
Les cités obscures
5. Brüsel
Une BD de Benoît Peeters et François Schuiten - Casterman - 1992
Ardent défenseur du progrès, le fleuriste Constant Abeels vit à Brüsel, à l’aube d’une révolution technologique qui devrait voir, avec l’avènement du plastique, la fin des miasmes malsains et de la dégradation des végétaux. Une malencontreuse coupure d’eau oblige Constant à retarder la réouverture de sa boutique. Au palais des Trois Pouvoirs où il se met en quête de son dossier, il est frappé par la beauté sensuelle d’une employée très compréhensive : Tina Tonero. Ensemble, ils vont découvrir la maquette du nouveau Brüsel, projet d’un entrepreneur... Lire la suite
Central. Tous les thèmes chers à Schuiten et Peeters sont concentrés dans cet album: le développement inhumain de la ville poussé par les technocrates ou l'argent, le savant aveuglé ou rendu fou, le mépris envers le livre au profit de la machine, la faillite du progrès technologique, l'irruption des forces naturelles dans la cité, l'individu écrasé par un système kafkaïen, la femme comme initiatrice et guide dans le dédale, etc... etc... Et tout cela va être repris dans la série, et même... dans un Blake et Mortimer atypique situé à Bruxelles, qui constitue en fait un autre album des Cités Obscures :-)
Alors Brüsel j'ai beaucoup aimé. J'y ai ressenti un peu de Tardi, je ne sais pas comment l'expliquer mais également un peu de Docteur Knock. Une jolie histoire d'amour avec le portrait effroyable d'un progrès sans considération pour l'humain. Une couture d'événements tirés par les cheveux avec toute la mesure de grands artistes. Les dessins sont exquis. De surcroît 106 pages ce n'est pas rien, je recommande. La société est malade. N'est-ce pas un peu symétrique à notre société d'aujourd'hui remplie de kikoo-lols qui ne savent ni s'exprimer ni comprendre?
Ce volume pourrait s'appeler la complainte du progrès. Tiré d'évènements réels il brosse de façon impitoyable les effets dévastateurs de la cupidité qui s'habille ici du vocable de la modernité. Rebatir une cité entièrement nouvelle en faisant table rase du passé. Tout est bon pour gagner de l'argent mais lorsqu'un qu'un grain de sable vient se glisser dans les rouages de la belle mécanique, tout se dérègle de façon systémique et s'écroule comme un château de cartes dans un chaos apocalyptique. Les personnages et les décors sont superbement dessinés et l'histoire d'amour entre Tina et Constant apporte la fraicheur et la touche d'espoir qui guérit de tous les maux.
Cet album se base sur des faits historiques exposés en quelques pages au début : Un des bourgmestres de Bruxelles, enthousiasté par le Paris Hausmannien, lance des travaux pharaoniques, qui vont paralyser la ville et ruiner les finances.
La Bande dessinée elle-même retrace cet épisode dans la ville parrallèle de Brüsel, en y ajoutant une bonne dose de dérision. On y voit un emballement urbanistique galvanisé par l'envie de "modernité" et de "progrès" générer un chaos imprescriptible et loufoque dont le personnage central peine à s'extirper finalement.
Cette BD est la satire de l'aveuglement, et permet de passer un moment agréable à sa lecture.