (tout comme ce fut le cas pour les romans de Müller).

    Un virus inconnu infecte les animaux et les fait régresser à un stade de l'évolution très antérieur.
    Ainsi un éléphanteau d'un parc africain se métamorphose en gomphothérium, l'ancêtre de nos mammouths et éléphants, une bestiole qui vivait il y a plusieurs millions d'années et dont nos musées conservent quelques défenses et même squelettes.
    Après différents animaux, le virus Kruger (du nom du parc africain) finit évidemment par se transmettre à l'homme : les victimes se retrouvent en Homo Erectus, notre ancêtre très futé qui s'est levé debout et a sans doute inventé le feu et les prémices du langage.
    Notre société se retrouve vite partagée entre ceux qui voudraient apporter des "soins" à nos congénères, les partisans d'une incarcération en réserve et ceux d'une éradication plus définitive de ces monstres.

    • On aime bien le soin apporté à la vraisemblance du scénario avec une mise en place progressive qui rappelle un peu celle de la série tv Zoo ou le film Le règne animal. Xavier Müller est un scientifique et peaufine la genèse de toute cette histoire.
    • Le bouquin a été écrit en 2018 bien avant la pandémie de Covid mais l'album est plus récent. Ce qui explique sans doute que l'histoire se focalise un moment sur un mystérieux labo P4 d'où se serait échappé le fameux virus Kruger. Et depuis le Covid, on n'a plus trop envie de railler ces élucubrations.
    • On apprécie aussi beaucoup le clin d’œil intelligent au zoo de Vincennes (où sont parqués les Erectus français), zoo qui de sinistre mémoire avait "accueilli" quelques étranges spécimens au temps béni des colonies : on se souvient du remarquable petit bouquin de Didier Daeninckx, Cannibale.
    • On trouve sujet et scénario tout à fait passionnants mais l'adaptation, peut-être trop fidèle au bouquin original, manque de caractère : l'album a un goût de trop ou de trop peu et le dessin, clair et agréable mais très classique, manque un peu de punch ou de modernité.

    BMR Le 27/02/2025 à 17:35:05

    On avait déjà apprécié Roger le dessinateur espagnol : c'était un polar, Jazz Maynard, assez violent, au dessin très moderne.
    Des caractéristiques que l'on retrouve dans cet album Le Dieu-Fauve avec un scénario de Fabien Vehlmann.

    • On apprécie le dessin très moderne (habituellement on n'est pas trop fan) rehaussé d'une mise en page très dynamique, presque agressive, et tout cela convient parfaitement à cette histoire.
    • On aime bien le scénario de Vehlmann qui nous plonge dans des temps inconnus où quelques clans survivent sur Terre avant qu'un cataclysme ne vienne rebattre les cartes.
    Le montage est assez original en plusieurs chapitres : chacun d'eux se focalise sur l'un des personnages de l'histoire pour une conclusion assez inattendue, avant le chapitre suivant.
    Chaque partie nous dévoile un peu plus des dessous cachés de l'intrigue et remet en cause les apparences des volets précédents.
    • De cet album exsudent violence et chagrin. Le chagrin des soumis qui attendent que sonne l'heure de leur vengeance, quand la violence sera la leur et non plus seulement celle de leurs maîtres.

    Dans des temps inconnus, quelques clans survivent sur Terre avant qu'un cataclysme ne vienne rebattre les cartes et bouleverser les hiérarchies établies jusqu'ici entre maîtres et esclaves.
    Dans ce monde, il est d'usage de dresser des singes pour en faire de redoutables combattants.
    Sans-Voix est l'un d'eux. Il est appelé à devenir un Dieu-Fauve.
    [...] Je l'ai dressé à devenir une arme divine, Altesse.
    Et il m'a fallu pour cela faire grandir en lui une colère et une souffrance qu'il vous serait difficile d'imaginer...
    [...] L’élève qui dépasse le maître... Voilà qui est dans l’ordre des choses. C’est une bonne mort.
    [...] La coutume affirme en effet que parmi ces prédateurs se cache parfois un Dieu-Fauve : l'incarnation sur Terre du seigneur de la violence.

    La coqueluche des arènes apportant à son propriétaire honneur, gloire et fortune. Parfois même un retour en grâce au sein de l'Empire.

    BMR Le 27/02/2025 à 17:32:33

    Après le succès du Monde sans fin, voici Capital & Idéologie, cuisiné selon la même recette : sur le fond, la réflexion et la caution d'une grosse tête d'intellectuel progressiste (après Jancovici sur les énergies, ce sera le tour de Thomas Piketty sur l'économie) et sur la forme, le travail lumineux de celles et ceux qui ont un don magique pour vulgariser les sujets les plus complexes (ce sera Claire Alet, journaliste et documentariste, elle travaille au magazine Alternatives économiques).
    Benjamin Adam a mis ses talents d'illustrateur et de graphiste au service des deux économistes.
    Bref, il y a là tous les bons ingrédients et une bonne recette : le résultat est évidemment à la hauteur !

    • On ne peut qu'applaudir des deux mains à ce travail de vulgarisation et de mise en scène du livre de Thomas Piketty : c'est un remarquable travail qui donne à tous les clés d'accès indispensables. Cet ouvrage lumineux est éclairant ! Une lecture obligatoire pour mieux maîtriser les débats économiques !
    • Certains raccourcis historiques sont saisissants : les indemnisations des privilèges de la noblesse et du clergé, plus tard de l'esclavage aboli, l'analyse (je cite) du retournement du clivage éducatif, la fameuse courbe de l'éléphant, ... tout cela élève le débat (et le lecteur) à des hauteurs insoupçonnées.
    • On apprécie le dernier chapitre qui donne quelques clés pour faire évoluer le capitalisme et l'Europe : contrairement au plaidoyer nucléaire de Jancovici (qui s'avérait peu convaincant), les propositions de Piketty sont captivantes et éclairantes.

    L'album est un véritable cours d'Histoire de l'économie occidentale au travers de l'évolution de toute une famille : l'arbre généalogique court de 1789 jusqu'à aujourd'hui.
    L'abolition (et l'indemnisation) des privilèges à la Révolution, l'abolition (et l'indemnisation) de l'esclavage, le temps béni des colonies, la naissance des impôts modernes, l'évolution de la propriété, les guerres bien sûr (Sécession, 1914, 1940), la Grande Dépression, le New Deal, Keynes, les Trente Glorieuses, la crise de la dette et l'inflation, c'est toute notre histoire occidentale qui est revisitée à travers le prisme de celle du capitalisme.

    BMR Le 27/02/2025 à 17:31:41

    Aurélien Ducoudray met son expérience de journaliste au service de ses scénarios : la Bosnie, la Tchétchénie, ... et ici la Chine profonde.
    Et c'est Fred Druart qui est aux pinceaux de ce "polar documentaire" : Les âmes noires.

    • On aime beaucoup le sujet dont se sont inspirés Ducoudray et Druart.
    L'idée est curieuse mais idéale pour les curieux.
    Leur récit est basé sur un documentaire (de 2008) du cinéaste chinois Wang Bing : L'argent du charbon.
    Ne gardant que l'essentiel, Ducoudray a épuré scénario et dialogues jusqu'à l'os, exactement comme il convient dans cette région sèche et pauvre où il ne fait pas bon vivre.
    • Au diapason, Druart illustre cette courte histoire avec un dessin nerveux et délibérément "sale" qui fait ressortir le côté terreux et pierreux des paysages.

    Nous sommes au fin fond de la Chine du nord, dans une région minière reculée, sans doute la province de Shanxi près de la Mongolie.
    Entre la gigantesque mine de charbon et les usines ou les ports, une noria de vieux camions bringuebalants sillonnent une mauvaise route. Dans ces régions arides, pauvres et désolées, l'or noir est l'objet de toutes les convoitises et de tous les trafics.
    Yuan est chauffeur de camion sur cette route du salaire de la peur, mais un salaire de misère.
    Son camion, c'est ce qui les nourrit, lui, sa femme et sa fille.
    [...] - Assieds-toi, tu veux jouer ?
    - Tu joues quoi ?
    - Ton camion.
    - Contre ?
    - Mon commerce ?
    [avec les dés en main] - Ils sont truqués ?
    - Bien sûr. Tous les dés sont truqués ...
    On doit rien laisser au hasard dans la vie, ça serait bien trop dangereux.

    BMR Le 27/02/2025 à 17:30:28

    À la lettre “F", le répertoire des femmes fatales semble bien interminable … On est bien sûr tombé sous le charme de ces femmes … que l’on ne croise qu’une seule fois !
    Voici donc Mélanie Horst, Aimée Joubert ou Madame Souabe, peu importe : tous ces noms ne désignent qu’une seule femme … fatale.
    Après Tardi, le dessinateur Max Cabanes a choisi de reprendre plusieurs œuvres de Patrick Manchette (aidé par Doug Headline qui n’est autre que le fils de Patrick Manchette).
    Fatale est réputée comme leur meilleure adaptation (après La princesse de sang), ce que l’on peut confirmer ici.
    Changeant de ville comme de nom, d’apparence et de coiffure, la pulpeuse jeune femme semble très occupée à faire le ménage dans les milieux de la bourgeoisie chabrolienne de province.
    Hommes d’affaires véreux, chasseurs grossiers et ventrus, épouses dévouées à la carrière de leurs maris, flics compromis ou notaires concupiscents, … ce ne sont pas les proies qui manquent et le lecteur se délecte d’avance lorsque la dame (appelons la Aimée par exemple) débarque dans une nouvelle petite bourgade bien de chez nous. En bord de mer, Aimée semble nager comme un poisson dans ces eaux troubles agitées de passions, de haines, de fric, de sexe et de magouilles.

    […] C’est comme d’habitude, non ?
    Ce sont toujours les histoires de cul qui apparaissent les premières …
    Puis viennent les questions d’intérêts …
    … et enfin les vieux crimes.
    Tu as vu d’autres villes ma douce. Et tu en verras d’autres.

    Mais qui est Aimée ? Quel passé nous cache-t-elle ? Et à part l’argent, qu’est-ce qui la motive dans ce rôle de nettoyeur ? Les notables de Bléville l’apprendront bientôt à leurs dépens.
    Mais plutôt qu’un polar inquiétant ou une intrigue sophistiquée, Cabanes a choisi de nous peindre une ambiance et un personnage.
    Coup de chapeau pour cette BD qui sort des sentiers rebattus.
    Un seul volume là où d’autres jouent les prolongations en série.
    Un décor (savamment construit) des années 60-70 avec 2CV, R16 et 4CV en guise de vaisseaux spatiaux.
    Des images troubles et inquiétantes, comme battues par la pluie et les mauvais (pres)sentiments …

    Et puis une BD qui donne vraiment envie de (re-)lire le roman ? Quel plus bel hommage ?

    BMR Le 27/02/2025 à 17:29:21

    Après le très remarquable Fatale, on retrouve le dessinateur Max Cabanes et le journaliste Doug Headline pour une précédente adaptation d'un autre roman de Jean-Patrick Manchette (le père de Tristan Manchette alias Doug Headline) : La princesse du sang.
    Avant d'être surpris par la grande faucheuse, Manchette amorçait avec ce roman un virage plus "géopolitique" dans sa carrière d'écrivain, qui annonçait une série d'autres aventures.
    Doug Headline avait à cœur de terminer ce projet pour en faire un film peut-être. Ce sera une BD sortie en deux volumes en 2011.
    Une édition intégrale, revue et augmentée, a vu le jour en 2015 rassemblant les deux albums initiaux.

    • Depuis longtemps on goûte (avec un peu de nostalgie) l'esprit post-soixante-huitard de ces néo-polars des années 70-90 quelque part entre anarchisme et pessimisme, celui des A.D.G., Vautrin ou Fajardie.
    • On se passionne ici pour le contexte géopolitique complexe de cette intrigue : l'échec de la révolution hongroise de 1956 à Budapest, la lutte entre les services secrets français et étasuniens pour prendre le contrôle du MNA en Algérie, les débuts de la révolution castriste à Cuba, ...
    Ambiance d'époque garantie qui rappelle le roman de Laurent Guillaume paru récemment : Les dames de guerre.
    • On plonge avec délectation dans la jungle cubaine aux côtés de la jolie Ivy pour ce roman d'aventures au scénario foisonnant où l'on ira de surprise en surprise.
    • Et si Doug Headline était tout indiqué pour reprendre l'héritage paternel, les cadrages très rythmés de Cabanes accompagnent parfaitement le récit de leur trait "soigneusement négligé".

    1956. La jeune et jolie photographe Ivory Pearl, dite Ivy, part se mettre au vert dans la jungle cubaine après avoir passé plusieurs années à écumer tous les conflits de la planète pour ses reportages.
    C'est son protecteur, Bob Messenger - un britannique qu'elle a rencontré pendant la guerre à Berlin alors qu'elle n'avait que quinze ans et que lui cherchait une "couverture" pour cacher son homosexualité, qui lui a suggéré Cuba comme lieu de villégiature, avec peut-être quelques arrières pensées ...

    BMR Le 27/02/2025 à 17:27:43

    Cet album dresse un véritable panorama autour de celles et ceux qui œuvraient dans les coulisses du pouvoir, après-guerre. On y révise l'Histoire d'une France gaulliste pas toujours très reluisante, celle des années 50 et 60.

    Il s'agit d'une “intégrale” qui regroupe les 4 tomes précédemment sortis (en 2016) sous le titre “Les années rouge et noir”, une bande dessinée librement inspirée d'un roman éponyme de Gérard Delteil (2014).
    Didier Convard et Pierre Boisserie sont au scénario, Stéphane Douay au dessin.
    Un album qui fait bien sûr écho à celui d'Etienne Davodeau et Benoît Collombat : Cher pays de notre enfance (2015).

    Le scénario va faire se croiser les destinées de plusieurs personnages imaginaires : Aimé Bacchelli, un futur ex-collabo intriguant dans l'ombre, Agnès Laborde, une jeune résistante engagée chez les gaullistes, Alain Véron, le frère d'un militant communiste qui a été exécuté, et Simone Baroux, future journaliste.
    De quoi balayer un large panorama de la reconstruction après-guerre de la France.
    Certains de ces personnages “imaginaires” sont inspirés de la vraie vie : le parcours d'Aimé Bacchelli ressemble à celui de Georges Albertini, Simone Baroux pourrait être l'avatar de Françoise Giroud, ...
    On rencontrera également des personnages de la vraie vie sous leurs vrais noms comme René Bousquet, le patron de la police vichyste ou Hélène Lazareff, la journaliste qui fonda le magazine Elle.
    Et outre le Général, d'autres personnages plus ou moins brillants de notre République : George Pompidou, Marie-France Garaud, Pierre Juillet, Charles Pasqua, ...
    Ce sont les années de la création du SAC et de ses barbouzes, quand l'ombre du général plane sur le pays.

    Cette Histoire de France commence à la veille de la Libération. À Paris, ça sent le roussi pour les allemands et les vichystes. Et les manœuvres ont commencé autour des fiches perforées utilisées pour recenser les juifs, les communistes ou qui l'on veut. C'est de ce fichier que naîtront plus tard notre recensement INSEE et notre fameux numéro de sécu.
    [...] Je comprends. D'après ce que m'a dit Bacchelli, ces fiches représentent un moyen de pression et donc une arme redoutable pour qui les détient, c'est ça ?
    [...] Il faut jouer avec les cartes que l'on a en main. À propos de cartes, il se trouve que ...

    Fil rouge de ce thriller politique, ces fiches mécanographiques (c'était avant l'informatique) sont un véritable enjeu dans les comptes qui vont se régler entre vrai-faux collabos et faux-vrais résistants, tout au long de la France gaulliste, jusqu'à l'arrivée de Giscard d'Estaing et Jacques Chirac qui ferment le ban de ces années gaulliennes.

    ➔ On aime le côté très politique de ce récit : on y retrouve la plupart des événements qui ont marqué le pays depuis les années 50 jusqu'en 1974. C'est une véritable leçon d'Histoire qui donne envie de (re)lire le roman de Gérard Delteil.
    ➔ On apprécie le récit fait des parcours entrecroisés des quatre personnages principaux. Chacun tente de jouer avec les cartes (mécanographiques ou pas !) qu'il a en main et on se prend au jeu.
    ➔ Le dessin reste très simple pour laisser toute la place au récit, à peine teinté de sépia pour mieux dater le contexte rétro.

    BMR Le 27/02/2025 à 17:25:31

    Philippe Xavier est un dessinateur formé sur le continent américain à la publicité et au graphisme.
    Matz (Alexis Nolent) est un scénariste que l'on connait bien : c'est celui de la série Le Tueur, dont on retrouve ici quelques caractéristiques (monologues en voix off, ...) et de quelques autres albums remarquables, souvent des coups de cœur.
    Tous deux sont régulièrement aux commandes d'une série d'albums : Tango, dont on reparlera certainement.
    Voici donc Le serpent et le coyote, tout un programme !

    ❤️ Les BD "à texte" de Matz qui sait jouer les "écrivains" et qui s'y entend pour nous faire partager la route d'un coyote solitaire comme on les aime : on ne se lasse pas de ces monologues ou de ces dialogues, de ce ton sec et nerveux qui claque et qui est celui des meilleurs romans noirs US.
    ❤️ Les cadrages "home cinema" de Xavier et la mise en couleurs soignée : les paysages US de l'Arizona ou du Colorado y sont fort bien exploités et les effets de zoom dynamisent les images tout comme l'histoire.
    Même si, je cite : [le moment est mal venu pour faire le malin avec des références cinématographiques à la con].

    Les auteurs se sont emparés d'un thème cher au polar noir : le programme US de protection des témoins, le WITSEC (le Witness Security Program) qui offre, aux frais de l'État, une seconde vie aux truands qui acceptent de témoigner contre de pires truands. Un dispositif qui a connu des débuts difficiles quand il a été mis en place à la fin des années 60 mais qui a permis quelques victoires contre le crime organisé : c'est tout cela qui est évoqué dans cet album.

    Dans son camping-car, "Joe" (c'est son nom aujourd'hui, comme celui de tous les témoins protégés du Witsec), parcourt le désert US entre Arizona et Utah. Il aura bientôt la compagnie d'un coyote à qui il peut raconter sa vie mouvementée.
    [...] - J'ai l'impression qu'on est un peu pareils, tous les deux ... T'as plus de famille et plus d'amis, on dirait, non ?
    - Wiif
    - Tout seuls dans le vaste monde ... Mais tu sais, je me dis que parfois c'est pas plus mal ...
    Je suppose que c'est comme ça qu'il faut voir les choses, quand on n'a pas trop le choix. Qu'est ce qu'en te dis, Crash ?
    - Wouif Wiff
    - Ouais, nous sommes d'accord. Un homme doit faire ce qu'il doit faire avec ce qu'il a. Ça doit marcher pareil pour les clébards.
    [...] - Et puis je suis content d'avoir quelqu'un à qui parler, même si c'est un clébard. Les clébards, ça sait écouter. Les chats, ça se fout pas mal de nos problèmes d'humains de merde.

    Sur les traces de "Joe", on trouve bien sûr ses anciens amis qui ne lui veulent pas que du bien mais aussi les marshalls qui veulent le rappeler à la barre des témoins d'un nouveau procès ...
    Tous comprendront un peu tard qu'il faut se méfier du serpent qui semble dormir caché dans le sable du désert.

    BMR Le 27/02/2025 à 13:45:51

    Du Donbass au Sahel, deux journalistes de Jeune Afrique nous livrent un reportage en images sur la fameuse milice Wagner : l'histoire secrète des mercenaires de Poutine après 3 ans d'enquête.

    On a entendu beaucoup de choses et leurs contraires sur la tristement fameuse milice russe Wagner qu'il était bien commode de diaboliser autour de son patron Evgueni Prigojine, mais qui lui survit sans problème depuis sa mort en août 2023.
    Benjamin Roger et Mathieu Olivier sont tous deux journalistes : autant dire que cette BD n'est pas un album d'aventures de guerre mais une très sérieuse BD-reportage.
    Ils ont travaillé tous deux pour le magazine Jeune Afrique et connaissent donc parfaitement leur sujet.
    Thierry Chavant s'est engagé à leurs côtés pour illustrer cette enquête qui s'étend sur plusieurs années et plus d'un continent.

    Cette bande dessinée est une façon bien commode d'améliorer sa connaissance du sujet : l'ascension du groupe Wagner, les exactions commises, les enjeux financiers, la géopolitique africaine, ...
    Le récit est très documenté : basé sur les investigations des deux journalistes et les témoignages recueillis, c'est un gros travail de plusieurs années qui nous est résumé dans ces planches.

    La chronique de lecture complète sur http://bmr-mam.blogspot.com/2025/02/wagner-b-roger-et-m-olivier-t-chavant.html