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::: AVIS POUR LE TIRAGE DE LUXE GRAND FORMAT :::
Cette édition est, je pense, à réserver aux collectionneurs. J’entends par collectionneurs les passionnés de bandes dessinées qui préfèrent la qualité à la quantité, qui apprécient autant le livre pour l’objet que pour son contenu. Je sais que nous sommes nombreux dans ce cas.
Pour ma part, ma bédéthèque n’est composée « que » d’un millier de titres, mais elle est forte de 80% d’EO, de collectors, ou d’éditions parfois très rares. Je précise cela car c’est uniquement au travers de ce prisme que j’ai vu cette parution et qu’elle m’a semblé intéressante. On pourrait débattre du prix excessif, 35€, et de la politique de Dargaud qui ne recule jamais devant un bon filon à exploiter. D’ailleurs, l’éditeur affiche crânement « tirage limité » sur la couverture, sans détailler (bien évidemment !) le nombre d’exemplaires. On devine qu’il doit être beaucoup plus élevé que l’expression « tirage limité » le laisse penser. Si quelqu’un a l’info, je suis preneur.
Pour les autres, économisez-vous une fortune, les albums courants suffisent amplement pour découvrir le plus félin des privés et l’hallucinante galerie d’animaux anthropomorphes qui l’environne.
Ceci étant dit, l’univers foisonnant imaginé par Díaz Canales et Guarnido mérite largement le privilège d’un format XXL. Redécouvrir « Quelque part entre les ombres » dans ces dimensions généreuses est assez fascinant. Elles révèlent d’autant mieux les mille détails et les nuances de couleurs. C’est magnifique. Les copieux bonus sont également passionnants.
Tous les épisodes ressortiront bien sûr dans cette collection « 25 ans ». Ayant acquis le premier, je me vois mal à présent faire l’impasse sur ceux qui suivront. Je vais devoir commencer à provisionner dès maintenant !
Les plus de 400 planches d’Olympe de Gouges représentent bien le travail exceptionnel que le duo Catel et Boquet est capable de fournir pour créer une bande dessinée consacrée aux femmes « clandestines de l’Histoire ».
En revanche, si Kiki de Montparnasse m’avait enchanté, Olympe de Gouges ne m’a malheureusement pas touché de la même façon. Il faut dire que je suis beaucoup plus sensible à l’émulation artistique du début du 20°s qu’aux philosophes des Lumières.
En fait, je ne suis jamais vraiment arrivé à rentrer dedans, essentiellement à cause d’un rythme narratif morcelé et trop haché.
Le début, décrivant longuement les mœurs de la bourgeoisie et de la petite noblesse provinciale au XVIIIème siècle, avant même la naissance d’Olympe, est un assez lénifiant.
Je comprends l’intention des auteurs d’avoir voulu montrer qu’une femme seule, à l’époque, avait peu d’alternatives et se devait d’être au minimum pragmatique, voire calculatrice, pour tenter de s’en sortir. Mais le récit manque de mordant pour faire passer l’idée avec attrait.
De plus, j’ai eu l’impression durant les 2/3 du livre qu’Olympe était, certes, une femme intelligente et indépendante, mais également légère et opportuniste. Bien souvent, en lisant, je ne comprenais pas en quoi ce qu’elle faisait était extraordinaire.
Jusqu’à ce qu’une accélération brutale de l’action survienne dans le dernier tiers avec l’avènement de la Révolution française et le chaos social et politique qui en a découlé.
Cette peinture réaliste des évènements est sans doute la meilleure partie de l’œuvre mais malgré sa qualité, elle arrive un peu tard et ne semble pas en accord avec tout ce qui a précédé.
Je pense que les auteurs se sont limités à la stricte biographie d’Olympe de Gouges, en s’interdisant de romancer la vie de leur personnage pour combler les trous dans la chronologie. En soi, c’est parfaitement louable. Mais cela pose un gros problème de fluidité. Sa vie, pour riche qu’elle soit, n’étant pas forcément un scenario prêt à l’emploi.
En conclusion, ma lecture a été trop souvent bousculée par ces soucis de rythme pour apprécier cet élégant roman graphique à sa juste valeur. Et c’est bien dommage car il s’agit d’une femme et icône féministe au parcours incroyable et d’une très belle œuvre, tout simplement, que je vous invite à lire pour vous faire votre propre idée.
::: Avis pour les 5 premiers tomes :::
Quel plaisir de relire de temps en temps des séries comme « Les passagers du vent » ! Un classique parmi les classiques, qui suit la recette inratable des aventures au long cours :
- Un enchainement d’actions complètement improbable, mais qui sait toujours rester à la limite du plausible. La trame narrative, baignée d’exotisme, se développe de façon copieusement romanesque, avec moult rebondissements, sans jamais perdre son fil.
- Un contexte authentique et précis. Les albums sont parsemés de très nombreux détails historiques (navires, costumes, armes, lieux, faits) qui donnent au récit cohérence et crédibilité.
- Une pléiade de protagonistes bien incarnés. De l’héroïne intelligente, désirable et intrépide, aux salopards de première, en passant par pléthore de personnages secondaires. Et surtout, le rôle irrésistible de Mary, aussi forte que vulnérable, aussi innocente que délurée, éternellement optimiste, qui offre un contrepied savoureux au côté légèrement tête à claque d’Isabeau.
- Une qualité d’écriture remarquable, avec des tournures de phrases brillantes et des formules cinglantes. Un français qu’on aimerait lire plus souvent.
- Sans oublier – on peut s’en réjouir ou s’en affliger – un inévitable soupçon d’érotisme.
En résumé, un cocktail bien dosé d’excellents ingrédients. Le premier cycle de 5 albums est un modèle du genre et se suffit à lui-même.
Seul le dessin des visages est parfois maladroit. D’ailleurs, c'est tout le style graphique dans son ensemble qui pèche par un côté vieillot. Personnellement, je ne suis pas fan mais je reconnais volontiers le talent de Bourgeon. Il nous a livré avec « Les passagers du vent » de la bonne BD à l’ancienne, épique et généreuse, dont chaque relecture révèle de nouvelles saveurs.
Incontournable, pour ne pas dire indispensable.
Impossible pour moi de passer à côté de « Shin Zero », projet conçu par deux de mes auteurs préférés. Je suis habituellement peu friand des mangas, mais celui-ci vaut clairement le coup.
Le dessin, déjà, rappelle forcément le formidable « P.T.S.D », avec cette ville tentaculaire et ce foisonnement de détails propre au style de Guillaume Singelin. Ici, le trait est caractérisé par l’utilisation d’une trame mécanique bien visible et bien exploitée, qui donne une gamme de gris esthétique et lisible. Les rehauts de couleurs confèrent également à l’ensemble une identité visuelle affirmée, ce qui est toujours un gros plus dans une série.
Côté scenario, c’est très régressif. Le récit concocté par Mathieu Bablet s’inscrit clairement dans l’hommage aux séries japonaises des années 80 comme X-Or ou Bioman.
Pour autant, « Shin Zero » n’a rien d’enfantin. Bablet a centré son intrigue autour des personnages. Ils peuvent sembler caricaturaux de prime abord, mais ils révèlent leur profondeur au fil de l’histoire. Avec un équilibre idéal entre le ton, qui sait rester léger, et le propos général assez introspectif, riche d’enjeux humains et de réflexion.
Il n’y a qu’un bémol ; le premier quart de l’histoire parait confus. J’avoue qu’il m’a été difficile de rentrer dedans. Mais une fois familiarisé avec le contexte, heureusement, cette impression disparait et le scenario prend tout son sens.
Encore un banger du Label 619, comme diraient mes enfants ! Un premier tome étonnant et bien goupillé, en tout cas, dont je suis impatient de découvrir la suite.
Un comics d’un autre genre, qui vaut surtout pour son ambiance subversive et complètement décalée. Les illustrations délicates de Patrick Horvath pourraient presque rappeler « La famille souris » du regretté Kazuo Iwamura.
Il nous transporte vers un monde d’animaux anthropomorphes d’apparence innocente, dans le décor bucolique de Woodbrook, une de ces petites villes typiquement américaines où il fait bon vivre. C’est là qu’habite Samantha, une ourse placide et sans histoire, appréciée de tous. Sauf que la gentille commerçante qu’ils croient connaitre est en fait une redoutable psychopathe, qui assassine méthodiquement des gens de la ville voisine depuis des années.
Tout aurait d’ailleurs pu continuer tranquillement comme cela si un mystérieux tueur n’avait pas commencé à semer la psychose dans les foyers, contrariant dangereusement la routine morbide de Sam…
Il ne s’agit nullement d’une parodie mais d’un vrai bon scenario de genre. Peut-être un poil trop classique, mais plutôt malin, qui se lit avec un plaisir jubilatoire.
« Beneath the trees where nobody sees » est une œuvre inclassable, au parfum de BD culte. Un croisement sulfureux entre Dexter et Petit Ours Brun, édité avec le plus grand soin par Ankama (dos toilé, couverture en relief, signet). A lire absolument.
Il y a des albums qui, dès les premières pages, donnent immédiatement l’impression d’être des futurs classiques. Islander en fait partie.
Grâce à un storytelling digne des meilleures séries télé, le lecteur est happé dans une histoire intense et anxiogène, se développant sur plusieurs ars narratifs. Le scenario s’inspire de la théorie de la collapsologie, ou effondrement global de la civilisation, mais très peu d’éléments de contexte sont fournis. Sans que le lecteur ne sache quels évènements se sont produits, la population européenne se trouve en situation d’exode massif. Des milliers de réfugiés se massent dans des camps de rétention en attendant un hypothétique départ pour les terres d’accueil du nord. Au terme de nombreuses péripéties, un petit groupe hétéroclite parti du Havre, va se retrouver en Islande où l’un des membres veut y lancer le mystérieux projet « Islander ». L’île, en proie à une xénophobie radicale, s’est scindée en deux états et réserve un sort funeste aux migrants. Ceux qui sont attrapés sont envoyés dans le camp des refoulés, abominable prison à ciel ouvert, où l’espérance de vie est un concept abstrait.
Ce récit est déjà alléchant en soi mais dessiné par Corentin Rouge, il prend une tout autre dimension. Dans un style réaliste précis et détaillé, le dessinateur arrive à créer un univers visuel éblouissant. Aucun défaut, chaque planche est un cadeau pour les yeux.
L’écriture n’est toutefois pas parfaite. En étant centrée sur l’action, l’histoire laisse assez peu de place aux personnages. Arrivé à la fin de l’album, on se rend compte qu’on ne les connait pratiquement pas et qu’on ne sait toujours rien sur eux. C’est dommage. J’attends pour la suite plus de psychologie à leur sujet, car à ce stade il est difficile de se projeter en eux. Sans compter que Liam, qui tient le premier rôle, est pour l’instant bien peu sympathique et peu charismatique.
Deuxième défaut : des facilités scénaristiques dans le déroulement des faits (la fuite de Liam et les personnes sur qui il tombe comme par hasard) m’ont fait froncer les sourcils. La raison est simple : le traitement extrêmement réaliste voulu par les auteurs crée des attentes en termes de crédibilité. Autrement dit, dans un contexte réel, on s’attend à ce que tout soit plausible. Or, sur ce plan, il ne faut pas être trop regardant et se rappeler qu’Islander reste une pure fiction dont certaines ficelles peuvent se voir.
Il faut le savoir, mais cela ne gâche ni la lecture, ni la qualité de l’ensemble.
Une grande série vient peut-être de naitre… vivement la suite !
Tout ce qui m’avait manqué dans le précédent tome revient en force dans ce 14ème chapitre. Il y flotte enfin ce doux parfum de manigance qui fait tout l’intérêt des 5 Terres.
L’enchainement de combats bourrins qui avait entamé le 3ème cycle, laisse ici place à des dialogues subtils qui permettent aux personnages de révéler leur profondeur, leurs failles et leurs histoires personnelles.
Fruit d’une écriture fluide, cette dimension psychologique est amenée tout naturellement dans le fil de l’histoire, sans forcer le trait et sans nuire à l’action.
En prenant de l’épaisseur, chaque acteur peut potentiellement devenir essentiel à un scenario qui se complexifie peu à peu. De nouveaux enjeux émergent et l’on devine déjà que destin des Ours est plus fragile qu’il n’y parait et peut basculer à tout moment.
Cet excellent récit est servi par un dessin époustouflant. Jérôme Lereculey aura rarement mis autant de richesse et de densité dans son trait. Les paysages d’Arnor sont absolument magnifiques, les décors et ambiances de pluie aussi. Mais c’est surtout au niveau du chara-design que le talent de l’artiste s’exprime : les expressions des visages, les costumes, les accessoires, sont tous incroyables. Alors même que des dizaines de personnages sont en scène, le lecteur n’est jamais perdu et vit les évènements au plus près, grâce à des cadrages et des mouvements ultra efficaces. Une véritable prouesse graphique.
Si l’on rajoute le retour des annexes, dont j’avais déploré l’absence à l’épisode précédent, on obtient un tome flamboyant qui lance le monde d’Arnor au cœur de la saga 5 Terres.
Ne pas avoir de Cosey dans une estimable collection de BD me semblait une lacune à combler. Ce que j’ai fait en m’offrant l’intégrale de son fameux « Voyage en Italie ».
J’ai beaucoup aimé et je comprends que ce titre jouisse d’une si belle notoriété.
Le trait de Cosey est marqué par son époque mais il reste solide et la colorisation est remarquable. Si les personnages sont parfois rendus de façon peu gracieuse, les décors et paysages sont toujours spectaculaires, avec des vues d’Italie dépaysantes et pittoresques.
Bien que le scenario contienne quelques facilités ici ou là, il est généreux et saupoudré d’une mélancolie qu’incarnent parfaitement les personnages principaux. C’est sur eux que repose entièrement le récit. Un récit rythmé, riche d’humanité, dont la forme oscille entre le road movie et le drame intimiste. Cosey réussit à faire rentrer dans un format relativement court quantités d’émotions, accompagnant des thématiques aussi variées que le syndrome post-traumatique, le triangle amoureux, le passage à l’âge adulte, les valeurs de l’amitié, les trahisons, les espoirs, les regrets, etc.
Une très belle histoire en somme, sincère et poignante, dont l’aspect un peu vieilli fait tout le charme.
Un classique intemporel et nostalgique qui m’a procuré un grand plaisir de lecture.
A lire absolument ; il n’est jamais trop tard, la preuve !
Une biographie du premier des grands poètes français, superbement illustrée par Luigi Critone. Cela pourrait paraitre mou ou rébarbatif mais il n’en est rien.
D’abord, parce qu’il s’agit d’une adaptation du regretté Jean Teulé. Et quand l’inénarrable romancier est aux commandes, on ne s’ennuie jamais.
Ensuite, parce que la vie de François Villon est une épopée en soi. Tour à tour voleur, poète, agitateur, meurtrier, courtisan, banni… la liste de ses méfaits et de ses aventures est interminable. Et c’est en cela que son histoire est édifiante : comment la poésie, émanant par nature du domaine sensible, émotionnel, peut-elle ainsi cohabiter avec une mentalité aussi tourmentée et dénuée de tout scrupule ?
Luigi Critone y répond à sa façon, en proposant des pistes, sans chercher à justifier ou excuser des actes qu’on ne peut de toute façon que réprouver.
La première hypothèse étant que pour Villon, la poésie est avant tout pamphlétaire. Il en fait un outil de lutte contre les injustices quotidiennes perpétrées par les nobles et les ecclésiastiques. En témoigne sa célèbre « Ballade des pendus ».
La deuxième est tout simplement qu’il était une âme farouche, insoumise, que ce Moyen-âge rigoriste ne pouvait tolérer. Il n’y avait alors, pour les gens comme Villon, qu’une seule porte de sortie : la corde et le gibet. A cette époque, dès le premier larcin, tout individu de basse extraction était durement condamné, sans qu’aucune forme de rédemption ne lui soit permise. Sieur Villon, comme tant d’autres, était donc prédestiné à une vie de paria.
Le déroulé du récit est chronologique et s’appuie sur les quelques faits avérés de la vie du poète. Ce qui peut parfois donner l’impression d’une narration légèrement décousue, avec des sauts dans le temps et une action quelque peu hachée. Mais le dessin de maitre Critone est comme toujours exceptionnel et très immersif. Quand l’esprit du lecteur est heurté par les agissements haïssables de ce personnage peu sympathique, ses yeux restent éblouis par la maitrise de l’auteur et sa capacité à créer des ambiances et des décors admirables. Les 5 dernières pages, illustrant le bannissement de Villon et son authentique « disparition » à l’âge de 30 ans, sont splendides. Il en émerge une mélancolie indéfinissable à laquelle je suis toujours très réceptif.
Ce n’est pas une lecture facile ou réjouissante. C’est en revanche écrit avec beaucoup d’intelligence ainsi qu'une documentation précise. De nombreux questionnements sur la condition humaine sont soulevés page après page et persistent longtemps.
Et quand la partition graphique atteint ce niveau d’excellence, on peut parler d’une œuvre pleinement réussie.
::: CET AVIS CONTIENT DES SPOILERS :::
Une déception monumentale.
Pour faire simple, je n’ai rien compris et beaucoup de choses m’ont semblé incohérentes.
« Journal de 1985 » étant la suite directe de « 1984 », je vais comparer les deux pour étayer mon avis.
Sur la forme :
Je trouve que l’absence du code couleur qui donnait à 1984 une lisibilité exceptionnelle est regrettable. Il y avait également une place plus importante laissée aux architectures et aux intérieurs, qui sont des éléments fondamentaux pour rapetisser les individus et montrer l’aliénation de leur condition.
Dans 1985, les décors sont dessinés de façon plus approximative, avec beaucoup moins de ces espaces surdimensionnés, de type soviétique, que des troupeaux humains disciplinés arpentaient à pied (superbes pages jaune et violet dans 1984).
Enfin, dans 1985, l’ajout de la neige brouille la dimension rectiligne de la ville, ce qui la rend beaucoup moins oppressante.
C’est le monde visionnaire d’Orwell en entier, si avilissant, si déshumanisé, qui semble avoir disparu ici au profit d’un univers vaguement post apocalyptique, banalisé, mal défini. Comparativement, l’impact visuel de 1985 est bien moindre.
Parlons un peu des personnages : dans 1984, Winston Smith avait une épaisseur. Il représentait un humain ordinaire, vulnérable, menant un combat désespéré. On le voyait évoluer, se dresser peu à peu contre le système. Un homme animé par l’amour et la justice, dans lequel on pouvait tous se projeter. Sans oublier le rôle magnifique de Julia.
Dans 1985 Lloyd Holmes n’incarne rien, aucun symbole. En tant que lecteur je n’ai strictement rien ressenti pour lui. Dès le départ on voit qu’il est un pion de cette résistance improbable dont on ne saura rien. Et son combat est plus personnel. Il n’a ni l’universalité ni l’envergure de celui de Winston.
Tous les autres personnages, eux, ne font que de la figuration.
Et que dire de l’artifice du jumeau ? C’est tellement éculé ! Comment peut-on encore l’utiliser dans une œuvre un tant soit peu exigeante ? Même dans une mauvaise série B, le recours à un jumeau caché, qui réapparaît comme cela, serait risible.
Sont-ce réellement des jumeaux, d’ailleurs, ou est-ce un tour de passe-passe scénaristique ? Je n’en sais rien. Mais c’est tellement gros que j’ai décroché à ce moment-là.
Leurs « retrouvailles » sont le point de bascule de l’histoire. Pourtant, tout au long de cette séquence, des questions sans réponse se multiplient : ces retrouvailles ont-elles été orchestrées ? Si oui, par qui et pourquoi ? Pourquoi, en tant que simple technicien de stade 3, Gordon vit dans un tel luxe et peut éteindre son télécran comme O’Brien ? Comment, sous kallocaïne, Lloyd peut-il se faire passer sans problème pour son frère, en mentant (p.147) alors que c’est censé lui être rigoureusement impossible ? Pourquoi Gordon aurait-il pris le risque de confronter son frère, seul, sans même avoir allumé son télécran ? Lequel des deux a trahi leurs parents : Gordon (p.66) ou Lloyd (p.230-231) ??
Rien que pour ce passage, la liste des incohérences est longue, beaucoup trop longue…
Aucune question ne restait en suspens dans 1984.
C’est terriblement irritant de lire un album et de se demander constamment pourquoi ceci, pourquoi cela…
Sur le fond :
Le postulat de base n’est pas crédible.
Le monde d’Orwell n’a aucune échappatoire, 1984 l’a prouvé. Aucun groupe factieux structuré ne saurait exister. « L’organisation » rebelle dans 1985, retranchée dans un « bunker » (un cliché) est donc parfaitement invraisemblable. Quand on se souvient des précautions que Winston et Julia déployaient pour simplement faire l’amour, on voit bien que les déplacements de Lloyd pour se rendre au bunker sont aberrants. Surtout après qu’il a perdu « Le livre de Winston », ce qui devrait faire de lui le criminel le plus recherché de Londres. Ça ne tient pas une seconde. Car la scène du début avec un homme (Lloyd donc, si je comprends) qui taggue un mur à la bombe en pleine ville, et qui en plus réussit à s’échapper, est absurde. Cette situation ne peut avoir lieu dans ce monde, où nul ne pourrait agir ainsi sans avoir été repéré depuis longtemps, et encore moins s’en sortir. On ne pourrait déjà pas l’imaginer en Corée du Nord, pensez donc sous le joug du tout puissant Big Brother ! Si Lloyd réussit aussi facilement, il n’y a alors plus d’obstacle à ce que tout un chacun puisse le faire à son tour. Impensable.
Autre exemple qui m’a beaucoup gêné : il est dit p.44 que le premier passage a été écrit à la demande du Parti, par le collaborateur de O’Brien. Pourtant, on y lit « ces pauvres types n’avaient rien à révéler » ou « ces gémissements étaient curieusement bien plus insupportables à entendre que des hurlements ». Quelle soudaine empathie ! Un assistant du Parti tiendrait-il de tels propos ? A l’évidence non. C’est complètement illogique et, encore une fois, contraire à la vision développée dans 1984.
D’ailleurs, peut-être conscient que son fil est fragile, Xavier Coste appuie parfois lourdement son propos. Comme quand il croit bon de préciser, dès le début, « agence de presse étatique océanienne » (p.15). Ah bon ? Parce que dans le monde d’Orwell, une agence de presse pourrait ne pas être étatique ? Bien sûr que non, c’est un pléonasme.
Idem quand O’Brien demande s’il y a des images du taggueur et que les miliciens répondent « c’est grâce aux caméras mises en place que l’individu a été repéré » (p.20), comme s’ils se félicitaient d’un nouveau dispositif de vidéosurveillance. C’est inepte ! Les caméras sont omniprésentes depuis longtemps et sont le fondement même de cette société. Le rappeler de cette façon n'a pas de sens et affaiblit considérablement la portée du texte.
Et en parlant de sens, même après l’avoir lue deux fois, je n’ai toujours pas compris ce que signifie la séquence finale en scaphandre, avec ces « robots » (p.230 à 235) que j’ai trouvé exagérée, voire lunaire, car sans rapport avec la technologie de l’époque.
Bref, ces réinterprétations et toutes ces incohérences ruinent le récit et dévoient l’œuvre originelle. Car justement, 1984 est simple, mécanique, implacable. Il ne contient aucune outrance. Il donne même souvent l’impression d’être en dessous de la vérité. Cela participe énormément à la sensation de terreur qui s’en dégage. Terreur qui cherche à s’imposer dans 1985, mais qui n’atteint jamais l’effroi sourd, aveugle et impalpable qui transpire de 1984.
Je ne vois dans 1985 qu’un palimpseste de 1984, en beaucoup moins bien. La trame suit globalement le même schéma, sans rien apporter de nouveau. Les enfants qui trahissent leurs parents sont déjà présents dans 1984, de façon bien plus fine, p.29 (« La pauvre femme devait vivre dans la peur de ses propres enfants »), et les soi-disant « révélations » finales n’en sont pas, puisque la thématique était déjà abordée dans 1984, p.132 (« Je pense qu’il n’y a même pas de guerre contre l’Eurasia. Je parie que les bombes-fusées qui tombent chaque jour sur Londres sont envoyées par le gouvernement pour maintenir le peuple dans la peur »), montrant au passage la sagacité et la clairvoyance de Julia.
Je pourrais multiplier les exemples.
Ma conclusion est que Xavier Coste, fort du succès de 1984, s’est senti légitime pour lui donner une suite, maintenant qu’il est dans le domaine public. Idée légèrement saugrenue qui pourrait passer pour extrêmement présomptueuse. Il est certes un bon auteur de bande-dessinée, mais peut-il être comparé au génie incontesté d’un George Orwell, qui a créé une des œuvres les plus influentes, les plus reconnues, les plus déterminantes de la culture contemporaine mondiale ? Un peu de sérieux… poser la question, c’est déjà y répondre. Je ne juge pas X. Coste, je dis juste que non, il n’est évidemment pas à la hauteur d’Orwell, et il est fort étrange qu’il ait pu croire un seul instant la chose possible.
J’ai acheté « Journal de 1985 » en me fiant aux bonnes critiques, mais aussi parce que j’ai adoré 1984. Ma désillusion est amère, totale, définitive. Surtout parce que j’aurais pu vraiment l’aimer si cela avait été une proposition plus scrupuleuse, plus accessible.
J’ai été surpris de constater qu’il n’y a même pas quelques lignes en postface pour justifier cet album, éclaircir l’intention de l’auteur et rendre hommage à l’œuvre immense d’Orwell. Comme si Xavier Coste n’avait pas à s’expliquer. J’y vois un manque criant de modestie.
Au-delà de n’avoir pas compris ce que cet album raconte, je n’ai surtout pas compris ce qu’il apportait à l’univers orwellien. Même si je n’en suis pas un spécialiste, son œuvre est patrimoniale, elle appartient à tout le monde. J’étais donc censé me sentir concerné par cette « suite ». Là, hélas, j’en suis loin, très très loin.
Cette BD est peut-être formidable, puisque certains le disent et lui mettent des « coups de cœur » mais elle n’est pas pour moi. Je regrette de l’avoir achetée et je ne la garderai probablement pas.
Ce n’était que mon opinion, merci à ceux qui m’ont lu jusqu’au bout.
Il ne m’a pas été facile de rentrer dans cet album à l’aspect peu attrayant.
Très vite pourtant, j’ai eu la sensation de lire un ouvrage important.
Cela tient d’abord – évidemment – au chef d’œuvre de George Orwell lui-même. Mais l’apport graphique de Xavier Coste y est aussi pour beaucoup. Ses décors austères, écrasants, et ses personnages froidement réalistes sont la parfaite illustration du monde totalitaire décrit par l’écrivain. L’auteur a choisi de l’adapter en privilégiant des vues d’ensemble, qui accentuent le sentiment d’oppression tout en éloignant le lecteur des protagonistes. Les quelques plans rapprochés sur les visages ne contiennent de toute façon aucun détail. Cette mise à distance permet de mieux se représenter l’idéologie collectiviste et dictatoriale d’Océania, niant l’individu.
Cette immersion est parachevée par une mise en couleur très pertinente : des tons bruns pour les scènes ordinaires, du rouge pour l’omniscient Big Brother, et surtout, une bichromie de jaune et de violet pour les scènes se passant dans les ministères, barycentre du pouvoir absolu du Parti. En sachant que le jaune et le violet sont deux couleurs dites complémentaires – opposées sur le cercle chromatique et offrant un contraste maximum – desquelles résulte un inconfort visuel qu’exploite à bon escient Xavier Coste. Son dessin, ferme et rigoureux, est donc totalement en phase avec l’univers orwellien.
Tout comme le contenu, tout à fait fidèle à l’œuvre originelle. Il révèle, en 224 planches de haute tenue, toute la monstruosité de la plus célèbre dystopie de la littérature. Et permet de rappeler au passage que nos sociétés s’en rapprochent de plus en plus, à commencer par l’appauvrissement continu du langage, donc de la pensée, et par la réécriture de l’histoire, que certains de nos dirigeants autocrates pratiquent déjà sans vergogne.
Ce « 1984 » n’est pas qu’une adaptation de plus, c’est aussi une grande bande dessinée.
« L’héritage fossile » est un album étonnant qui mérite une grande attention. Le format carré et la belle couverture avec le titre doré en relief en font déjà un bel objet. Puis il suffit de feuilleter quelques pages pour être frappé par le graphisme. Des décors créés en 3D avec les personnages 2D posés par-dessus. L’effet est étrange, c’est clivant, mais pour moi ça fonctionne à 100%. Ce rendu est au service du récit, qui prend, grâce à cette technique une tout autre dimension. La profondeur de champ réduite qui floute l’arrière-plan, par exemple, renforce l’ambiance d’isolement et de promiscuité dans les modules du vaisseau. Alors que les tempêtes à la surface de Geminæ prennent par ce biais une ampleur titanesque.
Par ailleurs, les 4 protagonistes ont chacun une couleur de peau différente (violet, rouge, bleu et jaune). Étrange, encore une fois, mais c’est plus qu’un caprice d’auteur gratuit et tape-à-l’œil. Il s’agit d’un véritable choix artistique qui permet de porter un autre regard sur l’action et l’ensemble de l’intrigue. Une prise de risque assumée de la part de Philippe Valette.
Toute la partie graphique me semble donc pertinente, novatrice et avant-gardiste, en phase avec les thématiques de conquête spatiale et de transhumanisme abordées dans le scenario.
Cette histoire de 4 astronautes enfermés dans le vaisseau « Héritage », partis pour un voyage sans retour avec des embryons humains, pourrait d’ailleurs paraitre hermétique pour ceux qui attendraient des exoplanètes peuplées de faune exotique, ou des batailles spatiales entre cuirassés impériaux.
Non, pas de space opera. Ici règnent l’introspection, l’errance, les questionnements éthiques et métaphysiques.
Pour autant, aucune prise de tête, pas de vocabulaire alambiqué non plus, ni d’explications pseudo-scientifiques. L’histoire tient en peu de lignes mais elle est d’une efficacité maximale grâce, notamment, au récit déroulé sur deux époques, et les nombreuses passerelles narratives liant les deux.
Le rythme reste soutenu d’un bout à l’autre. De superbes pleines planches, parfois mystérieuses, parfois oniriques, permettent de prendre des respirations contemplatives jusqu’à une fin surprenante et très bien amenée.
La tonalité générale est sombre mais invite à la réflexion, ce qui me va comme un gant. J’ai adoré la mélancolie qui s’en dégage. « L’héritage fossile » fut pour moi une des excellentes lectures de l’année. C’est un album illustré d’une façon remarquable, qui a des choses à dire et les dit d’une façon intelligente et radicale. Pour un auteur seul aux manettes, la maitrise de Philippe Valette impressionne. Il peut remercier l’équipe technique qui a travaillé avec lui, le résultat est admirable.
Je me permets cependant une observation : les tempêtes sur Geminæ sont visuellement superbes mais – bien que l’on ignore leur nature (eau, sable, matière inconnue…) – les personnages ont l’air de n'en subir aucune conséquence. Il continue d’ouvrir les yeux et la bouche normalement. De mon point de vue, les scènes auraient eu davantage d’impact si, à l’extérieur, Nova et Reiz avaient eu des masques ou du tissu sur le visage pour s’en protéger. Cela aurait accentué le ressenti hostile des éléments et la folle détermination dont ils font preuve.
Si l'avis d'addrr n'est fondé que sur l'intégrale, je le comprends et 3 étoiles sont encore trop.
@ minot a amplement raison ! Il me semble à moi aussi inconcevable de lire "Saint-Elme" en noir et blanc. La couleur est un élément fondamental de la série, si ce n'en est l'élément principal. Je me demande encore comment Delcourt a pu commettre cette version pasteurisée.
A tous ceux qui voudrait découvrir "Saint-Elme", ne vous laissez pas avoir et choisissez les albums !
Un premier album à l’ambiance incroyable, créée en grande partie par le graphisme de F. T. Linhart, dont l’épure léchée démontre une grande maitrise. Sa ligne claire et précise, ses décors minimalistes très efficaces, son travail soigné sur la lumière, sa palette de gris-bleu parsemé d’éléments rouge-orangé, donnent au dessin un impact maximum.
De surcroit, les planches en gaufrier de 6 cases offrent une lisibilité parfaite.
Enfin, le format à l’italienne parachève l’ensemble en servant idéalement la narration.
Le récit prend la forme d’une enquête sur le modèle du « whodunit », menée par un inspecteur d’assurances âpre et taciturne, au sein d’un minuscule village isolé du nord de la Suède. Un homicide sordide y a été commis et chaque habitant peut y avoir joué un rôle. Le meurtre semble toutefois insoluble et des choses étranges commencent à se produire… Le mystère s’épaissit peu à peu, dans des paysages enneigés qui renforcent encore cette atmosphère de mystère et de suspicion.
Les personnages sont tous très bien caractérisés et, chose très rare, chacun possède une profondeur psychologique bien exploitée.
La résolution de l’énigme peut diviser, mais elle a le mérite d’être aboutie et cohérente.
L’espagnol F. T. Linhart a donc réussi avec « Röd i snön » un étonnant polar à l’esthétique limpide, à l’architecture complexe et à la dimension humaine poignante. C'est superbe !
Un album à découvrir d’urgence et un auteur à suivre.
4,5/5
Un album efficace, dont il faut saluer la cohérence graphique. Les 14 dessinateurs ont des styles assez proches et complémentaires. Ils illustrent avec conviction 14 histoires chronologiques qui font prendre conscience de ce qu’étaient vraiment les premiers hommes de loi dans les États-Unis naissants (minutemen, Texas rangers, shérifs, marshals…) et d’où ils venaient. Avec, pour fil rouge, le carnet d’un journaliste assassiné qui avait recueilli différents témoignages.
On devine que les récits de Tiburce Oger s’appuient sur une solide documentation. Le contexte est à chaque fois détaillé et mis en scène avec le maximum d’authenticité.
Les personnages, en revanche, sont survolés de haut et de loin, quelques pages ne suffisant évidemment pas à les faire exister. Pour autant, cela n’a pas d’importance car ce ne sont pas eux les héros mais le Far West lui-même, qui verra émerger au fil du temps un semblant d’ordre ; une loi embryonnaire, inique et immorale, portée par des hommes peu scrupuleux. Une loi qui pourtant, finira par s’imposer au monde en légitimant la spoliation et le massacre des amérindiens, tout en servant les plus privilégiés et en leur permettant en toute impunité de s’enrichir davantage. Édifiant.
Avec en prime la somptueuse couverture de Paul Gastine !
Je réévalue ma note à la hausse car j'ai lu entretemps "Demeus Lor", le spin-off, sorti avant ce début de 3ème cycle, venu s'intercaler dans la chronologie d'origine. Et ce dernier apporte beaucoup d'explications et de réponses sur le monde des Ours dont je n'avais pas connaissance en entamant "Rester vivants".
A la lumière de ces nouveaux éléments, "Rester vivants" me semble donc beaucoup plus cohérent.
Un troisième tome aussi jubilatoire que les deux précédents. Le ton est clairement parodique et se veut un hommage au genre pulp et au cinéma bis des 50’.
De ce point de vue, « Central Dark » coche toutes les cases sans faire dans la dentelle : monstres, dinosaures, amazones, crashs, explosions, mitraillages… le tout dans le décor post apocalyptique d’un Manhattan laissé à l’abandon.
Malgré cette démesure revendiquée, le scénario réussit l’exploit d’être bien goupillé. Rien n’est laissé au hasard, et l’histoire se boucle de façon finaude et cohérente.
Si l’on rajoute un dessin de haute tenue, qui donne son plein potentiel dans les scènes d’action et les perspectives en Cinémascope, on obtient une mini-série en trois tomes qui détonne sans se prendre la tête, tout en restant exigeante sur le plan graphique.
Evidemment, on est dans le second voire le troisième degré. Inutile d’y chercher quoi que ce soit de crédible ou d’historique mais on s’en fout et c’est justement là qu’est le plaisir !
Un comics à la française récréatif et pas con du tout, écrit et dessiné par un Éric Hérenguel en grande forme, à l’édition particulièrement soignée par Ankama.
A lire, pour le fun certes, mais à lire absolument !
Cela fait des jours que j’essaye d’écrire en vain un avis sur « LE cas David Zimmerman ». C’est dire si j’ai été déconcerté par ce roman graphique dans lequel tout est bizarre : le sujet, le dessin, l’ambiance générale.
Commençons par le sujet.
David Zimmerman, un photographe parisien, se réveille un matin dans le corps de l’inconnue avec laquelle il avait fait l’amour la veille, comme sous hypnose...
Même si le thème de l’échange de corps est loin d’être nouveau, ce postulat de départ est déjà dur à accepter. Mais ce n’est que le début, et ce que va découvrir David par la suite sera de plus en plus étrange.
Dans la première moitié du récit, l’enquête méthodique qu’il va mener pour comprendre ce qui lui arrive prend des airs de thriller. Elle s’avère bien écrite et rythmée, malgré l’invraisemblance de la situation. Invraisemblance accentuée par le background 100% réaliste, qui fait qu’en dehors du cas David Zimmerman, tout est parfaitement normal à Paris en cette année 2023.
Le dernier tiers de l’ouvrage est en revanche beaucoup plus sombre. Le propos se fait plus cérébral, le peu d’action cesse, toute lueur s’éteint. Au fur et à mesure que les protagonistes voient leurs chances leur échapper et qu’ils se font happer dans un abîme existentiel, un désespoir tenace finit par empoisser le scenario.
Le dessin, lui, s’est affiné depuis « L’aimant » et « La dernière rose de l’été ». Il est encore plus élégant mais toujours aussi figé, dans un style qui rappelle par moment celui de Daniel Clowes.
On sait Lucas Harari féru d’architecture. Pourtant, son goût du détail et de la perspective ne sert ici qu’à reproduire l’environnement banal des rues parisiennes, sans que rien ne soit visuellement percutant, contrairement à ses deux ouvrages précédents. Heureusement, quelques pleines pages bienvenues offrent à l’œil de belles respirations, et de savants cadrages viennent dynamiser des planches ternies par une colorisation, certes pertinente, mais assez pauvre.
L’ambiance générale, enfin, est passablement dépressive. Les décors sont froids. Les personnages sont presque statiques, peu expressifs, et semblent engourdis, frappés de psychose.
Les auteurs ont construit leur récit sur des sujets d’actualité comme le genre, l’identité, la judéité. Toutefois, ils ne font que les survoler en restant à la surface des choses. Ils n’apportent aucune réponse, ne proposent aucun approfondissement, aucune réflexion. Comme si ces problématiques sociétales n’étaient que de simples éléments narratifs. Les frères Harari se placent volontairement dans une sphère intimiste, intériorisée, distanciée, où leurs personnages éprouvent leur expérience sans renvoyer d’émotions. Personnellement, je n’ai ressenti que très peu d’empathie pour eux.
Il n’y a pas de légèreté non plus. D’où la tonalité neurasthénique. Pas d’humour, pas de joie. Pas de sexe non plus d’ailleurs ! Admettons qu’une aventure pareille m’arrive, je passerais à coup sûr un certain temps à « découvrir » mon nouveau corps et ses potentialités... Comme tout le monde, je crois. Il aurait donc été intéressant de le voir en image. Mais cette dimension sexuelle est étrangement absente. Ou, quand elle intervient, elle est subie, vectrice de souffrance et de peine infinie.
Cette pesanteur maussade donne à l’ensemble un aspect terriblement pessimiste. Renforcé par le fait que de nombreuses questions soulevées par l’intrigue resteront non résolues à l’issue des 360 pages. Ça, c’est malheureusement l’une des signatures de Lucas Harari, que j’avais déjà dénoncée dans « La dernière rose de l’été ». J’ai vraiment du mal à cautionner ce choix délibéré de laisser ainsi les choses en suspens, surtout quand on construit un scenario aussi complexe et élaboré.
Pour autant, la chute est soignée. Et cette fin, quoique difficile à comprendre, est assez réussie. Elle décontenance à sa façon mais permet d’ouvrir silencieusement de nouvelles perspectives.
En conclusion, je ne peux certainement pas dire avoir eu un coup de cœur pour cette histoire kafkaïenne, troublante, dérangeante et clivante. J’en suis ressorti perplexe et légèrement frustré par un arrière-goût d’inachevé.
Cependant, je reconnais que c’est un album particulièrement marquant que j’ai envie de défendre. Il confirme Lucas Harari comme un auteur de premier plan, en passe de devenir un maitre dans ce genre polar fantastique dont il contribue à remodeler les contours. « Le cas David Zimmerman » en est un exemple singulier. Je suis content de l’avoir dans ma bédéthèque et je le garderai précieusement. Bien que certains aspects m’aient dérangé, je l'ai dit, je pense objectivement que c’est une excellente BD, bénéficiant d’un beau travail éditorial de Sarbacane (par contre le faux dos toilé, qui est en réalité en papier, n'est pas du meilleur effet). Elle a tout pour devenir un classique. Elle est, dans tous les cas, à lire absolument. Pour ma part, je suis d’ores et déjà certain de la relire un jour, et je l’espère, de l’apprécier davantage avec le temps. Elle valait bien mon plus long avis jamais publié sur ce site !
Je n’avais pas suffisamment porté attention à ce spin-off. Je n’en avais pas vu l’intérêt au milieu d’une série déjà très aboutie, que je collectionne depuis le début et que j’adore… jusqu’au lancement du 3ème cycle.
A ma grande surprise « Rester vivants » m’avait un peu déçu, notamment parce qu’il part comme un bourrin en pleine action, sans introduction au monde des Ours. Mais tous les avis étant dithyrambiques, je me suis dit que j’avais dû louper quelque chose quelque part !
Et en effet, c’est peut-être parce que je n’avais pas lu « Demeus Lor », tout simplement. C’est lui qui amorce véritablement le cycle d’Arnor et non « Rester vivants ». Il apporte de nombreux éléments sur les ursidés, et ce faisant, enrichit et fluidifie Les 5 Terres dans son ensemble.
« Demeus Lor » est un bon album. L’histoire se tient, c’est rythmé, bien construit, bien dessiné, riche en bons personnages et en rebondissements.
Bref, la lecture de ce hors-série est vivement recommandée pour une meilleure tenue de la série tout entière. Je vais donc réévaluer à la hausse ma notation de « Rester vivants ».
8 albums, 4 dessinateurs différents et 26 ans pour clore cet interminable second cycle… il était grand temps d’en finir !
Fort heureusement, ce dernier tome est nettement au-dessus des précédents. Il possède ce supplément d’âme capable de réconcilier les déçus du second cycle, comme moi, avec l’esprit de « La Quête… » originelle. Cet esprit homérique qui fusionnait rythme, aventure, humour, action, tragédie des destinées, et qui m’avait provoqué à l’époque un choc indélébile.
Bien que le démarrage soit très lent (il ne se passe quasiment rien dans les 35 premières pages) « L’Omégon » s’inscrit dans cette glorieuse lignée. Le tempo indolent de la longue scène de la lande, sublimé par l’incroyable épure de ce décor, permet de pénétrer au cœur des personnages. Ce passage, particulièrement réussi, me restera en mémoire par la mélancolie qui s’en dégage. Les scènes finales avec Mara, dont la charge émotionnelle est aussi troublante qu’inattendue, sont également magnifiques.
En revanche, je n’ai pas forcément adhéré aux liens unissant les deux cycles. Par exemple, je m’étais fait depuis longtemps mes propres hypothèses sur le « personnage », ô combien important, dont l’origine est dévoilée dans la toute dernière scène. Je n’avais donc pas spécialement envie qu’on me dise « bah voilà, en fait c’est arrivé comme ça », juste pour faire la jonction entre les deux séries.
Sans oublier que quand Bulrog et Bragon se retrouvent, dans « La conque de Ramor », une violente rancune les anime mutuellement. Rancune dont je ne trouve aucun fondement dans « L’Omégon », pas plus que d’explication pour le visage défiguré de Bulrog.
Et plus encore, il m’apparait toujours parfaitement impossible que cette si retentissante histoire de secte, qui représente un passé commun, fondateur et traumatisant pour nos personnages et tout Akbar, ne soit jamais, JAMAIS évoquée dans la série-mère.
Vous pourriez me répondre ce que vous voulez, pour moi, ça ne tient pas la route et je n’arrive pas à en faire abstraction. Il est évident que ce deuxième cycle n’avait pas été imaginé à l’époque de « La Quête… » et qu’il est venu s’y greffer par la suite, de façon plus ou moins artificielle.
En conclusion, hormis « L’ami Javin » qui est vraiment chouette, « Avant la quête » reste surcotée à mes yeux, je l’ai dit et le redis.
Mais j’aime tellement, fondamentalement, viscéralement cet univers que je veux saluer cette excellente conclusion, dense, belle, généreuse et puissante, qui procure un franc et réconfortant plaisir de lecture, bercé de nostalgie.
Bravo messieurs Le Tendre et Loisel d’avoir réussi à sauver in extremis – et avec la manière – votre création, un authentique et impérissable chef d’œuvre de la bande dessinée !
Une conclusion attendue qui, pour ma part, se révèle plus tiède que ce que j’avais imaginé. Le scénario, se déroulant intégralement sur les îlots où le Jakarta s’est échoué, repose sur une trame étrangement romanesque, avec un côté mélodramatique un peu forcé par moment.
Le rythme ne m’a pas complètement convaincu non plus. Il m’a semblé saccadé par un découpage parfois peu clair, quelques longueurs et des ellipses (pas une case sur le voyage de Pelsaert, par exemple).
L'excellent dessin, assorti de belles couleurs, rend l’ensemble très agréable à l’œil mais je n’ai jamais vraiment été saisi dans ma lecture. Là où j’espérais une tension supérieure à celle du premier tome, de par l’exiguïté de l’île, les terribles conditions de survie, la folie des hommes livrés à eux-mêmes, la toute-puissance de l’apothicaire, j'ai lu une aventure classique de naufragés, avec la jolie blonde innocente au milieu, sans ressentir de sentiment d’oppression. Finalement, « L’île rouge » nous montre que l’homme n’est qu’un mouton, lâche et obéissant ; mais ça on le savait déjà.
Reste la présentation. C'est superbe. Le très grand format, les magnifiques couvertures et l’ensemble du travail éditorial constituent un écrin des plus valorisants. Mais attention ! Pour acheter 70€ deux albums qui auraient pu n’en couter que 35, il faut bien réfléchir avant de passer à la caisse. Je ne regrette pas mon achat mais je trouve ça excessif au vu du contenu qui - pour être bon - n’a rien d’exceptionnel, et aurait pu se contenter d’une édition classique.
« Carcajou » fut pour moi l'une de ces découvertes qu’on aimerait faire plus souvent.
Une histoire étonnamment bien construite, qui repose sur une galerie de personnages solides et attachants, sans manichéisme ni caricature.
Et même s’il y a un shérif, des Winchester et des trappeurs, le scénariste Eldiablo exploite surtout l’envers du décor : une bourgade de western bâtie autour d’une seule et même compagnie pétrolière, dont le patron, héritier ambitieux et cupide, asservit sans scrupules une population entièrement dépendante de ses dollars. Une zone de non-droit, isolée, en proie aux superstitions et aux légendes des peuples autochtones, menacée par une nature inquiétante.
Djilian Deroche l’illustre par un dessin généreux, expressif, détaillé. Un trait d’une grande vitalité qui ajoute au récit une vibrante énergie. Avec ses belles couleurs, il dépeint superbement le Canada sauvage de 1895, sans prétendre le restituer de façon réaliste. Il se dégage des plus de 200 planches une ambiance visuelle prégnante et singulière.
Parfaitement servi par ce style graphique – qui peut en effet rappeler celui de Blain sur "Gus" – le scenario, d’une efficacité redoutable, surprend sans cesse en empruntant des détours insoupçonnés. Et ce, jusqu’à la dernière page.
Suivant des variations de rythme bien maitrisées, les deux auteurs savent faire sourire dans les situations cocasses, créer d’implacables tensions aux bons moments, dompter l’angoisse quand l’atmosphère frôle le fantastique, ou faire poindre l’émotion quand certains protagonistes se confrontent à leurs passés. C’est absolument remarquable.
Littéralement scotché à ma BD, j’ai passé à Sinnergulch, Alberta, un moment de lecture mémorable ! Un album d’une grande richesse narrative, profond et prenant.
On ne doit pas s’ennuyer au Label 619 ! C’est étonnant de voir que d’un côté, ils sortent de gros albums d’une qualité exceptionnelle (« Carbone et Silicium », « Hoka Hey ! » ou « Frontier » pour ne citer qu’eux), mais que d’un autre côté, cette bande de geeks semble avoir carte blanche pour se faire plaisir avec des titres complètement décalés, nourris de séries B, de sous-cultures et d’animes underground.
« Jaune » appartient clairement à la 2ème catégorie. Un manga-hommage aux films d’horreur et aux tueurs masqués de notre adolescence, façon Massacre à la tronçonneuse. RUN et Rours – qu’on imagine incollables sur le sujet – ont donc concocté leur propre « slasher », qui fleure bon les soirées vidéo-club. Evidemment, même truffé de références en tous genres, le scenario est plutôt bas du front. Il s’enkyste inévitablement dans tous les clichés qu’il exploite pour servir sa démarche.
Néanmoins, la mise en scène reste percutante et inventive. Ça va vite, il y a de l’envie, c’est maitrisé. J’ai trouvé ça franchement sympa à lire. En tout cas, ce 1er tome est prometteur pour la suite. Au final, la série pourrait s’avérer jouissive, à condition de garder un minimum d'ambition, de ne surtout pas s’auto-censurer et d’y aller à fond !
Si, comme moi, c’est cela que vous êtes venu chercher avec « Jaune », pas de souci, vous êtes au bon endroit et vous serez servis. En revanche, si vous cherchez un truc intelligent, romantique ou élégant, prenez vos jambes à votre cou et fuyez, pauvre fou ! le slasher au ciré jaune est déjà à vos trousses !
Les albums s’enchainent au rythme respectable d’une parution par an. Cependant Alexis Dormal reste constant dans un dessin de haute qualité. Il crée, par ses aquarelles colorées, un univers pictural chaleureux et réconfortant dans lequel je suis toujours heureux de replonger. A tel point qu’il ne me viendrait pas à l’esprit de ne pas acheter le dernier Pico Bogue ! Impossible d’être déçu par ce style souple et vif, croquant des bouilles expressives et les petits détails qui font la différence. Le traditionnel dessin ornant les pages de garde est d’ailleurs particulièrement beau sur ce tome.
Dominique Roques, elle, parvient dans le même temps à renouveler ses scenarios, même s’il leur arrive, parfois, d’être un ton en-dessous. Mais ce n’est pas le cas d’" Haïku ", qui, plein de bonne humeur, de finesse et de poésie, procure un doux plaisir de lecture.
Un album superbe qui flatte autant l’œil que l’esprit. Bravo !
La Horde parvient enfin à Alticcio, cité aristocratique nichée au fond d’un gigantesque défilé rocheux, dans d’immenses tours en tuyaux d’orgue. C’est là que se trouve les écluses de la porte d’Urle, seul passage possible vers l’Extrême-Amont. A condition que l’exarque, le tout puissant seigneur des lieux, daigne les ouvrir…
Changement de décor radical !
Il est d’abord déstabilisant de voir la horde, habituée à des conditions de survie dantesque, se vautrer ainsi sur des coussins de soie et boire dans des verres en cristal à la cour d’Alticcio. Mais la rupture de style proposée par ce nouveau chapitre est bienvenue après la traversée un peu trop « bizarre » de la Flaque de Lapsane. La parenthèse d’Alticcio, riche en complots, manigances en tous genres et inégalités sociales, dynamise l’ensemble de l’histoire par sa parfaite scénarisation. Il y a moins d’action, forcément, mais les hordiers principaux (Sov, Caracole, Oroshi, Golgoth, Erg) gagnent énormément en épaisseur à cette occasion. Le rythme général peut éventuellement souffrir d’à-coups, mais il tient en haleine d’un bout à l’autre de l’album, avec l'émergence de nombreux enjeux. Et les 4 dernières pages, qui accélèrent brutalement la narration, font office de véritable rampe de lancement pour la prochaine destination, Norska.
Éric Heninnot laisse éclater son talent à travers un dessin varié, alternant entre personnages à la caractérisation impeccable, décors somptueux, et ambiances immersives. A noter que les couleurs de Gaëtan Georges sont magnifiques et contribuent beaucoup à la lisibilité et l’atmosphère de l’ensemble. D’ailleurs, moi qui suis féru d’éditions noir et blanc, j’ai toujours délaissé celles de La horde du contrevent car sans la couleur, les planches sont trop brouillonnes à mon goût, en raison de l’omniprésence du vent (travail difficile très bien rendu par l’auteur).
La seule chose qui m’a fait lever un sourcil est la joute verbale, clé de voûte attendue du récit. Elle est brillante certes, mais sonne un peu comme une battle de rap. Je suis notamment perplexe sur le vocabulaire utilisé. Je pense à des mots comme « caravelle, cargo, carmélite, Carrare » désignant des objets, des personnes ou des lieux qui ne sont pas censés exister dans le monde de la Horde… Mais bon, admettons.
En conclusion, ce 4ème tome est indéniablement réussi. Il justifie le délai de parution et conforte « La horde du contrevent » comme une série de grande ampleur.
« Revoir Comanche » est une sorte de sequel à la série « Comanche ». J’en avais lu il y a longtemps quelques titres qui, je l’avoue, ne m’ont laissé aucun souvenir. J’ai donc découvert Revoir Comanche comme un one-shot, indépendant de l’œuvre de Hermann et Greg, et ça marche sans aucun problème. C’est la première grande qualité de l’album.
La deuxième, qui saute littéralement aux yeux, est l’ambiance crépusculaire qui règne du début à la fin. Romain Renard use d’un graphisme troublant de réalisme pour dépeindre l'Amérique profonde de 1930. Son noir et blanc sensuel, délicat, comme cette lumière qui glisse sur la peau de ses personnages, sait aussi se faire puissant lorsqu’il s’agit de faire jaillir des planches une tempête de poussière, une de celles qu’a illustrée Aimé de Jongh dans son fameux « Jours de sable ». Ce dessin virtuose, qui avait déjà brillé dans le somptueux «Melvile», est en accord parfait avec une mise en scène spectaculaire et très cinématographique, de subtils jeux de regards, et des cadrages qui renforcent le côté épique et dramatique de certaines scènes.
Sur un plan technique, c’est absolument bluffant.
Le scenario n’est pas en reste.
Bien sûr, le thème du vieil ours mal léché, reclus dans sa cabane et hanté par les fantômes de son passé sanglant n’est pas nouveau. Vieux bourru embarqué sur la route, comme il se doit, par une mystérieuse jeune femme qui en sait trop sur lui pour être aussi innocente qu’elle prétend. Très beau rôle féminin, d'ailleurs.
Mais Romain Renard joue justement avec ces clichés pour mieux appuyer son propos. Car « Revoir Comanche » ne parle que de la fin d’un monde. C’est pour cela qu’il en émane une si profonde mélancolie. Son album est un hommage à une réalité révolue, celle du western, prête à s’effacer pour laisser la place aux mythes, aux légendes incertaines…
Ainsi, l’auteur salue les natifs américains, ou les damnés de La Grande Dépression, jetés sur les routes, fuyant la mort et la misère. Tous victimes et témoins de la fin d’un rêve, d’une utopie en passe de disparaitre : les prospecteurs de pétrole remplacent les chercheurs d’or, les survivants des peuples premiers croupissent dans des réserves, les pionniers ne sont plus que des personnages de film (belle séquence sur « La piste des géants » de Raoul Walsh) et les us et coutumes du Far West deviennent des attractions de musée. Romain Renard nous montre cette rupture à sa façon, tout au long d’un récit intimiste au rythme volontairement lent, qui permet aux acteurs de vivre leur histoire, leurs silences et leurs secrets, le temps d’un road trip majestueux et nostalgique.
Les bédéphiles trouveront à Red Dust des airs d’Hermann, le vrai, le sanglier des Ardennes, co-créateur de Comanche, géant lui aussi au soir de sa carrière, qui refuse de capituler et de poser les crayons, malgré une œuvre de plus en plus vacillante.
C’est dans ce passage de relais, cet héritage, cette transmission que Romain Renard met toute sa force. Et c’est magnifique.
Je suis cette série depuis le début et j’étais vraiment curieux de savoir comment elle allait se terminer.
Pour rappel, le 1er tome commençait comme un survival post apo assez classique, puis les auteurs ont viré de façon inattendue vers une intrigue occulte, en remettant au goût du jour les Grands Anciens, les Shoggoths et le Necronomicon. Bref, tous les fondamentaux du mythe de Cthulhu. Dans ce 5ème et dernier tome, on retrouve même l’emblématique université de Miskatonic. Autant de créations sorties tout droit de l’imagination de l’écrivain H.P. Lovecraft. L’affiliation avec son univers est donc totale, claire et assumée.
Cette réinterprétation étonnante du genre mérite à elle seule une lecture.
Ce qu’en ont fait les auteurs est, en revanche, un peu plus discutable.
La trame est relativement simple, mais elle parait souvent difficile à suivre. D’ailleurs, le résumé présent au début de chaque album n’est pas là par hasard. Sans ça, de nombreux lecteurs – moi le premier – seraient perdus.
C’est à la fois la force et la faiblesse du scenario :
- Une volonté d’aller vite, en introduisant régulièrement des éléments nouveaux.
- Une place de choix laissée aux scènes de combats, dans lesquelles le dessinateur David Tako excelle (les 3 planches d’ouverture de « Dernier sacrifice » sont géniales).
- Des cadrages et une mise en page ultra dynamiques électrisent le tout avec une efficacité redoutable.
Bref, on ne s’ennuie pas et on en prend plein les mirettes.
Malgré cela, c'est parfois l’impression de confusion qui l’emporte. La faute à un récit un peu abscons, comme à chaque fois qu'il est question de portails interdimensionnels et d'invocations d'entités d'outre-monde. Mais également à une profusion de créatures quasiment toutes identiques, de décors plus ou moins uniformes durant de longues séquences et d’action tous azimuts, jusqu’à l’overdose.
En réalité, derrière les monstres et la pyrotechnie, on a une histoire qui aurait pu ne faire que 3 ou 4 tomes, sans les dizaines de pages de baston pas toujours digestes. Ces 5 tomes auraient pu donner le temps aux auteurs de développer encore davantage les personnages. Personnellement je les trouve tous intéressants et j’aurais eu envie d’en savoir plus sur eux.
Là, on a un joyeux bordel sous stéroïdes, qui hésite entre manga et comics, sans apport significatif à la mythologie de Lovecraft, auquel il emprunte pourtant 95% de son ADN.
Cette conclusion propose tout de même une fin satisfaisante, logique et cohérente, mais sans éclat notable.
En définitive, c’est une bonne série, bien réalisée, très bien éditée par Le Lombard (les couvertures texturées sont incroyables !) mais qui s’adresse essentiellement aux grands ados qui pourront s’identifier sans peine aux jeunes héros.
Peut-être ai-je tout simplement passé l’âge pour l’apprécier pleinement ?
J’ai lu le roman d’Albert Camus il y a plus de 20 ans. J’avais oublié les détails de l’histoire, mais pas son écriture sèche et son atmosphère désenchantée.
De mon point de vue, l’album de Jacques Ferrandez en est une excellente adaptation dans la mesure où il retranscrit précisément le souvenir que j’avais de cette ambiance très particulière. On y suit le personnage de Meursault, en Algérie française, habité par une forme d’indifférence et de lassitude. Incapable d’avoir une prise sur son environnement, refusant de mentir par convenance, il va finir par rendre sa vie et son destin complètement absurdes.
Visuellement, le style de Jacques Ferrandez, très coloré, offre une lecture chaleureuse. De grands décors aquarellés ornent souvent les fonds de planches. C’est beau et fort dépaysant.
C’est un bel album, fidèle à l’œuvre originelle. Une bonne façon de la découvrir pour ceux qui ne la connaitraient pas.
"L'abomination de Dunwich" est la première nouvelle de cette collection adaptée en trois tomes. Les lieux et personnages y sont donc particulièrement bien développés. Cet ultime volume fait la part belle à l’horreur cosmique lovecraftienne, que Gou Tanabe prend le temps d’illustrer avec une intensité fascinante, en plusieurs doubles planches.
Une superbe conclusion qui donne au lecteur l’impression d’avoir touché du doigt, quelques heures durant, les plus obscures diableries.
Ce 2ème tome sur 3 fait considérablement progresser l’intrigue et plonge le lecteur au cœur de l’horreur. Avec toujours une large place laissée au graphisme, on se régale du trait de Gou Tanabe dont la qualité ne faiblit jamais. Son rendu des créatures, quasiment abstrait, sert efficacement le récit. En les montrant incompréhensibles, insaisissables pour l’esprit, il nous fait comprendre qu’elles n’appartiennent pas à notre monde et sont d’une autre essence, beaucoup plus redoutable, tel que Lovecraft les a pensées.
Une lecture passionnante et anxiogène.
S’il y a bien quelque chose que j’apprécie en BD, c’est quand le dernier tome d'une série est plus consistant que les autres. Pour « Furies », Mathieu Lauffray nous gratifie de 78 planches, soit 20 de plus que l'épisode précédent. Ce format généreux offre à l’auteur la galerie rêvée pour déployer et faire admirer son talent.
Qu’est-ce qu’il est fort, ce bougre ! Un génie du dessin qui nous en met littéralement plein la vue. Paysages, personnages, décors, costumes, cadrages, lumières, couleurs, découpage… N’en jetez plus, tout est parfait visuellement, son style est juste hallucinant.
Cette virtuosité graphique ne peut toutefois pas faire oublier un scenario vraiment riquiqui et copieusement caricatural.
Mais peut-on demander à des pirates en quête de trésors d’être subtils ? Evidemment pas. On est là pour des combats, de l’aventure, l'odeur de la poudre et des morceaux de bravoure. Et croyez-moi, on en a pour notre argent ! Même si l’histoire tient sur un post-it et fourmille d'incohérences, elle se laisse lire avec un plaisir régressif qui incite à une indulgence coupable. D’autant que son héros présente une personnalité assez ambivalente.
Mathieu Lauffray, avec ce gros et superbe boulot, valide donc son niveau « auteur complet ».
D’ailleurs, avec une fin aussi ouverte et le succès que ce troisième tome devrait recueillir, difficile d’imaginer qu'il tourne définitivement la page « Raven ».
A suivre..?
3,5/5
Ce quatrième tome se présente assez différemment des trois premiers et je comprends qu’il puisse déconcerter certains lecteurs.
En effet, les dimensions littéraire, philosophique ou sociale, qui ont donné jusqu’ici à la série une profondeur supplémentaire, sont beaucoup moins présentes dans ce nouvel opus. Contrairement aux premiers volets, on ne trouve pas, dans « Fannie », ces textes ou citations d’auteurs qui ajoutaient un capital de réflexion aux thèmes développées par le scenario. Stéphane Gess se recentre sur ses personnages. Il consacre cette fois tout un pan de l’album à la mythologie antique – en allant assez loin, il est vrai – avec un côté "comics à la française" encore plus marqué qu’à l’accoutumée. Cela a de quoi surprendre.
En revanche, ce nouvel épisode est tout aussi foisonnant et apporte de nombreux éclairages sur l’univers inquiétant de la Pieuvre. L’intrigue est découpée en une succession de petites saynètes, qui s’enchainent à un rythme soutenu, comme dans une sorte d'accélération. On y tombe pour ne plus en sortir avant la dernière page. J’ai trouvé l’ensemble absolument passionnant. L’auteur a ressorti ses ingrédients secrets pour baigner le tout dans une ambiance fantastico-poétique unique en son genre.
« Fannie la renoueuse », avec le talent du rôle-titre pour la bonté et l’empathie, enrichie énormément la série et conforte son ambition. Une œuvre majeure de la bande dessinée est bel et bien est en construction.
A chaque nouveau Récit des Contes de la Pieuvre, une même et lancinante question me taraude l’esprit : mais où Stéphane Gess peut-il bien aller chercher tout ça ? Brillant.
« Slava » est l’une des bandes dessinées les mieux écrites que j’ai pu lire.
Le vocabulaire, le verbe, la langue de Pierre-Henry Gomont sont d’une richesse peu commune. Drôles ou acerbes, ses mots, ses saillies, sonnent toujours justes et nous touchent immanquablement. Son style truculent, volontiers excessif, généreux d’éloquence, véhicule une quantité insoupçonnable d’émotions.
Le dessin, lui, est énergie pure.
Les personnages, beaucoup plus élaborés qu’ils n’y paraissent de prime abord, semblent plus vrais que nature avec leurs gueules pas possible. L’expressivité élastique de leurs visages, leurs postures, les font immédiatement exister et créent une complicité précieuse avec le lecteur.
Quant aux décors, on devine l’attention que l’auteur leur a portée pour ancrer son récit dans une réalité crédible. Avec en toile de fond des paysages noirâtres, comme croqués sur le vif, chaque action se déroule dans un de ces lieux typiquement soviétiques, que ce soit par leur faste rococo, ou au contraire, par la froide géométrie d’architectures brutalistes ou de sites industriels rafistolés aux squelettes de ferraille rouillée.
Tous paraissent parfaitement authentiques.
Cependant, il ne faudrait pas faire l’erreur de séparer la partie graphique de l’écriture.
« Slava » est un tout indissociable, on ne peut plus cohérent. Mais surtout – et c’est de loin le point le plus important – cette cohérence est au service d’une véritable histoire. Une de celles qu’on n’imaginait pas. Une histoire simple en apparence, dont la construction suit pourtant un schéma complexe aux imbrications multiples.
Abouti, maitrisé de bout en bout, le scenario sans faille de Pierre-Henry Gomont a une âme. Il reste constamment fluide, gagnant en épaisseur au rythme d’un crescendo dantesque, jusqu’à ce final absolument magnifique.
Viscéralement humain, burlesque, sombre, profond, fataliste, roboratif, « Slava » est une réussite totale qui m’aura laissé des étoiles dans les yeux.
Quel panache ! P’tain de chef d’œuvre…
:: CET AVIS CONTIENT DES (MINI) SPOILERS ::
Après le succès mérité de « Jours de sable », Aimée de Jongh était forcément très attendue pour son adaptation du best-seller « Sa majesté des mouches » de William Golding.
Sans démériter, l’exercice n’est pas tout à fait réussi.
La couverture est magnifique, certes, et les premières planches sont alléchantes ; le trait doux et rond de la dessinatrice fait mouche et crée d’emblée des ambiances envoûtantes. Pourtant, au fil de la lecture, l’impression de lire un roman illustré gagne peu à peu.
En effet, l’autrice a pris le parti d’une narration la plus proche possible de l’œuvre originale. L’idée est louable et aurait pu donner un résultat grandiose. Mais la voix off du narrateur devient vite envahissante et finit par mettre le lecteur à distance des évènements.
Il y a, dans de nombreux passages, plus de récitatifs que de dialogues. Comme si Aimée de Jongh ne parvenait pas à mettre en image l’action du roman sans l'appui du texte de Golding.
Et cela pèse fatalement sur le rythme global qui souffre d’un manque de tension, d'oppression, d’intensité. Plusieurs séquences m’ont paru trop diluées, même si les moments de silence ont bien sûr leur importance.
A contrario, une scène déterminante comme la danse tribale qui vire au drame, aurait dû être plus longue, ou découpée de façon à faire jaillir la folie qui s’empare des garçons à cet instant-là. Alors que sa tragique conclusion n’est décrite qu’en 4 cases. S’agissant du point de bascule de l’histoire, elle perd ainsi beaucoup de la puissance qu’elle est censée avoir.
Ce rythme irrégulier est aggravé par de multiples ellipses scénaristiques et quelques raccourcis faciles. Je ne vais pas m’étendre, mais citons par exemple la disparition du garçon à la tâche de naissance qui, bizarrement, n’a pas de réelle explication, ni l’air d’avoir la moindre conséquence sur le groupe. Ou encore, la fabrication des lances : mettez des adultes sur île déserte, je prends le pari qu’aucun d’entre eux ne serait capable de se fabriquer une lance à pointe de pierre ! Pourtant, ici, tous les enfants en sont armés sans que l’on ne sache ni comment, ni par qui elles ont été faites. On pourrait me rétorquer que je chipote mais cet élément a une importance cruciale dans l’histoire. De mon point de vue, il aurait été essentiel de s’y attarder, au moins le temps d’une case ou deux, sans trahir le livre originel.
Tout cela contribue à donner à « Sa majesté des mouches » des airs d’album jeunesse, ce qu’il n’est pourtant pas. Impression renforcée par le jeune âge des protagonistes et par le style presque enfantin, trop enfantin en tous cas, adopté par l’autrice. D’ailleurs, hormis Porcinet, tous les garçons ont des morphotypes et des faciès quasiment identiques, la caractérisation se faisant uniquement sur des détails (cheveux, taille…). Là encore, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y avait moyen de donner aux enfants des « tronches » mieux indentifiables, quitte à enlaidir certains d'entre eux ou à exagérer leurs particularités.
Je précise que j’ai cité tous ces exemples pour étayer et préciser mon avis, pas pour critiquer gratuitement le travail d’Aimée de Jongh, que d'autres lecteurs trouveraient peut-être parfait – et c’est tant mieux. Je garde du respect pour elle, cependant, force m’est d’admettre que je suis resté largement sur ma faim.
Cet album n’est donc pas décevant en soi, il est juste bien en deçà de ce qu’il aurait pu être à mes yeux. Il n’en reste pas moins édifiant et tout à fait recommandable.
Je commence par le dépit que m’inspire l’allure de ce livre : couverture fine et si fragile que j’ai eu du mal à en trouver un potable chez mon libraire ; papier recyclé, rugueux et beigeâtre… Tout ça fait vraiment bas de gamme. Il faut dire que la 1ère de couv n’est pas terrible non plus, ce qui n’aide pas à donner une meilleure image de l’objet. Quand on pense que « Blankets », publié dans l’irréprochable collection Écritures, avec 130 pages de plus, est exactement au même prix (27 €), ça mérite un léger coup de gueule.
Dommage, car le travail de Craig Thompson sur ce nouvel opus est tout à fait remarquable. Il use d’un trait affiné – voire raffiné – pour nous livrer des planches au style chargé, étonnamment détaillées, parfois très réalistes. Le soin apporté aux décors témoigne de sa documentation et de son implication totale à finaliser ce roman graphique d’un autre genre.
En revanche, le choix de la monochromie est discutable. Certes, l’omniprésence de ce rose-rouge peut éventuellement servir le récit, mais il provoque bien plus souvent une gêne visuelle. Une teinte plus profonde, saturée, aurait eu un effet différent. Mais cette palette terne donne une résonnance étrange à l’ouvrage, pas forcément agréable, particulièrement quand la typographie devient elle aussi rouge sur fond blanc. La forme est donc surprenante. On adhère ou pas.
S’agissant du fond, là encore, je serai plutôt mesuré. Si je parlais plus haut d’un roman graphique d’un autre genre, cela signifie qu’on ne sait pas vraiment ce qu’on est en train de lire.
Autobiographie ? Oui.
BD documentaire ? Oui aussi...
C’est pourquoi « Ginseng roots » donne l’impression bizarre de comporter plusieurs couches. D’abord, la couche autobiographique donc, dans la droite ligne de « Blankets » (titre évoqué à plusieurs reprises dans les pages).
Ensuite, la couche strictement documentaire sur la racine de ginseng en tant que végétal, ainsi que toute sa riche histoire.
Enfin, une couche politico-sociale qui éclaire sur la réalité de l’Amérique du nord à travers son modèle d’agriculture intensive et son idéologie capitaliste.
Tout cela est intéressant, souvent passionnant, parfois émouvant. Il en émane beaucoup de sincérité et une grande justesse.
Le souci est que ces différentes couches ne semblent pas toujours bien imbriquées pour former une narration fluide. Elles donnent parfois l’air d’être juste superposées l’une sur l’autre.
Craig Thompson a récolté du ginseng dans son enfance ; tout part de là. Et, à l'image de cette plante étrange, son récit se ramifie en tous sens. On devine sa volonté d’embrasser son sujet dans son entièreté et d’essayer de tout faire rentrer dans 450 pages en bouclant sa boucle. Mais l’exercice est bigrement compliqué. Ou bien l’on parle de soi, ou bien d’un sujet X de façon objective et didactique. Il est difficile d’entremêler les deux. Ici, le côté botanique, quoique étonnant, est très présent et peut sembler un poil long et moyennement raccord avec le reste.
Ce qui ne m’a pas empêché de m’y replonger avec impatience à chaque fois que je faisais une pause dans ma lecture, preuve que le scenario est véritablement prenant.
« Ginseng roots » reste donc un incroyable voyage au cœur de ce petit tubercule méconnu, presque insignifiant, à partir duquel Craig Thompson échafaude, avec une minutie peu commune, un récit-fleuve protéiforme et multidirectionnel à la portée universelle. On ne peut qu’être estomaqué par le travail que cela a représenté pour lui.
Attention toutefois, la lecture est relativement exigeante.
Par conséquent, je doute beaucoup que « Ginseng roots » puisse trouver un aussi large public que le désormais culte « Blankets ». Mais qui sait ?
Le premier album d’un nouveau cycle est forcément très attendu. Malheureusement, « Rester vivants » s’est avéré décevant pour moi. Déjà, la couverture est étrangement faible par rapport aux précédentes, avec un dessin peu inspiré, presque enfantin.
A l’intérieur, les choses avaient pourtant bien commencé avec une nouvelle page de présentation des personnages. On y découvre les Ours, leurs noms, leurs rangs, leurs clans. Ça pose l’ambiance d’entrée en titillant l’imagination. Mais passé cette alléchante mise en bouche, la sauce a tendance à vite retomber.
Comme on s’en doutait, les scénaristes se sont inspirés de l’univers viking pour créer Arnor. En soi, c’est une bonne idée. Mais on ne saura rien ou presque de leur mode de vie. Pas de contexte social, économique ou historique non plus. Les Ours, quasiment tous partis en campagne, sont dépeints comme des brutes sanguinaires, bourrines et sans aucune nuances.
Si les félins étaient de fins politiciens retors et machiavéliques, les singes d’habiles commerçants rusés et raffinés, les plantigrades ne semblent pas briller par leur intelligence et n’ont l’air d’avoir pour eux que leur force physique et leur soif de conquête. A l’image de la couverture, cela ressemble un peu trop à une caricature, que les auteurs avaient su éviter jusqu’à présent avec les autres peuples.
J’espère que la suite gagnera en subtilité, qui est l'une des caractéristiques marquantes de la série.
Certes, ce n’est qu’un tome d’introduction mais qui m’a donc largement laissé sur ma faim. Cet épisode n' a même pas d'annexe en postface, ce qui rajoute au sentiment de trop peu. Je salue toutefois quelques bons personnages, comme Oddei ou Volk, qui nous offrirons certainement de bons moments à venir. Mais aussi la présence intrigante de chiens et de loups dans leurs troupes et, surtout, le rôle trouble que ces derniers ont à jouer en Arnor.
A suivre... (avec impatience tout de même !)
Il y a tout dans cet album : du frisson, de l’action, de l’émotion, de la romance, de la fureur, de la tendresse, de la poésie… Les auteurs, en état de grâce, parviennent à nous administrer une triple leçon avec une générosité sans pareil.
Une leçon de vie car le courage et la détermination de Madeleine et tous ses camarades résistants forcent le respect et l’admiration.
Une leçon d’histoire car la précision de la documentation, le souci du détail et la puissance du témoignage en font une précieuse source d’enseignements.
Enfin, une leçon de bande dessinée car même s’il s’agit d’une biographie (ce qui laisse souvent pantois au vu des situations décrites !) Madeleine Riffaud - alias Rainer - en plus d’une immense résistante, devient AUSSI un personnage de BD à part entière, une des héroïnes les plus fortes et les plus attachantes qui puissent être.
En termes de rythme, les terribles scènes d’emprisonnement de Madeleine peuvent sembler longues (plus de 60 planches sur 120), mais elles ne nuisent jamais à la fluidité de l’ensemble. Le deuxième acte, l’attaque du train qu’illustre superbement la couverture, n’en parait que plus explosif.
Dès le premier volume on se doutait déjà que cette série ferait date ; ce 3ème tome confirme qu’elle se taille une place indiscutable au panthéon du 9ème art.
Achat coup de tête, comme souvent chez moi s’agissant de science-fiction. Mais sans regret.
Pelaez et Grabowski proposent avec « Neuf » un album solide, plutôt cérébral. Très classique dans sa forme mais dont le fond se cherche une certaine profondeur, sans toujours l’atteindre. La faute, peut-être, à une forme de tarabiscotage scénaristique. Les auteurs en général devraient pourtant savoir depuis longtemps que tisser un récit sur un paradoxe temporel est extrêmement casse-gueule et offre peu de débouché.
Pelaez réussit toutefois à pas mal s’en sortir, sa trame n’étant pas dénuée de sens. Notamment dans une impossible relation père-fils assez touchante. Son scenario donne cependant l’impression de tourner un peu en rond et aurait mérité d’être dynamisé par un peu plus d’action et surtout, beaucoup plus de scènes spatiales. La déjà légendaire Planète 9, dont l’existence réelle est aussi probable que mystérieuse, aurait mérité un décor à sa mesure.
Grand admirateur de Gaël Faye – chanteur – je ne l’ai pourtant jamais lu car cela fait quinze ans que je ne lis plus que des BD. La sortie de l’adaptation par Savoia et Sowa de son fameux « Petit pays » fut donc une bénédiction pour moi et ne pouvait pas m’échapper.
Visuellement l’album est de très bonne facture. Le dessin, réaliste, léger et expressif est particulièrement agréable et permet une immersion naturelle au Rwanda et au Burundi des années 90, bien aidé en cela par une palette de couleurs chaudes qui restituent de superbes ambiances équatoriales.
Cette plongée au cœur de l’Afrique est également favorisée par un récit qui prend son temps et se développe d’abord autour du quotidien des jeunes protagonistes, entre insouciance de l’enfance et forfanterie adolescente.
Mais l’écriture étant d’une grande subtilité, le lecteur attentif pourra comprendre dès les premières pages que quelque chose se trame. Quelque chose d’indistinct et de fort mauvais augure. Une multitude de signes, d’abord imperceptibles puis de plus en plus concrets, viennent peu à peu assombrirent un horizon qui finira par basculer dans l’horreur absolue. Une horreur incompréhensible, d’autant plus tragique qu’elle est vue à hauteur d’enfant. Du jour au lendemain les amis, les copains, les proches peuvent devenir des ennemis ou être massacrés sans discernement.
Le sujet est dur. Dans la deuxième partie, la plus sombre, les auteurs doivent surfer en permanence sur une ligne extrêmement difficile à tenir : montrer la peur, la folie, le sang ou laisser tout cela hors champ ? Ils trouvent le bon équilibre, sans se draper dans une fausse pudeur mais sans la moindre complaisance non plus pour la violence. Tout ce qu’ils décrivent a du sens. Ce sont, ni plus ni moins, les rouages d’un nettoyage ethnique qui ensanglanta ces deux « petits pays ».
Une histoire bouleversante traitée avec beaucoup d’intelligence et de talent. A lire absolument.
Chaque tome est différent du précédent. Pourtant mes commentaires sur Marshal Bass se suivent et se ressemblent. Et pour cause : j’admire sans réserve la capacité des auteurs à approfondir encore et toujours ce personnage ombrageux et son univers si particulier en alliant de nouvelles propositions scénaristiques à une certaine audace graphique. A noter que les couleurs de Vitković sont d’ailleurs pour beaucoup dans le « style » ‘Marshal Bass’ de Kordey.
Il est rare dans le paysage de la BD actuelle de trouver une telle cohérence dans un background constamment renouvelé. Cet épisode n’est pas exceptionnel en soi mais il s’inscrit pleinement dans une série qui, elle, l’est par bien des aspects.
Après les prodigieux « Blast » et « Rapport de Brodeck », Manu Larcenet frappe encore – toujours aussi juste, toujours aussi fort – avec une adaptation fidèle de Cormac McCarthy.
Mais au-delà des qualités propres du roman, c’est définitivement le langage graphique de l’auteur qui s’impose au fil des pages comme une référence définitive du 9ème art. Le vent, la cendre, la solitude, le froid, la peur… Les nombreuses planches muettes parviennent à dire bien davantage que les mots.
Le texte reste cependant primordial. Précis, économes, les dialogues viennent questionner l’espoir avec une terrible acuité. Reste-t-il une raison de lutter pour vivre dans un monde où nulle herbe ne pousse, nul oiseau ne vole, où le soleil lui-même semble avoir disparu ? Pur instinct de survie ou foi aveugle en une hypothétique renaissance ?
In fine, les quelques échanges entre l’homme et son fils viennent surtout donner corps à l’abnégation et la fatalité. En n’accrochant à leurs esprits en lambeaux qu’une seule et nécessaire idée motrice, celle qui les fera tenir un jour de plus : être et demeurer les « gentils ». L’enfant doit y croire. Le père doit, lui, trouver la force de faire semblant.
Une œuvre éminemment sombre, bien évidemment, mais une grande œuvre.
Même sans avoir lu « Red badge of courage » de Stephen Crane, duquel est tiré cet album, on sent intuitivement qu’il s’agit d’un livre important. Une vision de la guerre radicale s’y déploie à travers les yeux d’Henry Fleming, un jeune fermier engagé volontaire en 1863, dans la guerre de Sécession états-unienne. Sur un temps très court, deux ou trois jours seulement passés sur un champ de bataille, sa vie sera irrémédiablement changée.
Deux ou trois jours qui suffisent pour comprendre toute l’horreur de la guerre, mais aussi toute son absurdité, son injustice, son aberration.
Je comprends mille fois que Steve Cuzor ait souhaité adapter ce roman. En termes de narration il est probablement très bien transposé mais l’exercice a dû être sacrément difficile. Car ce qui se décrit en mots peut avoir plus de mal à se traduire en images. Avec une seule unité de temps, de lieu et d’action, c’est loin d’être évident. D’autant que tous les personnages se ressemblent, uniforme oblige.
Heureusement, le dessin est d’une intensité rare et nous immerge avec force au cœur des combats. Celui qui se déroule à l’extérieur, avec son lot de ravages, de mort et de destruction. Mais surtout celui qui se déroule à l’intérieur du jeune Fleming. Par le biais de nombreux récitatifs, le héros nous adresse ses pensées. Steve Cuzor nous fait écouter sa voix plus qu’il ne nous la fait lire. La voix entêtante d’un adolescent que la violence transforme en homme. Cette voix qui rend compte de l’évolution permanente de son état d’esprit et de sa lutte contre lui-même. Car finalement, le pire ennemi qu’il aura à vaincre pour survivre ne sera pas l’adversaire dans le camp d’en face, mais sa propre peur.
« Cinq branches de coton noir » m’avait ébloui en version N&B. J’ai donc pris « Le combat d’Henry Fleming » dans la même édition et je ne le regrette absolument pas.
Cet opus est une proposition différente, moins ample c’est vrai, moins romanesque et plus âpre que le précédent, mais il s’en dégage puissance et intelligence. Un album graphiquement exceptionnel, porteur de sens et de réflexion.
Je n’avais jamais entendu parler du roman « La neige était sale ». Et comme le relève J.L. Fromental dans sa postface, cet ouvrage présente des analogies avec « L’étranger » d’Albert Camus. Âpre et rugueux, le récit de Georges Simenon heurte, dérange, questionne. Et sa trame aride possède effectivement une dimension existentialiste.
Ancrée dans un passé incertain mais familier, l’intrigue se développe au cœur d’une France vaincue, étrillée, annexée. Un contexte de guerre d’autant plus dérangeant qu’il reste volontairement flou. La présence inquiétante de l'ennemi, désigné comme « les occupants », crée pour les protagonistes un climat d’angoisse et de paranoïa permanente, empiré par de rudes conditions hivernales.
Il aurait alors été facile d’imaginer dans ce nouvel ordre sinistre, l’émergence d’un personnage charismatique et vertueux prêt à combattre la tyrannie.
Au contraire, le jeune Franck Friedmaier n’a rien d’un héros. Fils privilégié d’une mère maquerelle influente, il est un homme malfaisant, cynique et vicieux. Indifférent, borderline, se croyant plus malin que les autres, il considère ces temps misérables comme une opportunité pour commettre impunément et sans discernement les pires exactions en s’enfonçant inexorablement vers l’irréparable.
Alors que tout espoir de rédemption semble impossible pour lui, une révélation insoupçonnable, quasi christique, agira comme une étincelle lumineuse au plus obscur de son être.
Je ne peux juger l’adaptation en elle-même. En revanche, je n’ai aucun doute sur l’implication totale des auteurs. Même s’il m’est arrivé de trouver le dessin de Bernard Yslaire un peu appuyé sur certaines cases, son trait donne des gueules étonnantes de vie aux acteurs et sait parfaitement rendre cette ambiance un peu malsaine de capitulation décadente. Son portrait de Franck notamment, très androgyne, est saisissant.
Au texte, J.L. Fromental construit sa narration avec quelques ellipses et ruptures de rythme, mais l’ensemble est pleinement maitrisé. Ces choix, qui pouvaient sembler contre-intuitifs, s’avèrent payants à la fin et confirment toute l’expérience du scénariste.
Une bande dessinée puissante, particulièrement sombre, qui renvoie à d’autres grandes œuvres dystopiques.
Formica me semble une œuvre mineure.
Drôle, oui, parce que Fabcaro maitrise bien la mécanique de l’absurde. Mais cette belle machinerie tourne à vide. D'accord pour qu'elle n'ait aucun sens – c’est l’idée – mais elle n’a surtout aucun dessein, ni la moindre poésie. Or, les grands maitres de l’absurde (au hasard Ionesco, Beckett*, Devos, Fred, Voutch...) ont toujours teinté leurs propos d’une douce folie, poétique, loufoque et décalée qui invite à la réflexion. Là, c’est loin d’être le cas. On sombre plutôt dans le registre du « bête et méchant » que je n’affectionne guère.
Les repas de famille étaient pourtant un excellent point de départ. Chacun en a vécu et en garde ses souvenirs, parfois cauchemardesques.
Cela dit, un point de départ ne fait pas un album. Le lecteur attend en vain des développements qui ne viendront jamais. Le récit use et abuse du comique de répétition et il en touche très vite les limites. Du coup, ça ne mène nulle part.
Une chute, un twist, ou ne serait-ce qu’un peu d’intelligence auraient été bienvenus.
En somme, un album pour rire ou sourire mais qui ne sert strictement à rien. Dommage, dans la mesure où Fabcaro a déjà prouvé qu’il est capable de beaucoup mieux.
*Je cite des auteurs de théâtre puisque Fabcaro qualifie Formica de « comédie en 3 actes »
:::: AVIS POUR L’ÉDITION PRESTIGE GRAND FORMAT ::::
C’est clairement magnifique, mais j’avoue ne pas avoir pris tout à fait autant de plaisir à la lecture de Notre-Dame de Paris qu’à celle de Dracula et Frankenstein, les 2 fabuleux opus que Georges Bess nous avait précédemment offerts.
Cependant, mes réserves ne tiennent qu’à des détails et ne remettent pas en question la qualité générale de l’ouvrage.
Tout d’abord, pas de romantisme gothique ici. Ni d’ornementations débordantes ou de compositions picturales esthétisantes. Le texte originel de Victor Hugo étant beaucoup plus dense que ceux de Bram Stocker et Mary Shelley, son adaptation ne permettait sans doute pas à l’auteur de trop enluminer les planches ni d’agrandir les cases. Formellement, il s’agit donc d’une bande dessinée aux contours plus classiques que ses prédécesseurs.
Autre détail qui m’a surpris : la 1ère vraie vue de l’intérieur de la cathédrale n’arrive qu’à la page 174. Et je ne peux pas m’empêcher de regretter qu’il n’y en ait quasiment pas d’autres (hormis celle de la page 33, très partielle). La nef de Notre-Dame, ses colonnes, sa voûte, son transept, son chœur... méritaient quelques cases d’ampleur que le talent de Georges Bess aurait forcément rendu sublimes.
Dernier détail plus gênant : l’imprécision du visage de Claude Frollo. Son profil, notamment, qui change souvent d’une case à l’autre. A tel point que je n’ai pas réussi à m’en faire une image mentale et savoir à quoi il ressemblait vraiment.
C’est perturbant mais c’est comme ça et je l’accepte. Je ne vais pas critiquer le dessin d’un tel artiste.
L’histoire en elle-même est connue, forcément, mais elle est habituellement édulcorée. Avec cette adaptation parfaitement fidèle au roman, on découvre qu’elle reste sur le fond d’une grande modernité (ce qui devrait d’ailleurs nous inquiéter…). Une tragédie intemporelle, universelle, qui se joue au fil de pages superbes, poignantes, effroyables, saisissantes. Comme je l’ai déjà dit, c’est simplement magnifique.
J’en recommande la lecture en édition prestige. Le prix semble élevé mais il est largement justifié par le format, la beauté de l’œuvre et la qualité éditoriale. Et je continuerai de les acheter sous cette forme tant que Georges Bess continuera d’en réaliser. J’en espère d’autres en tous cas.
Et je confirme que ces trois albums géants ont fière allure côte à côte dans une bibliothèque ! Même si chez moi, ils sont relégués dans un coin, dans le seul casier assez haut pour les contenir...
Une belle histoire, tout en retenue, à la fois légère et profonde. Etienne Davodeau a su mêler hauteur de vue et mélancolie avec la poésie qu’on lui connait.
Ses images sont douces, ses mots sont forts.
Après avoir été sèchement refroidi par son « Droit du sol », je suis heureux de retrouver le Davodeau que j’apprécie, loin des controverses et du militantisme facile. En observateur affuté, il n’est jamais aussi bon que quand il surmonte son égotisme et s’efface au profit des personnages touchants qu’il arrive toujours à sortir de son chapeau.
Cette balade en Loire fut un délicat plaisir de lecture. Je m’y rebaignerai avec joie.
Malgré le léger sursaut que l’épisode précédent avait amorcé, ce dernier tome raté confirme sans surprise ce que j’en pensais depuis le début (voir mes autres avis) : ce scenario abscons n’a jamais décollé. Il avait pourtant du potentiel mais Tristan Roulot n’a pas su mettre en place des enjeux clairs, ou ne serait-ce qu’une intrigue fluide. Encore moins des acteurs forts auxquels s’identifier et pour lesquels on ressent de l’empathie, tout simplement.
En bande dessinée, les personnages ont toujours été la clé d’un bon récit me semble-t-il. Or ici, tout est cryptique, poussif, inintéressant, sans consistance. Rien ne m’a jamais semblé crédible. Comment le serait-ce avec des ressorts narratifs aussi distendus et des protagonistes à ce point antipathiques, déshumanisés, désincarnés ?
Comment s’attacher à ces mutants tous plus malsains les uns que les autres ? On ne sait jamais d’où ils sortent, ils ne servent pas à grand-chose voire à rien du tout et, in fine, leur sort ne nous importe pas le moins du monde.
C’est d’autant plus dommage que Dimitri Armand aura rendu une excellente copie. Son dessin aurait presque pu sauver la série à lui tout seul. L’espace de quelques cases magnifiques, il nous aura laissé entrevoir tout ce qui ne s’est pas passé dans l’histoire. A savoir de la maitrise, de la cohérence, du souffle, de l’intensité. Mais c’est malheureusement loin d’être suffisant.
Tant mieux si d’autres lecteurs plus indulgents que moi ont apprécié cette série. J’ai vraiment essayé d’y croire mais « Le convoyeur » aura été à ce jour l’une de mes plus grosses déceptions. J’avais pris ce tome 4 dans le seul but de posséder la série complète.
En vain. Ces albums feront partie des très rares que je ne garderai pas.
Le final tant attendu, à la fois inévitable et imprévisible, se déchaine enfin sur la montagne, prêt à engloutir Saint-Elme sous un déluge de feu.
Serge Lehman et Frederik Peeters emboitent avec précision les dernières pièces de leur sanglant puzzle. La conclusion hallucinée d’un récit génial aux personnages inoubliables. Les auteurs auront réussi à créer un univers parfaitement cohérent, dont les bords laissés volontairement flous, le nimbent de mystères insondables.
Qui voudrait aller à Saint-Elme a été prévenu dès le début : ici, c’est spécial !
Que sont réellement ces Thorgal Saga ? Pas vraiment des hors-séries, pas une série à part entière non plus… Un truc entre les deux, probablement. Peu importe, j’adore ce concept : partir d’un héros culte et confier aux soins d’auteurs différents, mais talentueux et respectueux, la création d’histoires uniques qui étendent l’univers de la série-mère et l’enrichissent, c’est très bien vu.
Le mot SAGA est d’ailleurs particulièrement bien adapté à Thorgal. Selon Wikipédia : « On appelle saga un récit […] rapportant la vie et les faits et gestes d'un personnage, digne de mémoire pour diverses raisons, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, en n'omettant ni ses ancêtres ni ses descendants s'ils ont quelque importance ». Si l’on rajoute que c’est un mot viking, on ne peut pas faire plus raccord.
Pour ce qui est de « Wendigo », le scenario est sans doute trop simple pour créer la surprise mais il est néanmoins solide et bien mené.
La partie graphique, elle, est irréprochable. Le superbe dessin de Corentin Rouge en fait une lecture immersive qui prête au rêve. Avec ce sentiment familier d’être bel et bien dans un Thorgal mais un Thorgal upgradé, classieux, magnifié par le grand format, la pagination généreuse, l’édition soignée.
D’autres éditeurs devraient s’en inspirer pour d’autres personnages (même si oui, les spin-off ne datent pas d'aujourd'hui). Car Le Lombard peut se féliciter d’avoir lancé avec Thorgal Saga une nouvelle référence qui a déjà trouvé son public et pourrait bien en conquérir un nouveau, beaucoup plus large.
Pour ma part, ce 2ème opus m’ôte tout doute ; j’en serai.
Exceptionnel !
Mais attention, je parle en fan de Star Wars. Je ne sais pas comment serait perçu cet album par quelqu’un qui ne connaitrait pas la saga, notamment le tout premier volet, dont l’improbable genèse nous est contée ici par Renaud Roche et Laurent Hopman. Deux auteurs plus ou moins inconnus jusque-là. Eh bien on peut dire qu’ils ont frappé fort ! La Force est avec eux et je pense qu’on n’a pas fini d’en entendre parler…
Première surprise : c’est écrit de façon très simple. Ce qui aurait pu être un défaut s’avère être une qualité majeure. Car c’est du coup extrêmement facile à lire et d’autant plus efficace. Un véritable page turner, percutant, drôle, passionnant, rythmé et même émouvant sur la fin. Le travail de documentation est époustouflant et particulièrement rigoureux. Comme le rappellent les auteurs, la plupart des dialogues sont inventés, forcément, mais ils n’ont aucune difficulté à nous convaincre de leur authenticité, tant ils sentent le vécu.
En tout cas on ne peut que s’extasier devant les montagnes de difficultés que le réalisateur a dû franchir des années durant, sans jamais quitter son but ni dévier de sa trajectoire. Faut-il croire en ses rêves ! On ne peut que ressentir de l’empathie pour George Lucas, dont la détermination, l’abnégation et la persévérance nous administrent, bien malgré lui, une sacrée leçon de vie.
Deuxième surprise : au premier regard, le dessin assez stylisé et plutôt froid ne correspond pas à mes critères ; je n’aurais donc pas dû l’aimer. Sauf qu’au deuxième regard, il n’est ni froid ni stylisé. Renaud Roche est vraiment très fort, et c’est un euphémisme. Son trait est en fait précis, expressif et ultra dynamique. Il sait se concentrer sur l’essentiel sans rien bâcler. C’est un exercice difficile et il le réussit à la perfection. Bien aidé par ses touches de couleurs qui parsèment chaque planche et donnent une profondeur immédiate et chaleureuse aux nuances de gris.
Cette histoire incroyable – et avec elle un pan entier de la culture contemporaine – méritait sa BD. Une BD à relire et à rerelire. Indispensable, en tout cas à MA bibliothèque !
Encore une BD documentaire… me suis-je dis dans un soupir en voyant chez mon libraire « La vie secrète des arbres ». J’observe avec perplexité que ce genre, s’il n’est pas nouveau, bénéficie depuis peu d’un tel engouement, que certains titres comme « Le monde sans fin » en deviennent des phénomènes éditoriaux à l’ampleur inédite. À l’instar des Satouff ou certains Davodeau, ces albums sont très souvent lus par des gens qui ne lisent pas de BD habituellement. C’est pour cela que les chiffres des ventes sont à ce point astronomiques.
Bref, ce n’est pas trop mon truc et cette parution n’aurait pas dû m’interpeller. Mais déjà, quand Benjamin Flao est sur la couverture, je deviens tout de suite beaucoup plus attentif.
Et puis la perspective d’apprendre des choses sur le règne végétal n’est-elle pas suffisante en soi ? J’ai donc fini par l’acheter et j’ai très bien fait.
Même si j’ai mis un peu de temps à rentrer dedans, j’ai vite été happé par cette vie effectivement secrète et insoupçonnée des arbres, riche de réflexion et de poésie.
C’est vraiment étonnant et plutôt abordable, bien que quelques planches plus didactiques que d’autres m’aient donné l’impression d’être des fiches scolaires de SVT. Mais cela n’empêche pas la lecture de rester passionnante de bout en bout.
B. Flao a probablement déjà été meilleur (son « Âge d’eau » est un chef d’œuvre !) mais la vivacité de son trait dynamise avec une belle allégresse un texte essentiellement technique. De même que ses aquarelles, parfois magnifiques.
J’ai eu un peu plus de mal avec le récit à la 1ère personne, puisque l’intérêt de l’album réside dans la vie des arbres, non dans celle de son auteur. Mais c’est le jeu des adaptations. Possédant également le livre de Peter Wohllenben – très bien – je confirme que la version BD est beaucoup plus attrayante, moins austère et tout aussi instructive. Elle est donc pertinente et pleinement justifiée, pour répondre à l’utilisateur précédent.
Je ne sais pas quel sera le destin de ce bel album mais on pourrait parier sans risque sur un nouveau succès. C’est tout ce que je lui souhaite en tout cas.
Vous pouvez l’acheter et/ou l’offrir les yeux fermés.
« Mauvaise réputation » c’est d’abord une atmosphère faite d’un style réaliste au trait léger et délicat ; de tons automnaux, crépusculaires, parsemés de vibrants éclats de lumière ; sans oublier ces espaces un peu vaporeux dans lesquels les personnages semblent parfois flotter. Hervé Bazin a réalisé un travail d’une immense élégance.
L’impeccable couverture démontre encore une fois sa maitrise de la composition et son goût affirmé pour le silence et la contemplation.
Antoine Ozanam livre de son côté un récit précis, parfaitement adapté à l’univers graphique de son dessinateur : 1908, puis 1922. Emmett Dalton, seul survivant du légendaire gang d’outlaws pilleurs de trains et braqueurs de banques, puise dans ses souvenirs pour collaborer avec un producteur de cinéma. Leur but ? Tourner un film qui réhabilitera la véritable histoire des Dalton, loin des clichés sensationnalistes et racoleurs vendus par les feuilles de chou de l’époque. À l’origine, des marshals épris de justice, contraints de sombrer dans l’illégalité à la suite du non-paiement de leurs salaires.
Les auteurs alternent présent et passé avec virtuosité. A noter d’ailleurs que le découpage est heureusement beaucoup plus fluide dans ce 2ème tome.
Les réminiscences d’Emmett, synonymes d’un Far West désormais révolu, se teintent de nostalgie alors qu’un Hollywood à peine naissant commence à transformer les collines californiennes jusqu’alors désertes.
Les unes de journaux insérées en tête de chapitres, magnifiquement illustrées par H. Bazin, renforcent le dialogue – qui s’avèrera fécond – entre fait divers, paillettes et fiction.
Un diptyque absolument splendide.
PS : si le papier mat accorde une incontestable valeur ajoutée au dessin, il reste très perturbant pour moi d’avoir le tome 1 en brillant et le tome 2 en mat !
Matthias Lehmann, auteur franco brésilien, réussit avec « Chumbo » un roman graphique fleuve couvrant 70 ans de la vie politique et sociale du Brésil. Un projet très ambitieux sous forme d’autofiction. Au travers d’une famille fictive – inspirée de la sienne – il met en scène tout un pan d’histoire, de l’ascension du père, riche industriel dans les années 30, jusqu’à la postérité de ses enfants à l’aube des années 2000.
Les trajectoires des différents protagonistes suivront les fluctuations tumultueuses de la société, soumises aux luttes de pouvoirs qui scinderont la population entre partisans de l’ordre, prônant une dictature militaire, et les tenants d’un virage communiste, prêts à s’engager dans la lutte armée. Les différents régimes qui se succéderont au cours de ces 7 décennies agiront à chaque fois dans leur propre intérêt aux dépends des classes populaires et se compromettront tous plus ou moins dans la corruption, la censure, ou pire, la torture.
Avec ce résumé on pourrait imaginer un tableau sombre et peu attractif. Mais ce serait oublier le talent de Matthias Lehmann pour conter les à-côtés, les mille petites facéties de l’existence. Son goût pour la gaudriole, son esprit cinglant, son regard à la fois tendre et distant, sa liberté de ton, sont autant de prises auxquelles le lecteur s’accroche. Le portrait qu’il nous brosse de son pays est écrit avec une passion communicative. Il parvient continuellement à transmettre au lecteur son amour pour sa culture.
La lecture est dense, voire exigeante. Quelques longueurs ralentissent parfois le rythme et les multiples personnages, particulièrement leurs noms, sont difficiles à retenir pour les non lusophones. Cependant l’ensemble reste toujours intéressant, grâce à un dessin plutôt simple et économe, mais capable de véhiculer de nombreuses émotions.
Une œuvre forte et chaleureuse que tout amateur de roman graphique appréciera à sa juste valeur.
Arthur Rimbaud fait partie des auteurs qui ont largement influencé ma vie. Dès le collège, sa poésie m’a laissé entrevoir une autre vision du monde, faite de création, de solitude et de liberté, qui s’est avérée être le meilleur rempart qui soit contre tout esprit pusillanime et trop terre à terre. Il reste pour moi l’incarnation ultime du génie ; sa définition même. Son destin incompréhensible (abandon total de la poésie pour une vie hasardeuse de trafiquant d’armes en Afrique) participant également à sa légende.
« Les illuminés » met en lumière cette singularité, ce renversement entre le maître absolu de la littérature qu’il était et le dégoût rampant que son art, sa propre vie ou ses semblables lui inspirèrent au fil du temps. On y découvre les poètes Germain Nouveau et Paul Verlaine, les deux plus proches compagnons de Rimbaud, être tour à tour terrassés, jaloux, hypnotisés, effrayés presque, par la puissance de ses mots. Impuissants à le sauver de lui-même, ils vivront dans son ombre, comme hantés par son insaisissable fantôme.
Laurent Frédéric Bollée retrace 14 années de leurs parcours respectifs dans des narrations parallèles et complémentaires. On peut suivre chacun des trois poètes aux mêmes moments mais dans différents lieux, grâce aux tonalités que les pinceaux de Jean Dytar attribuent à chacun d’eux. Procédé brillamment exploité qui permet de les identifier immédiatement en rendant chaque planche parfaitement lisible. Qui permet surtout de comprendre leurs trajectoires croisées, leurs divergences et leurs aspirations.
Le dessin enfiévré de Dytar dépeint tellement bien l’époque, les portraits, le thème, qu’il en est arrivé à me déconcentrer ! Je me trouvais parfois de longues minutes dans l’incapacité de poursuivre ma lecture, ébloui que j’étais par cette beauté.
C’est très personnel mais les auteurs ont réussi à réveiller l’adoration que j’avais porté à Rimbaud dans mes jeunes années. Un album qui m’a laissé au cœur une étrange mélancolie doublée d’une furieuse envie de faire des vers, de vivre, tout simplement.
Quant à cette couverture ! De loin la plus belle de l’année à mes yeux. Ah ! que n’aurais-je donné pour croiser, une nuit de brouillard, ces illuminés sur ce pont et trinquer avec eux…
Attention, je ne recommanderais toutefois pas cet album - pour magnifique qu’il soit - à quelqu’un qui ne connaitrait ni ces personnages ni leurs œuvres ; il aurait toutes les chances de passer à côté.
Superbe voyage auquel nous invitent – une dernière fois ? – les grands Schuiten et Peeters. Un songe intemporel, éthéré, mélancolique et littéraire qui a toute sa place dans la poétique des Cités Obscures.
Les illustrations sont splendides et donnent corps aux textes de Peeters qui entreprend de « ressusciter » le légendaire capitaine Nemo dans un jeu de miroirs avec son créateur, le non moins légendaire Jules Verne. Ce dernier figurant en bonne place, rappelons-le, parmi « Les personnages illustres des Cités Obscures ».
Réalité et fiction se confondent alors, comme souvent dans cet univers. Le personnage se fond dans son démiurge, les deux ne faisant plus qu’un : Jules Verne est Nemo ; Nemo est Jules Verne. Son Nauti-poulpe, mû par quelque esprit secret, visite le Monde Obscur jusqu’à Samarobrive, sa destination finale, en inspirant d’ailleurs au passage à Rimbaud « Le bateau ivre ».
Puis, l’écrivain ayant retrouvé sa place, nous plongeons avec lui dans son « Paris au XXème siècle », qui fut le 1er ouvrage de Jules Verne publié sur le Continent Obscur, contrairement à notre réalité, où il aura fallu attendre l’année 1994 pour en voir imprimer le manuscrit.
Vous l’aurez compris, « le retour du Capitaine Nemo » est une troublante et mystérieuse déambulation dans les méandres de notre mémoire collective, fut-elle fictive.
Le seul reproche que je pourrais lui faire est que l’ouvrage entier, dans son contenu comme dans son intention, sert de chambre d’écho à la sculpture monumentale d’un Nauti-poulpe, que François Schuiten lui-même à conçu pour la ville d’Amiens (« Samarobrive ») et qui devrait être installé en 2025. Difficile de faire abstraction de ce contexte. Un album des « Cités Obscures » peut-il servir de promotion à l’actualité de ses auteurs ? C’est discutable.
Lire Saga est toujours une expérience étrange et assez fascinante… à condition d’accepter le postulat de départ, en mode « No limit ». En effet, rien ne vient jamais entraver l’imaginaire et la créativité débordante de Brian K Vaughan pour élaborer son scenario. L’expression « univers magique » est d’ailleurs employée, pour la première fois je crois, par l’un des protagonistes. C’est le bon qualificatif pour décrire ce background complètement fou où absolument tout peut potentiellement arriver, que ce soit en termes de design (personnages, décors et vaisseaux) ou d’actions.
Mais derrière ce miroir aux merveilles, plein de poudre de perlimpinpin, se cache une réflexion humaniste souvent profonde, parfois émouvante, et toujours intelligente. Cet épisode, par exemple est centré sur la notion du pardon.
Pour ma part, je continuerai cette série unique - que je suis depuis le 1er tome - tant que les auteurs proposeront une Saga de cette qualité-là.
A lire absolument !
Ce 3ème chapitre est encore meilleur que les précédents !
Le lecteur, à présent familiarisé avec l’environnement, l’intrigue et les personnages, profite pleinement d’un récit aussi riche que prenant. Je l’ai lu d’une traite, complètement absorbé par l'atmosphère qui s'en dégage. C’est addictif et particulièrement bien réalisé.
Il manquerait peut-être juste une pointe d’ironie, de décalage, comme le bonze Noshin dans « Okko », qui contrebalançait merveilleusement l’austérité des autres protagonistes.
Avec « Le serpent et la Lance » Hub est incontestablement en train de réaliser une série de premier plan. Bravo !
Quand je lis l’avis de celui qui prétendait deviner la fin du cycle, tant l’histoire était soi-disant prévisible, je rigole !
C’est justement ce qu’il y a de formidable avec ce scénario : il est impossible d’en voir les ressorts. Pourtant, aucune fausse piste n’est mise en place pour mystifier le lecteur et lui faire croire à une pseudo complexité comme on le voit souvent ailleurs. Tous les personnages sans exception ont un rôle à jouer. Parfois anecdotique, parfois déterminant, mais tous suivent leurs voies. Et ce faisant, apportent leur pierre à l’édifice.
Et quel édifice ! La série entière est appelée à devenir culte si cette qualité se maintient, ce dont je ne doute pas. Car le récit a beau être dense et les arcs narratifs multiples, il sait rester fluide. Fatalement, certains passages peuvent ne pas se comprendre sur le coup, mais l’on n’est jamais perdu. Mieux, on a l’impression de vivre les évènements en direct sans que les situations ne paraissent prédéterminées. C’est le cas de cette conclusion dantesque, même si elle se projette directement dans le monde des Ours sans clore pour autant le chapitre des Primates.
Et s’il est vrai qu’on y parle beaucoup de politique, point de prise de tête. Ces longs dialogues souvent très bien écrits et chargés de tactiques en tous genres, permettent de comprendre les mentalités des différents protagonistes mais également les spécificités des peuples des 5 Terres. Si l’on rajoute les petites annexes en fin d’albums qui étendent l’univers, l’ensemble est parfaitement cohérent, immersif, intelligent et redoutablement efficace.
Je comprends qu’on puisse ne pas aimer, mais tout un chacun ne peut qu’admettre que c’est objectivement bien ficelé et éminemment bien dessiné. Un pur plaisir de lecture !
Je collectionne avec avidité tous les tomes de cette série tant le travail de Gou Tanabe m’impressionne.
Comme je lis exclusivement des BD et plus du tout de littérature, je ne me suis pas replongé dans les "vraies" nouvelles de Lovecraft depuis au moins 20 ans. Par conséquent je ne jugerai pas la qualité de l’adaptation. A en croire l’avis de kingtoof, elle est fidèle et je n’en doute pas. Ce qui est d’ailleurs une gageure car l’univers de l’écrivain est connu pour être difficilement transposable.
Bref, Lovecraft par Tanabe, c’est vraiment bien.
Pourtant, ce 10ème volume n’est pas mon préféré.
Le travail graphique reste de haut niveau mais il ne m’a pas transporté. J’aurais préféré qu’il soit moins centré sur les personnages pour faire plus de place aux inquiétants décors.
La narration, elle, est hachée par une chronologie non linéaire qui nuit un peu à la fluidité du récit, donc à l’immersion. Dommage, car l’atmosphère générale de « L’abomination de Dunwich » est suintante d’horreur et de mystère.
J’attends le second tome avec impatience pour me faire une idée définitive.
Frais, tendre et sympathique, ce 15ème Pico Bogue reste dans la veine des précédents.
Soyons franc, la série s’essouffle peu à peu. Mais elle sait à chaque fois trouver un nouveau ressort pour revitaliser la narration. Dans « Les heures et les jours », ce sont les colères soudaines et spectaculaires d’Ana Ana qui servent de fil rouge.
On sourit souvent et les yeux sont bercés par les belles aquarelles d’Alexis Dormal. C’est Pico Bogue, quoi !
Une thèse de philosophie mise en BD ?! Après tout, pourquoi pas ?
Le thème de l’hybridation est objectivement intéressant et l’idée, bien qu’ardue, aurait éventuellement pu aboutir… si elle avait été portée par des auteurs professionnels !
Là, on a une docteure en philosophie à l’écriture et un « dessinateur » amateur au dessin. Je mets des guillemets car pour un trait aussi faible, on ne peut décemment pas parler de dessinateur. Je me demande encore qui a laissé croire à ce monsieur Petetin qu’il était capable de réaliser une bande dessinée. Le résultat est hélas désastreux.
C’est doublement dommage : d’une, le texte n’est pas nul et comporte même de beaux passages. S’il avait été scénarisé correctement, il aurait sans doute été passionnant. De deux, il existe des dizaines d’auteurs, des vrais, des talentueux, qui galèrent et n’auront peut-être jamais la chance de faire leurs preuves et légitimer leur travail.
Je suis donc presque en colère de voir que ce monsieur, qui est (comme sa bio l’indique) DG d’un grand groupe, n’a nul besoin ni d’argent ni de reconnaissance, se fasse publier on ne sait trop comment.
Pour moi comme pour beaucoup de passionnés, la BD est un art majeur que l'on doit respecter. Ce genre de publication tire tout vers le bas. Pourquoi avoir commis cela ?
Bertail et Morvan sont en train de créer un chef d’œuvre du 9ème art en transposant le témoignage ô combien précieux de Madeleine Riffaud dans de superbes planches nimbées de cet indéfinissable bleu-gris. Cette couleur, dont il émane une magnifique lumière, est idéale pour faire vivre le souvenir de la guerre. L’atmosphère est palpable. Elle est intense. On y est.
Cette fructueuse partition graphique culmine avec les cases illustrant les rues de Paris. Elles sont d’une grande beauté. Dominique Bertail n’a pas son pareil pour dépeindre les pavés humides et les murs décrépis. L’immersion est totale.
En revanche, les mots vont me manquer pour décrire l’histoire en elle-même. Le caractère même de l’ouvrage crée une étrange et puissante ambivalence : d’une part on est entrainé par le souffle romanesque de ces personnages incroyables vivant des situations dantesques en ne laissant aucun répit au lecteur ; d’autre part on éprouve une sorte de retenue respectueuse devant la véracité d’un vécu qui effare, questionne et bouleverse. La scène du pont, notamment, ne peut pas laisser indemne…
Je rejoins l’avis de bd91130 : grâce aux talents conjugués de deux auteurs parfaitement en phase et au courage d’une résistante, combattante et survivante, on assiste en direct à l’édification d’un monument de la BD. Indispensable.
Parler en même temps d’avortement, d’intégrisme religieux et d’homosexualité dans le même album, il fallait oser. Si le pari est audacieux, il s’avère payant car « Mister Prairie » est particulièrement marquant.
Visuellement, il est dessiné par un très grand Ralph Meyer au summum de sa technique. Quant à Xavier Dorison, il modernise radicalement le western par son propos. Il a concocté un scenario prenant, aux enjeux encore très actuels (malheureusement). Il est en plus agrémenté d’une nouvelle super-méchante qu’on adore détester !
Un très bon tome dont on attend déjà la conclusion avec impatience.
A lire les critiques, certains ont trop vite méjugé le premier volet. Comme très souvent dans les diptyques, le premier tome présentait les principaux protagonistes et introduisait les enjeux. Et il le faisait très bien.
Rappelons que si le héros créé par le duo espagnol est à ce point iconique, c’est d’abord parce que l’univers zoomorphe dans lequel il évolue est une référence incontestée du genre. Il pourrait presque se suffire à lui-même tant sa richesse visuelle est opulente.
Et sur ce plan-là, « Alors tout tombe » 1 & 2 est un exemple éblouissant !
Pour autant, sa stupéfiante virtuosité graphique ne fait pas oublier sa qualité d’écriture. Le format double a en effet permis de développer un scenario subtil aux multiples imbrications et des personnages complexes. Parmi eux, je décerne une mention spéciale à l’inquiétant Shelby, le goéland, pour sa formidable prestation.
Enfin, la force de cet opus tient aussi et surtout à l’évolution de l’environnement. La ville y devient actrice à part entière. Le pont de Solomon (superstructure aérienne) accentue l’échelle des décors et donne à New York une ampleur quasi gothique. Ce gigantesque ouvrage fait écho au métro (infrastructure souterraine), l’une des toiles de fond de la première partie. Ces deux mondes s’opposent et se confrontent mais sont les deux faces d’une même médaille, symbole d’ambition, d’aveuglement et d’arrangements véreux. Et cette fois-ci, John Blacksad ne pourra rien, ou pas grand-chose, face à cette réalité désenchantée.
La création artistique – ici le théâtre – toujours présente dans l’univers Blacksad, est impuissante à changer la société. L’idéalisme prend fin. Tout tombe. Les artistes doivent mourir ou se muer en héros masqués et vengeurs pour, peut-être, faire tomber à leur tour les puissants de ce monde… C’est magnifique.
« Alors tout tombe » est l’un des meilleurs épisodes de la série.
J’admire l’équilibre parfait de cet excellent scenario. Il en émane une impression de douce mélancolie, de tendresse poétique et roborative.
« La bête » est une BD à l’ancienne, massive et superbement illustrée, beaucoup plus dense et complexe qu’il n’y parait.
Le Marsupilami – puisque c’est de lui qu’il s’agit – n’en n’est pas le héros. De nombreux personnages sont mis davantage en avant. On sent que Zidrou, au scenario, les a aimés et peaufinés. Ils ont tous leur histoire et leur vie à vivre. Ce sont eux qui, par leur humanité, contribuent à donner une dimension aussi sauvage, terrible presque, à « la bête ».
Ce contraste, véritable contrepied qui donne son nom au diptyque, est le plus bel hommage et la meilleure contribution que Zidrou pouvait faire à l’œuvre de Franquin : oui, le marsupilami est avant tout un animal ! Extraordinaire, improbable, légendaire… mais un animal quand même. Il mord, grogne, se défend avec vigueur. Et le lecteur comprend en creux qu’il pourrait facilement tuer s’il était acculé.
En le replaçant dans ce contexte beaucoup plus réaliste, qui plus est très immersif avec des décors magnifiques et un langage authentique, les auteurs le réhabilitent à un tout autre niveau que celui auquel il était cantonné. Ils lui donnent tout simplement une portée universelle. C’est la première et immense qualité de ce récit.
La deuxième est qu’il propose une histoire fluide, jolie, avec un goût prononcé pour le merveilleux. Les tribulations du jeune François pour retrouver son ami poilu prennent des airs de conte initiatique, pour peu qu’on adapte son regard au bon niveau de lecture.
Leur cavale rocambolesque est en tout cas un régal pour les yeux. Franck Pé, aidé d’Elvire de Cock aux couleurs, a enchanté ses planches. Je n’ai cessé de m’extasier au fil des pages. Absolument tout sonne juste : des trognes des acteurs, à cette clinique que n’aurait pas renié Tim Burton, en passant par les rues illuminées de Bruxelles.
Certes, Zidrou a ensemencé son récit d’une certaine candeur ; acceptons-la.
Mais de mièvrerie, jamais. Il n’y a ni manichéisme, ni bons sentiments. Les protagonistes ont tous une raison d’agir, qui n’obéit pas à une quelconque morale. Et ce n’est pas un détail.
En conclusion, l’exercice était bigrement difficile… S’emparer de l’œuvre culte d’un intouchable génie ! Un défi que beaucoup n’aurait pas pu relever.
Non seulement « La bête » y parvient mais elle en écrit un nouveau chapitre. Chapeau !
Beaucoup mieux que le Griffon ! Comme quoi, pas besoin de grands espaces inexplorés pour faire un « bon » Astérix. Il suffit d’un bon scénariste. C’est le cas de Fabcaro qui signe une histoire très proche des Astérix historiques. Bien aboutie, plutôt drôle et assez fine, avec juste ce qu’il faut d’esprit satirique.
Même s’il y flotte un sentiment de déjà lu, Fabcaro réussit donc une excellente reprise, sobre et respectueuse, particulièrement appréciable après les calembours obsessionnels et pesants de son prédécesseur.
::: SPOILERS :::
Pour un fan de la 1ère heure comme je le suis, difficile de ne pas être légèrement déçu à la lecture de ce dernier tome. Légèrement, ai-je dit. « Eugène - Toutes les bonnes choses ont une fin » n’est pas moins bien que les autres. Mais il n’est pas mieux non plus.
Et c’est justement de là que provient ce sentiment de trop peu.
L’ensemble de la série étant magistralement orchestré depuis le début, le désir d’avoir un ultime volume inégalable, incomparable, finissant en apothéose ce thriller génial, était légitime, voire obligatoire.
On aurait tellement eu envie d’un twist final qui remette tout en perspective et justifie la narration éclatée entre les 6 personnages choisis pour l’incarner ! « L’intrigue » étant résolue dès le 1er chapitre, j’avais espéré un climax, une montée en puissance autour d’un élément nouveau, dont le dernier personnage aurait été la clé. Mais non. Pas non plus d’énigme supplémentaire apportée par la superposition des points de vue. Et c’est là que je rejoins l’excellente remarque du chroniqueur : Eugène, caricature de gros beauf dont le parcours un peu pathos a tendance à excuser la bêtise, n’est pas particulièrement intéressant. C’est évidemment Fanette qui aurait dû clore la série. Elle est de loin le meilleur personnage, le plus réussi, le plus mystérieux, le plus ambivalent, et le seul qui aurait pu (qui aurait dû ?) faire basculer l’histoire.
Alors, dommage ?
Non.
C’est parce que RIP est si bien que j’eus souhaité que ce fût absolument parfait. Mais à défaut de perfection, elle reste une grande série, une de celles qui fait date. Parfaitement écrite, parfaitement dessinée. C’est incontestablement une nouvelle référence de la BD. Ne serait-ce que pour avoir repoussé les limites aussi loin. Et le plus remarquable, c’est que tout un panel d’émotions infuse peu à peu au fil des pages, par-delà la fange humaine si lugubrement mise en scène. Le glauque absolu est atteint, certes, mais avec la manière…
C’est bien simple, à partir de maintenant, pour évaluer le degré de noirceur d’une œuvre, je parlerai de l’échelle de RIP !
Ne comptez pas sur l’objectivité de mon avis, j’adore trop cette série. Définitivement. Et ce, pour plusieurs raisons que j’ai déjà pu évoquer dans mes précédents commentaires. Parmi celles-ci : une ambiance unique, inimitable, due autant aux choix des décors qu’aux couleurs anormales utilisées si pertinemment par Peeters. C’est à chaque fois une petite claque visuelle. Si l’on rajoute une galerie de personnages complètement barrés et particulièrement bien caractérisés, on en reprend une deuxième.
Enfin et surtout, c’est la dimension pré-fantastique qui me fascine le plus. Tout concourt à faire sombrer l’histoire dans le surnaturel mais elle n’y bascule jamais vraiment, comme si elle restait accrochée au bord de l’abime. Le récit est donc constamment cerné par une forme d’irréalité, de fantasmagorie indéfinissable d’où n’importe quelle créature pourrait surgir sans que cela ait quoi que ce soit d’étonnant (mais un loup-garou, monsieur Lehman… vous êtes vraiment sûr ?!)
Cet équilibre périlleux entre un excellent polar, crapoteux à souhait, et l’univers de mystères et de légendes cher au scénariste, est un véritable tour de force. Ce 4ème tome s’inscrit dans cette continuité et ne déçoit pas, malgré l’absence de révélations d’ampleur, qui arriveront fatalement au prochain et dernier épisode.
Je n’aurais pas parié, en me plongeant dans cette série dès la sortie du 1er tome, qu’elle basculerait à ce point dans le fantastique. Et c’est à mon avis ce qui la rend si singulière. Les bas-fonds d’un Londres victorien plus vrai que nature qui se peuplent de démons asiatiques aux super-pouvoirs ?... Il fallait le faire ! Et non seulement Homs et Zidrou l’ont fait mais ils l’ont très bien fait. Ce mélange improbable de mythologie japonaise et de combats sociaux bien réels contre la misère et l’exploitation est détonnant ET passionnant.
Album après album, les auteurs jalonnent leur œuvre de marqueurs indélébiles : des personnages féminins puissants, incarnés, dans les veines desquels coule une inextinguible soif de justice ; de mémorables salopards ; d’incroyables morceaux de bravoure ; un récit s’étalant sur plusieurs époques tout en restant constamment fluide ; un dessin superlatif ; des couleurs parfaites… La liste est longue de toutes les caractéristiques faisant de Shi une grande série. Ce deuxième cycle, bouclé avec « La grande puanteur » est sans doute moins complexe et exaltant que le premier mais ces qualités demeurent et le plaisir de lecture est immanquablement au rendez-vous. Très belle couverture en prime.
« Le Nom de la rose » par Manara ? Miam ! Le type de BD déjà culte avant même sa publication. C’est en tous cas un des albums qui a suscité chez moi le plus d’envie. Trop sans doute…
Impossible d’abord de faire abstraction de l’excellent film de Jean-Jacques Annaud, sorti en 1986, en lisant cette adaptation. À l’inévitable jeu des comparaisons, il y a forcément de bonnes et de moins bonnes surprises. Les bonnes sont des personnages aux mines assez différentes. Hormis Salvatore qui ressemble peu ou prou au rôle incarné par le grand Ron Perlman, les autres arborent d’autres faciès, tous très réalistes et pleinement réussis. On notera au passage la ressemblance non fortuite de Guillaume de Baskerville avec un certain Marlon Brando ; c’est bien vu.
L’ambiance générale, ensuite, qui culmine avec les vues superbes de l’abbaye, est tout aussi mystérieuse et glaçante que dans le long métrage. Chaque planche est magnifique – pas de doute, il s’agit bien de l’œuvre d’un maître – et bénéficie d’une mise en couleur particulièrement évocatrice.
S’il fallait chercher des lacunes ce serait plutôt du côté du récit qu’on les trouverait. Je savais mes attentes exagérées sur cet album, je ne suis donc pas réellement déçu, mais je reconnais que ma lecture reste en deçà de ce que j’en espérais. La faute à une intrigue qui va parfois trop vite et ces nombreuses scènes qui auraient mérité, à mon avis, de plus amples développements et une aura de mystère supplémentaire. Cela dit, les choix narratifs de Manara sont souvent efficaces. Les cases en style médiéval, par exemple, sont parfaites.
En conclusion, même si quelques points sont largement discutables, je pense qu’il serait dommage de passer à côté de cet album dont la suite gommera probablement les défauts en en faisant une grande et belle œuvre de bande dessinée, et non plus une simple adaptation.
3,5 / 5
L’entame de ce deuxième tome m’a surpris, tant il m’a semblé différent du premier ; non pas par l’histoire qui est la suite directe de « Après la chute », mais par une tonalité générale un peu plus grave, un rythme légèrement moins trépidant et un personnage de Slava dont la présence s’efface au profit de Lavrine, même si sa voix de narrateur se fait davantage entendre.
Puis, le contexte de ce deuxième épisode enfin posé, la trame retrouve peu à peu le dynamisme et les excentriques aventures humano-magouillo-financières qui font tout le sel de la lecture. Avec « les nouveaux russes » Pierre-Henry Gomont réitère l’exploit de nous captiver avec le background pourtant austère de la chute de l’Union Soviétique. Grâce à des personnages solides et truculents, une qualité d’écriture hors norme, une incroyable vivacité du trait.
Il en ressort une ambiance, une énergie et une intelligence que je n’avais encore jamais expérimentées à ce point dans une bande dessinée. L’auteur évoque à un moment « Les âmes mortes » de Gogol, prodigieux bouquin dont je garde encore un souvenir intact après des décennies. Eh bien, son « Slava » me fait un peu le même effet. C’est d’ores et déjà à mes yeux une série exceptionnelle que je prendrai un immense plaisir à relire en attendant la suite.
On aurait pu s’attendre à un scenario plus complexe, puisque développé en diptyque.
Mais « Hell Paso » donne plutôt l’impression de dérouler sa propre histoire et pourrait presque se lire indépendamment de « Texas Rangers », le précédent volet.
A priori, rien d’inoubliable, donc...
Si ce n’est que les fondamentaux de « Marshal Bass » sont là et bien là. Et cela est suffisant en soi pour en faire une lecture obligatoire.
Car où trouver ailleurs cette noirceur désespérante, contrebalancée en permanence – presque contrariée – par une humanité écorchée, s’acharnant à survivre envers et contre tout pour s’emparer de certains personnages, au premier rang desquels River Bass, en en faisant des porteurs de cette minuscule et vacillante petite flamme qui empêche le monde de sombrer dans l’obscurité totale ?
Je suis un peu lyrique, ok, mais c’est un des effets que me procurent « Marshal Bass ». Il y a quelque chose de tragique dans cette série, au sens le plus noble du terme, qui me touche davantage à chaque épisode. Ici, j’ai particulièrement apprécié le crescendo de la narration qui mène quasiment à la folie ; avec une mention spéciale pour le rôle du « Fantôme », excellent personnage que l’on est amené à revoir. Du moins je l’espère.
A condition qu’Igor Kordey ne se relâche pas trop. S’il reste capable du meilleur, ce 10ème tome comporte quelques cases au dessin trop approximatif.
Un scenario inébranlable qui emprunte son storytelling aux meilleures séries télé : la trame est constamment relancée par des éléments extérieurs imprévisibles ou bien par les changements de comportement d’un personnage, qui, confronté à telle situation voit ses convictions évoluer et sa psychologie s’infléchir. Chaque détail, chaque action peut potentiellement bouleverser l’histoire entière. C’est d’une efficacité diabolique.
Le plaisir de lecture, renforcé par un dessin toujours impeccable, va grandissant au fil des tomes.
Attention, risque d’addiction élevé !
Avec des pages de gardes striées de noir & blanc qui troublent la vision, le ton est tacitement donné dès le début : le contenu sera dérangeant.
En effet, il est beaucoup question de pédophilie dans « Contrition ». Mais l’immense richesse de l’album est que l’auteur s’en sert comme d’une matière à réflexion pour interpeller le lecteur et nourrir un scénario palpitant, digne des meilleurs thrillers.
L’action commence à Contrition Village, communauté américaine où les pédo-criminels tentent de se réinsérer après avoir purgé leurs peines. Quand l’un d’entre eux s’immole par le feu, une journaliste flaire que derrière la thèse officielle de la police se cache une tout autre affaire… Elle va alors mener une enquête passionnante et découvrir une vérité beaucoup plus profonde et insaisissable. Le lecteur va être happé en même temps qu’elle dans un tourbillon de rebondissements et de questions dont les réponses, forcément ambivalentes, ne seront jamais satisfaisantes ; comme par exemple : « jusqu’où les gens peuvent-ils agir sous l’emprise d’une autorité néfaste ? » ou « faire de mauvaises choses fait-il de vous une mauvaise personne ? ».
L’intelligence de l’écriture est redoutable et nous préserve de tout pathos, tout parti pris polémique ou politique. Un pur plaisir de lecture.
Carlos Portela et Keko (dessinateur de la prodigieuse « Trilogie du Moi ») signent une œuvre extrêmement puissante, aussi fine que complexe. Un grand roman graphique.
Une déception.
C’est toujours très beau et la lecture n’est pas désagréable. Mais à l’heure de lire ce dernier tome, il était déjà trop tard, le destin des personnages ne m’importait plus depuis longtemps.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire et je persiste : le principal défaut de cette série est que Rodolphe n’aura jamais été capable de faire vivre ses acteurs. Ils n’auront jamais eu d’incarnation, ni la moindre personnalité, encore moins de psychologie. Rien. Ce sont des enveloppes vides. Ils sont juste là, spectateurs inertes de leur propre histoire.
Cette conclusion n'y change rien, elle aggrave même les choses. J’ai regardé les beaux dessins de Dubois en étant, hélas, complètement étranger au contenu, comme maintenu à distance par le scénariste lui-même. Du coup, c’est une impression de gâchis qui l’emporte car sur l’ensemble des 6 tomes il y aura quand même eu quelques idées intéressantes, de belles trouvailles scénaristiques et des rebondissements, notamment dans le tome précédent. Mais tout cela est inutile si rien ne nous attache aux personnages. L’intrigue passe rapidement au second plan, l’intérêt se dissipe et l’ennui s’installe.
Après un premier tome génial (« L’étranger »), la sauce est vite retombée. Sans être indigne, la suite n’a été qu’une longue dilution, jusqu’à l’apparition de ces 'anges' dans ce dernier volet, mal amenée et mal fichue, qui achève définitivement tout espoir de rattraper un scenario poussif et finalement peu inspiré. Dommage.
Difficile de se faire un avis sur ce 9ème Marshal Bass, puisqu’il ne s’agit que de la première partie d’un diptyque.
On y suit un River Bass en un peu moins mauvaise posture que d’habitude (mais le pire est à venir, n’en doutons pas !), avec pour compagnons de route une bande de Texas Rangers beaucoup trop louches pour être honnêtes…
On y retrouve également Doc Moon, excellent personnage secondaire, dans un deuxième arc narratif étrange et intrigant.
Le trait d’Igor Kordey est ce qu’il est – on adhère ou pas – mais il fait preuve d’une constance et d’un style des plus solides. Il parvient, là encore, à créer des ambiances extraordinaires qui donnent à l’ensemble de la série une identité graphique incomparable.
Les scenarii de Darko Macan étant le plus souvent intelligents et généreusement sombres, gageons que la seconde partie apportera cette profondeur caractéristique au personnage qui fait pour l’instant légèrement défaut à ce chapitre.
Excellente idée que d’avoir offert une suite à Mégafauna ! D’autant qu’entre les deux, le dessin – qui était le point faible du premier tome – s’est nettement amélioré. Il est beaucoup plus fin, dynamique et varié.
Mais c’est encore une fois au niveau de l’écriture que l’alchimie opère véritablement. Nicolas Puzenas a concocté une excellente histoire, particulièrement aboutie. L’univers est toujours aussi original et les nombreux développements réservent moult rebondissements. Le récit est dense, cohérent, bien mené et déborde de bonnes idées scénaristiques, dont certaines sont d’ailleurs sous-exploitées au regard de leur potentiel. Intelligent, humaniste, il s’enrichit en plus d’une dimension épique pleine de souffle, de profondeur et d’émotion.
Un très bon album que je ne suis pas près d’oublier et qui forme avec son prédécesseur un diptyque extrêmement original. A noter, enfin, un bon travail d’édition de la part de Sarbacane. A lire absolument !
Vu sa couverture peu engageante et un premier coup d’œil aux pages qui ne m’a guère emballé, je n’aurais rien parié sur « Mégafauna ». Pourtant, le plaisir de lecture est clairement au rendez-vous. Grâce notamment à un scenario surprenant, cohérent et bien ficelé. On sent que Nicolas Puzenas, que je ne connaissais pas, a tout mis en œuvre pour donner vie à ses personnages et à son univers original. On pourrait chipoter sur certains détails du récit mais peu importe, « Mégafauna » est bien écrit et a fini par emmener le lecteur assez exigeant que je suis beaucoup plus loin que je ne l’aurais imaginé.
La partie graphique, en revanche, est perfectible.
Bien que peu subtil, le dessin est dans l'ensemble plutôt correct. Mais les cadrages sont trop moroses : énormément de plans « américains », plans « taille » et de personnages de profil, qui nuisent au rythme et donnent une impression de platitude peu adaptée à cette aventure.
C’est dommage car avec un trait plus structuré, mieux maitrisé, « Mégafauna » aura tout eu d’une grande œuvre. Il convient tout de même de saluer l’énorme travail que l’auteur à fourni sur 80 planches.
Au final, je suis très heureux que cet album, qui m’a été offert, ait intégré ma bédéthèque car je ne l’aurais pas forcément acheté moi-même et j’aurais sans doute eu tort. C’est très bien, il gagne à être connu.
Un troisième tome intensément tendu, presque suffocant tant le scenario de Fabien Nury se resserre autour de Charlotte, impératrice fantoche dans un Mexique hostile où rien ni personne, pas même la nature, ne veut d’elle.
Affublée de son pitoyable et sinistre mari, elle parvient à maintenir, seule, un semblant d’apparences en rassemblant son intelligence et le reste de sa dignité pour essayer de sauver ce qui semble déjà perdu. Elle en devient une grande figure tragique au destin bouleversant.
Mais ce magnifique portrait de femme esquissé par la plume de Nury, aussi beau soit-il, ne serait sans doute qu’anecdotique sans le talent de Matthieu Bonhomme. La grâce de son dessin, la précision de son trait, l’élégance de ses décors, la science de ses cadrages, élèvent « Charlotte impératrice » à un niveau extatique pour la rétine. Aucun déchet, aucune approximation, jamais. Chaque planche, chaque case est superbe et participe constamment à la narration. Une partition parfaite. Et la couverture est somptueuse.
Une leçon de bande dessinée !
Jens Harder poursuit son Grand Récit avec l’illustration des 2000 dernières années en 2000 images. Le résultat est toujours aussi titanesque et impressionnant même si mon intérêt décroissait un peu à mesure que s’approchait la période contemporaine, qui m’est plus familière et suscite forcément moins d’émerveillement. De ce point de vue, « Alpha » et « Beta 1 », qui balayaient des périodes beaucoup plus larges et moins scolaires, avaient forcément plus d’ampleur et de mystère.
Par ailleurs je rejoins l'avis du chroniqueur, l'Afrique noire est quasiment absente de cette chronologie, autrement que par le tragique mais sempiternel biais de l'esclavage.
Ces réserves mises à part, l’ensemble reste bien évidemment passionnant et unique en son genre. J’ai d’ores et déjà une immense curiosité pour le prochain chapitre, Gamma, qui explorera le futur…
Même si ce troisième chapitre m'a semblé le moins abouti, je conserve ma notation maximale, ne serait-ce que parce qu'il est bien évidemment "indispensable", selon les critères du site, à qui possède les deux premiers.
Superbe épisode, particulièrement sombre et poignant.
Un dessin qui évolue de nouveau légèrement mais reste toujours aussi expressif et détaillé. Un scenario intelligent, impitoyable, qui interpelle par sa justesse. Il approfondit encore davantage le personnage d’Elijah Stern en en faisant une figure d’un nouveau genre, inclassable, intègre, à la force intérieure inébranlable ; un être presque tragique.
Deux observations, enfin :
J’ai noté que Stern n’avait plus ses fameuses bottes dans cette aventure. Un détail, certes, mais j’ai trouvé ça dommage dans la mesure où elles faisaient un peu partie de sa personnalité. Messieurs Maffre, je réclame leur retour !
Autre détail mais esthétique : les croix noires sur rouge en haut du dos des albums commencent à former, quand tous les tomes sont alignés côte à côte, un cimetière à l’aspect gothique et crépusculaire ; c'est magnifique, j’adore !
« Stern » est définitivement une série de premier plan, qui a raison de prendre son temps pour s’ancrer parmi les grandes sagas de la BD contemporaine. Bravo !
Encore un titre qui était sur ma liste depuis des années et qui vient enfin de rejoindre ma bibliothèque.
Ce n’est certes pas une lecture rigoureusement indispensable, mais c’est un album on ne peut plus réjouissant, à condition bien-sûr de ne pas être complètement allergique au genre pulp dans le sillage duquel « Lorna » se positionne clairement. On pourrait ne rien attendre d’une telle publication mais le récit s’avère beaucoup plus intéressant et complexe que la couverture le laisse imaginer. Et c’est surtout du grand Brüno côté dessin ! L’ensemble est absolument magnifique et se dévore avec un plaisir coupable.
Une petite pépite dans laquelle monsieur Pétrimaux a très certainement pioché quelques idées en faisant son « Il faut flinguer Ramirez »…
Avec « Frontier », Guillaume Singelin a réalisé en solo une œuvre exceptionnelle qui rappelle la prouesse de son complice Mathieu Bablet en 2016 avec « Shangri La ».
Visuellement, c’est dément. Sans frime, sans poudre aux yeux, sans effets informatiques artificiels. Un univers graphique inimitable et particulièrement efficient dans ce contexte d'exploration du système solaire, reconnaissable au premier coup d’œil pour qui a lu et aimé P.T.S.D, son précédent opus et BD déjà exceptionnelle elle aussi.
Guillaume Singelin a le don de créer des ambiances incroyables juste avec son trait et les innombrables détails qui vivent dans ses cases. Et ce n’est pas que du remplissage, loin de là. Ce fourmillement d’objets en tous genres qui trainent un peu partout, crée un bazar familier et chaleureux qui réchauffe considérablement les planches et rend compte de l’étroitesse des coursives et de la fragilité des stations orbitales, faites de bric et broc, exigües, malpropres, constamment réparées avec les moyens du bord. Tout ce bordel agit comme un marqueur humain dans la froideur spatiale. Cela favorise une grande proximité avec le lecteur et participe à son immersion.
Ce style, fait de partis pris forts et assumés, est unique. Et je contre par avance ceux qui ne manqueront pas de le critiquer : les personnages, avec leurs bouilles de cartoon, entre Dragon Ball et Mafalda (visages enfantins, pas de nez, pieds minuscules…), ne plairont pas à tout le monde, c’est une évidence, mais ils sont la signature d’un auteur accompli, génial et singulier qui n’a pas à prouver qu’il « sait » dessiner.
Auteur dont le scenario est en parfaite adéquation avec son mode d'illustration. A la fois intimiste et foisonnant, le récit brille par sa simplicité et sa cohérence. Les protagonistes ont chacun leurs raisons d’agir, et de chacune de leurs actions découle une conséquence. C’est sobre, universel, authentique.
Il ne faut pas attendre de « Frontier » un space-opera jodorowskien en Cinémascope… Toute la dimension SF, formidablement mise en scène, est toujours soutenue par des valeurs humanistes de liberté et d’émancipation. Sans jamais que de la pyrotechnie ou un jargon pseudoscientifique ne vienne ternir le propos. Il s'agit juste de trois personnes qui, s’étant rencontrées par hasard, vont tenter de vivre leurs vies selon leurs convictions. Ce n’est que ça mais c’est tout ça.
5 étoiles parce que Guillaume Singelin m’a offert précisément ce que j’attends d’une BD : du rêve, de l’évasion, de la réflexion, de la surprise, de l’émotion, de la beauté, sans jamais savoir à quoi m’attendre en tournant la page. Merci !
Je finirai en tirant mon chapeau au label 619 et à l’éditeur, qui après « Hoka Hey », nous gratifient d’un nouveau bijou à la maquette soignée (superbe couverture et titre en relief argent sur jaune) pour un prix, encore une fois, très abordable. Re-merci !
La chronologie du 1er volume de « Beta …civilisations » va des des tout premiers regroupements préhumains jusqu'à l''an 0.
Comme précisé dans la postface, l’album est composé de 2000 images, toutes plus évocatrices les unes que les autres, piochées dans l’ensemble de l’iconographie disponible et réinterprétées par l’auteur. Chercher les centaines de références au fil des pages devient d'ailleurs vite jubilatoire et j’ai été agréablement surpris d’y retrouver « Pour l’empire » de Merwan et Bastien Vivès, par exemple, ce qui prouve l'éclectisme de ses sources.
Beaucoup plus qu’un livre d’images, donc, « Beta » est une vertigineuse plongée dans nos plus labyrinthiques origines. Jens Harder réussit le prodige de questionner notre humanité, autant sur le plan philosophique que métaphysique, tout en restant parfaitement accessible à tous.
Peut-être moins spectaculaire qu’« Alpha » mais tout aussi indispensable.
Encore un excellent tome. Le travail de Jérôme Lereculey est admirable et se bonifie continuellement : découpage fluide, cadrages efficaces, plans variés, perspectives, jeu des personnages, costumes et décors, souci du détail... Tout est propre, dynamique, expressif.
Le scenario est toujours aussi haletant et promet un final sanglant. Mis à part l’arc narratif de la jungle, qui convergera probablement vers les autres, le cycle de Lys est pour l’instant centré sur une guerre de clans sauvage et imprévisible. Tous les coups semblent permis et à ce stade, il serait risqué de s’aventurer à faire des pronostics sur les chances de survie des uns et des autres. L’écriture est pour cela d’une efficacité sans pareil.
Franchement, je n’en n’attendais pas tant en me lançant dans cette série dès la sortie du premier tome. Je n’aurais jamais imaginé qu’elle soit de cette qualité-là, surtout avec une parution tous les 4 mois ! Le plus appréciable étant l’équilibre idéal entre un récit complexe aux dialogues intelligents et ciselés, un rythme étudié pour permettre de développer la psychologie des personnages (point essentiel à mes yeux) et un univers graphique riche et approfondi.
Un dernier mot pour parler des couvertures que nul n’a encore commenté ici : elles sont absolument parfaites ! Splendides déjà, avec leur vernis sélectif flamboyant qui contraste avec la sobriété du décor de fond, et d’une cohérence totale. Elles présentent tour à tour les principaux protagonistes dans des attitudes hiératiques qui décrivent à elles seules la force et l’intelligence qu’il faut déployer pour être un héros des 5 Terres !
A noter pour finir, une faute de français dans la postface sur Œstrae et Shin Taku, (2° page, 2° paragraphe, 3° ligne). Il est bizarrement écrit « part achève », au lieu de parachève, du verbe parachever.
"La chute" est une série post apocalyptique qui se singularise par son background austère, actuel et réaliste, puisqu’il n’y a ni zombie, ni fin du monde, mais un inévitable effondrement de la société provoqué par de multiples facteurs conjugués.
Elle n’est cependant pas parfaite et après 3 tomes, ses défauts sont toujours les mêmes : découpage étrange et narration parfois mal cousue qui provoquent des à-coups dans la fluidité. Mais on pourrait tout aussi bien considérer que c’est le « style Muralt » et il n’est pas non plus dénué de qualités : une histoire plutôt accrocheuse et crédible sans aucun des clichés habituels du genre ainsi que des personnages atypiques qui ne suscitent pas forcément la sympathie. Je mets ce dernier point au rang des qualités, car ces personnages n’ont pas vocation à être des héros intrépides et valeureux. Ils sont comme vous et moi avec leur courage, certes, mais également leurs lâchetés et leurs faiblesses. C’est assez peu fréquent dans le paysage de la BD et j’apprécie la façon dont l’auteur s’en empare et le traite.
C’est à mes yeux une série solide que je continuerai à suivre.
"Bella Ciao", suite et fin.
Baru aura livré, au long de ces trois tomes, un témoignage touchant doublé d’une réflexion intelligente et sensible sur l’espérance, l'opiniâtreté et la résignation qu’il faut, générations après générations, pour enfin devenir « invisible » aux yeux de la société quand on est étranger, et ce, quel que soit son pays d’origine.
La forme est un peu décousue et le dessin parfois trop stylisé mais le message est fort et généreux. A lire absolument.
Voici un avis qui ferait sûrement plaisir à Baru s’il le lisait.
En effet, après avoir acheté le tome 1, j’avais posté il y a deux ans un commentaire plutôt amer en expliquant que ça ne m’avait pas donné envie de lire la suite. Je n’avais pas compris l’intention de l’auteur, ni la forme peu fluide qu’il avait donné à son récit.
Malgré tout, je savais Baru absolument sincère dans sa démarche.
Beaucoup trop d’auteurs n’ont rien à dire… alors quand il y en a un, parmi les bons, qui se donne les moyens de développer sa généalogie familiale dans son contexte historique en trois tomes, c’est qu’il le fait par nécessité et ça ne peut que valoir le coup.
Mon instinct me disait donc de persévérer malgré ma déception, et j’ai bien fait de m’écouter !
Ce deuxième épisode est un bijou de truculence et de tendresse. Ce qui n’en n’atténue pas la gravité. La longue et douloureuse histoire de l’émigration italienne est pleine de fantômes et de sacrifices. Baru n’en cache rien mais il le fait avec du cœur, sans jamais s’apitoyer. Il en extirpe la force et la chaleur humaine. Les joies sont simples, la bonne humeur, communicative.
Un excellent album, éclairant et réconfortant. Bravo, et pardon d'avoir douté !
Derrière ce titre mystérieux se cachent deux histoires interconnectées à travers l’espace et le temps : la première est le journal d’Howard Carter qu’il écrivit en 1922 en découvrant le tombeau de Toutankhamon ; la seconde, la liaison que vit une jeune femme avec un artiste à Berlin, dans les années 90, où doit se tenir une exposition sur l’Egypte dont elle est chargée de l’organisation. Elle est studieuse, insomniaque, un peu naïve, un peu perdue. Il est libre, dilettante et enflammé. Leur rencontre sera celle d’une vie.
De ce point de départ nait un album indéfinissable, mélancolique et poétique.
Cependant, tout y est très fugace, à tel point que je ne saurais pas décrire exactement ce qui m’a autant plu. Mais j’ai eu, c’est sûr, un grand plaisir à le lire. La beauté des planches y est pour beaucoup. L’ensemble est particulièrement élégant, voyez la couverture ! La technique de Manuele Fior est toujours aussi admirable et sa couleur, notamment, est superbe.
Mais au-delà, il arrive - on ne sait comment - à capter l’insaisissable : une forme de voyage aux confins de la mémoire intime et collective ; une forme de nostalgie sous laquelle couvent encore, peut-être, quelques braises des années révolues de jeunesse et de passion ; une forme de vertige procuré par la découverte et l’exploration, que ce soit d’un trésor antique ou d’un amour naissant ; une forme de fragilité des sentiments et d’impermanence des existences qui rendent infini l’instant présent…
On peut ne pas accrocher mais j’ai trouvé ça beau et profond, bravo !
Grand admirateur de Jérémie Moreau (voir mes avis sur « La saga de Grirm » et « Penss »), j’ai acheté Les Pizzlys sans la moindre hésitation. Pourtant, cet album m’a décontenancé à plus d’un titre.
D’une part – et c’est une surprise – le dessin m’a franchement déplu. Rien ne m’a semblé bon ou intéressant dans ce trait ultra fin, froid, rectiligne et inexpressif. Pire, les yeux des personnages réduits à de simples tâches noires sont un choix que je n’arrive pas à cautionner. Pourquoi avoir fait ça, qu’est-ce qui le justifie ? Ça me fait penser à une coquetterie d’auteur, gratuite et tape-à-l’œil, plutôt qu’à un dispositif graphique pensé et dicté par l’histoire. Impossible de faire abstraction de ces "yeux", et dans une moindre mesure de ces bouches, mochement noires elles aussi, qui m’ont gâché une partie du plaisir de lecture.
Bref, on est malheureusement très loin du dessin gracile et subtile de Grirm qui m’avait tant émerveillé.
On sent bien que Jérémie Moreau est de ces auteurs qui refusent de se cantonner à un style en cherchant constamment à évoluer, à expérimenter. C’est bien et je n’ai rien contre. Mais là, je n’ai simplement pas aimé ce parti pris qui, pour moi, ne fonctionne pas.
D’autre part le scenario m’a également laissé perplexe. Probablement engourdi par une intrigue lénifiante, je ne suis pas arrivé à savoir où l’auteur voulait en venir. Le propos sur la reconnexion à la nature est quand même d’une grande banalité. Et bien que l'on soit clairement dans une fable, je n’ai pas senti de logique dans l’enchainement des évènements, de rythme narratif qui crée une gradation en termes d’émotion. Le fond d’écologie est intéressant mais n’apporte pas grand-chose qu’on ne sache déjà, rebattu sur tous les media à longueur de journée. Restent les légendes d’Alaska qui contribuent à la dimension onirique et spirituelle de l’aventure.
Le meilleur de l’album est apporté par l’utilisation radicale de la couleur. Des tons essentiellement fluorescents, employés librement. Cela donne des cases surprenantes aux superbes ambiances qui rappellent le spectre des aurores boréales. On avait vu récemment sur l’excellent « Saint-Elme » de Lehman et Peeters à quel point la couleur pouvait façonner l’atmosphère de la planche. Dans cette veine, Jérémie Moreau déploie sans complexe une incroyable palette, qui plus est inattendue dans des paysages enneigés. Cela fait naitre spontanément au fil des pages une indéfinissable poésie, à l’image de la couverture, absolument splendide.
Mais ça ne suffit pas à rattraper la platitude de l’ensemble.
Pour conclure, « Les Pizzlys » est sans doute une belle proposition de bande dessinée mais que je n’ai pas comprise et à laquelle je n’adhère pas. J’en suis le premier peiné. Je continue de penser que J. Moreau est un auteur qui compte mais dorénavant, je ne me précipiterai plus aveuglément sur ses publications, sachant sa capacité à jouer sa propre partition et à déconcerter son lectorat.
Comme beaucoup, je connaissais déjà le fameux naufrage du Batavia, et c’était effectivement un sujet parfait pour une grosse BD d’aventure.
Xavier Dorison, décidemment très inspiré en ce moment, s’approprie cet incident de l’histoire pour en faire un récit romanesque et prenant, en dosant ses ingrédients avec talent. Des personnages bien écrits, du rythme, des dialogues efficaces et une unité de lieu terrifiante : le Jakarta. Ce vaisseau surchargé d’hommes et d’or, qui devient peu à peu l’endroit le plus dangereux du monde pour son équipage et ses passagers, tout en restant leur seul et unique salut.
Le scenario repose sur cet équilibre paradoxal d’où nait une tension étouffante. La pagination généreuse permet de la faire progressivement monter au fil des pages.
Le dessin réaliste de T. Montaigne est de très bonne tenue. Parfaitement adapté à l’intrigue, il réussit à faire exister tous les personnages dans une ambiance palpable de claustrophobie, de paranoïa et d’insalubrité.
L’ensemble est de facture classique, sans réelle surprise, mais procure un vrai plaisir de lecture.
La fin étant déjà connue, il faut maintenant que la seconde partie tienne ses promesses pour que le futur diptyque accède au rang de référence auquel il peut prétendre.
Je suis content de poster mon 500ème avis sur l’exceptionnel « Alpha …directions » !
Ce n’est d’ailleurs pas simple d’écrire sur une telle œuvre, qui sort largement des critères habituels. Car il ne s’agit pas à proprement parler d’une BD : aucun personnage, aucun phylactère, aucun scenario. Mais une histoire, une seule, passionnante, déterminante, celle de notre planète, de la naissance de l’univers jusqu’à l’apparition des premiers hominidés. Rien à voir pourtant avec un documentaire National Geographic…
En plus de ses propres illustrations – extraordinaires – Jens Harder puise dans toute la richesse de l’iconographie de l’histoire de l’art, des civilisations, des religions, des sciences, de la pop culture etc… Il y rajoute la poésie et l'intelligence et il le fait avec un talent inouï. Le résultat est incroyable. Une mine de savoirs et une beauté à couper le souffle. Chaque case est un tableau, c’est une merveille !
Absolument indispensable pour qui ne craint pas d’explorer les frontières de la bande dessinée telle qu’on la connait.
Malgré la profusion de titres, le genre post-apocalyptique m’attire toujours et je regarde attentivement tout ce qui sort sur ce thème. J’ai donc immédiatement lorgné sur NeoForest avec curiosité. Le premier feuilletage ne m’avait clairement pas emballé et je ne suis habituellement pas client des scenarii de Fred Duval. C’était donc mal engagé.
Mais curieusement, je l’ai pris quand même, histoire de voir... Eh ben ce n’est pas mal du tout. Une bonne lecture, agréable et rythmée, dont les développements laissent présager une suite intéressante.
J’ai bien sûr lu Thorgal, comme tout le monde, mais je ne l’ai pas dans ma collection. Je n’ai pourtant pas hésité à acheter ce hors-série, premier – je l’espère – d’une longue liste, pour replonger dans cet univers mythique avec un autre regard. Aucun regret, même si des références m’ont sans doute échappé. C’est un bon album, particulièrement respectueux, empli d’une certaine profondeur et visuellement très beau.
« Révolution » est une œuvre à part, une de celles que je qualifie d’expérience de lecture.
L’entame de ce Livre 2 est exigeante, voire difficile. A tel point que le premier chapitre en est presque pénible : trop touffu, trop foisonnant. C’est très compliqué à suivre. Le dessin, génial mais peu précis, n’aide pas à s’y reconnaitre dans cette foule de personnages. Une telle abondance de noms, de surnoms, de révolutionnaires, aristocrates, officiers, royalistes, patriotes, contre-révolutionnaires… est impossible à mémoriser.
Mais dès le 2ème chapitre la magie opère. Le scenario se fluidifie comme par miracle. Tout ce beau monde et l’environnement de 1791 deviennent peu à peu familiers. Preuve d’une construction parfaitement maitrisée, les quatre mains de Grouazel et Locard aident régulièrement le lecteur en glissant judicieusement dans les répliques quelques rappels nécessaires à la bonne compréhension de l’histoire.
Et si je parlais de magie c’est justement parce qu’on se rend compte au fur et à mesure que cet embrouillamini de dialogues, ce tumulte visuel qui faisait du premier chapitre un tel fouillis est tout simplement la meilleure façon de faire vivre au lecteur la Révolution de façon immersive, en temps réel, à hauteur d’homme, jour après jour, heure après heure. Cette confusion prend donc tout son sens et fonctionne comme un dispositif narratif à part entière. Car – et c’est ce que nous démontre magistralement les auteurs – que fut le déroulement de la Révolution si ce n’est cette effervescence, cette incertitude permanente, ce bouillonnement quotidien où tout pouvait arriver à chaque instant ?
Il y a peu d’action dans ces pages, mais il y a des gens. Certains font la Révolution. D’autres croient la faire. La plupart, surtout, ne la font pas. Ce sont eux que les auteurs s’attachent à suivre pas à pas. Non seulement c’est un point de vue audacieux qui tranche singulièrement avec la vision traditionnelle qu’on en avait jusqu’à maintenant, mais c’est aussi très pertinent d’un point de vue historique. Ce décalage est finalement la meilleure position pour observer l’histoire en marche, en saisir toutes les imbrications et les bouleversements qu’elle provoque à chaque échelon de la société sur les gens ordinaires et non plus uniquement sur les grandes figures que les manuels d’histoire ont exclusivement retenues. A part quelques apparitions de Marat ou Lafayette de-ci de-là, et la silhouette quasi muette du roi, aucun acteur historique majeur ne joue les premiers rôles. Juste des gens, des rues, Paris. Les cases grouillent de monde, c’est hallucinant ! Mais les rues, elles, ne sont pas juste des rues : elles sont pavées, pleines de flaques et de fange, bordées de maisons aux pierres apparentes dont on voit les tuiles et les clous sur les portes… Le trait vif, presque esquissé, se pare de texture et d’une densité incroyable. Au-delà de la prouesse graphique, ce n’est pas qu’un décor inerte, planté pour faire joli. Il est vivant, vibrant, mouvant. Comme les 5 cases de la page 210 où Langret se fraye un chemin dans la foule... ou les bateaux de la page 127. Ce sont les deux premiers exemples qui me viennent en tête mais on pourrait les multiplier à l’infini ; c’est un travail de titan.
Quant aux doubles pages qui illustrent chaque chapitre, elles mériteraient toutes d’être sérigraphiées et encadrées. C’est superbe et profondément fascinant !
Le revers de la médaille est que c’est long, très long à lire. Ce n’est pas forcément un défaut d’ailleurs, au contraire quand il s’agit d’Histoire avec un grand H, mais l’amoncellement de dialogues et de détails finit par glisser comme à la périphérie du champ visuel. On est parfois tenté de les passer en lisant un peu plus vite qu’il ne faudrait, juste pour avancer et venir à bout de ce pavé de près de 300 pages. C’est le risque. Personnellement j’ai choisi de prendre mon temps pour ne rien manquer de cet extraordinaire théâtre. J’ai passé plus d’une semaine à le dévorer et en savourer chaque miette.
Les amateurs d’albums ou de séries classiques n’arriveront probablement pas à le lire mais pour ma part, je n’ai pas peur de dire que c’est un des chefs-d ’œuvres de la décennie.
Enième relecture de Bételgeuse…Parfois, je retrouve, non sans plaisir, certains fondamentaux de ma bibliothèque.
Aldébaran et Bételgeuse font partie des BD que j’ai, que je relis régulièrement mais que j’adore critiquer. Surtout au vu de l’engouement irrationnel que ces albums continuent de susciter auprès d’un grand nombre de lecteurs.
La narration reste, il est vrai, un modèle d’efficacité. Les différents personnages apportent tous leur part à un scénario plutôt solide, construit autour d’enjeux humains. C’est dépaysant et très immersif avec, au centre de la mire, le mystère de la fameuse Mantrisse, plus joli coup de l’auteur.
Si l’on fait abstraction d’une naïveté gluante, la trame est quand même bien foutue et ses qualités sont indéniables, particulièrement sur le plan du rythme et de l’imaginaire. C’est du moins mon avis sur le fond. Voilà pourquoi je parlais de plaisir.
Sur la forme hélas, rien n’y fait, ça ne passe toujours pas. Même si je reconnais être obligé de mettre son œuvre au rang des incontournables, j’assume une aversion au style de Leo.
En dehors d’une esthétique globale complètement périmée, comme calcifiée au début des années 80, je déteste ces affreux rictus qui déforment trop souvent les visages de ses pauvres personnages. Il les voudrait expressifs mais il ne réussit qu’à en faire des masques figés et grimaçants. Finalement, ils ne sont jamais autant réussis que quand ils sont inexpressifs justement, neutres ou pensifs.
Bien pire encore, ces innombrables scènes de nu complétement gratuites qui concentrent tous les clichés du sexisme le plus rance et n’ont strictement rien à faire dans ce contexte de survie. Cette complaisance pour la femme-objet, qui croirait-on, reflète les obsessions d’un autre âge et les fantasmes d’un vieux pervers libidineux – assortis de dialogues ridiculement phallocrates – me met toujours mal à l’aise. Désincarner ainsi ses héroïnes en les rabaissant à un concours de seins, c’est plus proche du salon de l’agriculture que de l’érotisme. C’est, j’imagine, ce qu’adorent les aficionados de Leo. C’est ce qui fait que je ne pourrai jamais apprécier correctement son travail.
Toujours aussi beau…
Félix Delep compose à chaque planche un véritable poème visuel. La douceur et l’expressivité de son trait sont absolument parfaites pour donner vie à ce conte sombre et profond louant la non-violence.
L’histoire progresse avec une belle fluidité même si l’émotion est moins palpable ici que dans le tome précédent. Sur ce plan-là, « Les marguerites de l’hiver » était indépassable. Mais l’ensemble est d’une générosité sans pareil, permettant à tout un chacun, quel que soit son niveau, de prendre part à la réflexion intelligente et salutaire proposée par X. Dorison.
Une série magnifique qui devient carrément magique en édition grand format !
:::: AVIS POUR L'EDITION GRAND FORMAT ::::
Le trait de L. Astier n’est pas des plus fins mais il colle au background et sait lui insuffler de l’énergie et un style graphique de qualité.
Je serais en revanche plus mesuré sur le scenario, comme pour les tomes précédents. La vengeance d’Emily tient la route mais elle n’arrive jamais à capter pleinement mon attention, par manque de crédibilité dans sa trame et ses retournements de situations.
De même, la volonté de l’auteur de vouloir absolument traiter de sujets sociétaux – ici la persécution des Noirs et l’oppression des ouvriers – alourdit le propos puisque ses intentions, certes louables, se devinent constamment. La subtilité n'étant pas forcément son truc...
Malgré cette pesanteur visible sur le fond comme sur la forme, la lecture reste néanmoins détonante et divertissante.
Une série agréable et rythmée qui vaut le coup.
Sur un scénario particulièrement vénéneux de Serge Lehman, Frederik Peeters invente avec "Saint-Elme" un nouveau vocabulaire graphique en parfaite adéquation avec cette plongée dans les tréfonds de la ville de Saint-Elme, comme dans ceux de l’âme humaine.
Ses jeux de couleurs presque nocives attaquent la rétine en renforçant l’expérience de lecture. Avec la volonté accomplie de créer une dissonance visuelle qui installe au fil des pages une tension rarement ressentie.
Pas question de réalisme ici, ni sur le fond ni sur la forme. On est beaucoup plus proche de David Lynch que des frères Dardenne ! Et c’est justement tout l’intérêt de cette série unique en son genre. Dans l’impossibilité de se raccrocher à la réalité, en proie à une espèce de cauchemar éveillé, le lecteur sait que tout peut arriver. Surtout avec des acteurs aussi dingues et géniaux que le Derviche et les frères Sangaré, qui rentrent tous trois directement dans mon panthéon des personnages les plus réussis de la BD.
Il est certain que beaucoup vont détester mais j’adore définitivement cette radicalité et la population patibulaire qui hante ces planches. C’est fort. Très fort !
Mais que c’est beau !
La lecture de « Hoka Hey ! » m’a mis le même genre de claque que "Jusqu’au dernier" pour ceux à qui ça parle. Une immersion totale dans un western sauvage et violent, ponctué de respirations poétiques, spirituelles et humanistes.
Et c’est aussi et surtout un choc esthétique. Certaines planches sont d’une beauté irradiante et j’ai passé de longues minutes à les contempler pour m’imprégner de l’atmosphère qui s’en dégage.
Et cet univers graphique si spectaculaire est idéalement relayé par un scenario à la fois simple et captivant où tout est parfaitement dosé : des personnages complexes et magnifiques, de sombres desseins qui infusent au fil des pages, des scènes d’action millimétrées sans filtre ni complaisance, des pauses contemplatives grandioses, des questionnements ambivalents où rien n’apparait jamais évident, de l’émotion en pagaille... Cette histoire, pour simple qu’elle soit, est donc d’une richesse incroyable. Elle déroule avec beaucoup d’intelligence le fil de la quête d’identité et des phénomènes de déculturation et d’acculturation, avec la liberté comme valeur cardinale.
J’avoue tout de même garder quelques menues réserves ici ou là, notamment sur la fin. Elle est tout à fait cohérente mais semble juste un peu précipitée. Cela peut donner un sentiment de raccourci qui contraste avec le rythme général de l’album. Mais qu’il est impossible de ne pas pardonner tant l’ensemble est éblouissant.
Le travail de Neyef, auteur seul aux commandes de ces 224 pages, est vraiment colossal. C’est à n’en pas douter une des BD de l’année. Qui bénéficie en plus d’un superbe travail d’édition et d’un prix, pour une fois, plus que correct. Comme quoi le label 619, même passé chez Rue de Sèvres, reste un gage de qualité.
Bravo Neyef et chapeau bas !